Lettres de Salluste à César La bibliothèque libre. Lettres de Salluste à César
Lettres de Salluste à César La bibliothèque libre. Lettres de Salluste à César Salluste traduction de Charles Durosoir, 1865 Première lettre I. Je sais combien il est difficile et délicat de donner des conseils à un roi, à un général, à tout mortel enfin qui se voit au faîte du pouvoir ; car, autour des hommes puissants, la foule des conseillers abonde, et personne ne possède assez de sagacité ni de prudence pour prononcer sur l'avenir. Souvent même les mauvais conseils plutôt que les bons tournent à bien , parce que la fortune fait mouvoir au gré de son caprice presque toutes les choses humaines . Pour moi, dans ma première jeunesse, porté par goût à prendre part aux affaires publiques, j'en ai fait l'objet d'une étude longue et sérieuse, non dans la seule intention d'arriver à des dignités que plusieurs avaient obtenues par de coupables moyens, mais aussi pour connaître à fond l'état de la république sous le rapport civil et militaire, la force de ses armées, de sa population, et l'étendue de ses ressources. Préoccupé donc de ces idées, j'ai cru devoir faire au dévouement que vous m'inspirez le sacrifice de ma réputation et de mon amour-propre, et tout risquer, si je puis ainsi contribuer en quelque chose à votre gloire. Et ce n'est point légèrement, ni séduit par l'éclat de votre fortune, que j'ai conçu ce dessein, c'est qu'entre toutes les qualités qui sont en vous, j'en ai reconnu une vraiment admirable : cette grandeur d'âme qui, dans l'adversité, brille toujours chez vous avec plus d'éclat qu'au sein de la prospérité . Mais, au nom des dieux, votre magnanimité est assez connue, et les hommes seront plutôt las de vous payer un tribut de louanges et d'admiration, que vous de faire des actions glorieuses. II. J'ai reconnu, en effet, qu'il n'est point de pensée si profonde, que chez vous un instant de réflexion ne fasse aussitôt jaillir ; et, si je vous expose mes idées en politique, ce n'est pas avec une confiance présomptueuse dans ma sagesse ou dans mes lumières ; mais j'ai pensé que, au milieu des travaux de la guerre, au milieu des combats, des victoires et des soins du commandement, il serait utile d'appeler votre attention sur l'administration intérieure de Rome. Car, si vos projets se bornaient à vous garantir des attaques de vos ennemis et à défendre contre un consul malveillant les bienfaits du peuple, ce serait une pensée trop au-dessous de votre grande âme. Mais, si l'on voit toujours en vous ce courage qui, dès votre début, abattit la faction de la noblesse ; qui, délivrant le Page 1 of 11 Lettres de Salluste à César - Wikisource 20/03/2009 http://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_de_Salluste_%C3%A0_C%C3%A9sar peuple romain d'un dur esclavage, le rendit à la liberté ; qui, durant votre préture , a su, sans le secours des armes, disperser vos ennemis armés ; et qui, soit dans la paix, soit dans la guerre, accomplit tant de hauts faits, que vos ennemis n'osent se plaindre que de vous voir si grand, vous accueillerez les vues que je vais vous exposer sur la haute administration de l'Etat ; j'espère qu'elles vous sembleront vraies, ou du moins bien peu éloignées de la vérité. III. Or, puisque Cn. Pompée, ou par ineptie ou par son aveugle penchante vous nuire, a fait de si lourdes fautes, qu'on peut dire qu'il a mis les armes à la main de ses ennemis, il faut que ce qui par lui a porté la perturbation dans l'Etat devienne par vous l'instrument de son salut. Son premier tort est d'avoir livré à un petit nombre de sénateurs la haute direction des recettes, des dépenses, du pouvoir judiciaire, et laissé dans la servitude et soumis à des lois injustes le peuple romain, qui auparavant possédait la puissance souveraine. Quoique le droit de rendre la justice ait été, comme antérieurement, dévolu aux trois ordres, cependant ce sont ces mêmes factieux qui administrent, donnent, ôtent ce qui leur plaît ; ils oppriment les gens de bien, ils élèvent aux emplois leurs créatures : point de crime, point d'action honteuse ou basse, qui leur coûte pour arriver au pouvoir ; tout ce qui leur convient, ils l'obtiennent ou le ravissent ; enfin, comme dans une ville prise d'assaut, ils n'ont de loi que leur caprice ou leur passion. Ma douleur serait moins vive, je l'avoue, s'ils fondaient sur une victoire due à leur courage ce droit d'asservir qu'ils exercent à leur gré ; mais ces hommes si lâches, qui n'ont de force, de vertu, qu'en paroles, abusent insolemment d'une domination que le hasard ou la négligence d'autrui leur ont mise dans les mains. Est-il, en effet, une sédition, une guerre civile qui ait exterminé tant et de si illustres familles ? à qui la victoire inspira-t-elle jamais tant de violence, tant d'emportement ? IV. L. Sylla , à qui, dans sa victoire, tout était permis par le droit de la guerre, savait bien que la perte de ses ennemis ajoutait à la force de son parti ; cependant, après en avoir sacrifié un petit nombre, il a mieux aimé retenir les autres par des bienfaits que par la crainte. Mais aujourd'hui, grands dieux, avec Caton, L. Domitius et tous les autres chefs de la même faction, quarante sénateurs et une foule de jeunes gens de grande espérance ont été frappés comme des victimes ; et toutefois la rage de ces hommes conjurés à notre perte n'est pas encore assouvie par le sang de tant de malheureux citoyens : l'abandon des orphelins, la triste vieillesse des pères et des mères, les gémissements des maris, la désolation des épouses, rien n'a pu empêcher ces âmes inhumaines de se porter à des attentats, à des accusations de plus en plus atroces, pour dépouiller les uns de leur dignité , les autres du droit de citoyen . Et de vous, César, que dirai-je ? de vous que ces hommes, pour comble de lâcheté, veulent abaisser au prix de leur sang ? moins sensibles qu'ils sont au plaisir de cette domination, qui leur est échue contre toute apparence, qu'au regret d'être témoins de votre élévation ; et plus volontiers mettraient-ils pour vous perdre la liberté en péril que de voir par vos mains le peuple romain élevé au faîte de la grandeur. Voilà donc ce qui vous fait une loi d'examiner avec la plus profonde attention comment vous pourrez établir et consolider votre ouvrage. Je n'hésiterai point, de mon côté, à vous exposer le résultat de mes réflexions, sauf à votre sagesse d'adopter ce qui vous paraîtra juste et convenable. V. La république fut toujours divisée en deux classes, je le pense, et la tradition de nos pères en fait foi : les patriciens et les plébéiens. Aux patriciens fut Page 2 of 11 Lettres de Salluste à César - Wikisource 20/03/2009 http://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_de_Salluste_%C3%A0_C%C3%A9sar primitivement dévolue l'autorité suprême ; mais dans le peuple n'en résidait pas moins la force réelle. Aussi y eut-il souvent scission dans l'Etat ; et la noblesse ne cessa de perdre de ses privilèges, tandis que les droits du peuple s'étendaient. Ce qui faisait que le peuple vivait libre, c'est qu'il n'y avait personne dont le pouvoir fût au-dessus des lois : ce n'étaient ni les richesses, ni l'orgueil, mais la considération et la valeur, qui mettaient le patricien au-dessus du plébéien. Dans son champ ou à l'armée, le moindre citoyen, ne manquant jamais de l'honnête nésessaire, se suffisait à lui-même, suffisait à la patrie. Mais, lorsque, chassés peu à peu de leur patrimoine , les citoyens eurent été réduits par l'oisiveté et la misère à n'avoir plus de demeure assurée, ils commencèrent à compter sur les richesses d'autrui, et à faire de leur liberté et de la chose publique un trafic honteux. Ainsi, peu à peu, le peuple, qui était souverain et en possession de commander à toutes les nations, est venu à se désorganiser ; et, au lieu d'une part dans l'autorité publique, chacun s'est créé sa servitude particulière. Or cette multitude, d'abord infectée de mauvaises moeurs, puis adonnée à une diversité infinie de métiers et de genres de vie, composée d'éléments incohérents, est, à mon avis, bien peu propre au gouvernement de l'Etat. Cependant, après l'introduction de nouveaux citoyens, j'ai grand espoir que tous se réveilleront pour la liberté, puisque chez les uns naîtra le désir de conserver cette liberté, et chez les autres celui de mettre fin à leur servitude. Je pense donc que, ces nouveaux citoyens mêlés avec les anciens, vous pourrez les établir dans les colonies : ainsi s'accroîtront nos forces militaires, et le peuple, occupé des travaux honorables, cessera de faire le malheur public. VI. Mais je n'ignore pas, je ne me cache pas combien l'exécution de ce plan excitera la fureur et les emportements des nobles : alors ils s'écrieront avec indignation que l'on bouleverse tout, que c'est imposer une servitude aux anciens citoyens, qu'enfin c'est transformer en royaume une cité libre, si par le bienfait d'un seul une multitude nombreuse parvient au droit uploads/Finance/ sallustelettres-de-salluste-a-cesar.pdf
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- Publié le Jan 05, 2021
- Catégorie Business / Finance
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