Vers une consommation dématérialisée? Marketing Magazine N°114 - 01/06/2007 - A
Vers une consommation dématérialisée? Marketing Magazine N°114 - 01/06/2007 - AURELIE CHARPENTIER Aujourd'hui, la démarche d'acheter, de posséder se voit soudain remise en cause. La culture se télécharge, les voitures se louent, les achats se font responsables, les mondes deviennent virtuels... Notre société de consommation se trouve à l'aube d'une révolution. Décembre 2007. Marion est heureuse. Elle vient enfin d'acheter des tennis dernier cri sur Second Life pour son avatar. Et demain, un autre de ses avatars participera à la grande finale virtuelle de la Star Academy sur le site Virtual Me, imaginé par Endemol et Electronic Arts. Dans le monde réel, ce soir, elle se rend à une soirée entre amis au volant d'une Ferrari flambant neuve qu'elle a réservée via Fractional Life, un site où l'on peut louer tout et n'importe quoi. Elle n'a en effet pas les moyens de se payer sa propre voiture, encore moins une automobile de luxe! Pourtant, ses amis pensent qu'elle dispose d'un revenu confortable. Elle possède également 15 % d'un cheval de course et porte toujours un sac très chic, différent à chacune de ses visites (elle en loue un par semaine, toujours siglé d'une grande marque) . Son appartement est un petit deux- pièces en banlieue parisienne, dont elle n'est pas propriétaire. D'ailleurs, elle ne le désire pas, car elle ne reste jamais longtemps au même endroit. Sa mobilité et son indépendance, elle y tient. Chez elle, son intérieur est minimaliste: sa télévision fait office à la fois d'ordinateur et de téléviseur. Et sa collection musicale se résume aux 480 heures de musique enregistrées sur son iPod. La presse, elle ne la lit que sur Internet. Il y a longtemps qu'elle a revendu ses CD et ses DVD sur eBay. Elle préfère maintenant télécharger les films sur son ordinateur ou les regarder en VOD sur son écran plat. Un gain de place évident. En plus, elle en profite pour consommer moins et fait ainsi un effort pour la préservation de la planète. Au supermarché, elle cherche les produits comportant le moins d'emballage possible, et privilégie les achats bio et équitables. Vous l'aurez compris, Marion symbolise cette prochaine génération de consommateurs, adeptes du «moins consommer, consommer mieux», et pour qui la possession d'objets matériels n'est plus primordiale. Bienvenue dans un monde libéré de la dépendance aux choses! Se pourrait-il que notre avenir se conjugue avec une dématérialisation de la consommation? L'idée avait été avancée, dès 2000, par Jeremy Rifkin, président de la Foundation on Economie Trends à Washington, dans son livre L'âge de l'accès. Il y explique «qu'avoir, posséder et accumuler n'ont plus guère de sens dans une économie où la seule constante est le changement». L'accès devient ainsi plus important que la propriété. Il s 'interroge: «A quoi sert d'acquérir la propriété d'un produit ou d'une technologie qui risque d'être obsolète avant même qu'on ait fini de la payer? Dans la nouvelle économie en réseau, l'accès à court terme aux biens et services - sous forme de bail, de location, etc. - devient une alternative de plus en plus séduisante à l'acquisition à long terme.» De la propriété à l'usage? © Kiziah Grâce à Internet, la dématérialisation prend forme: on peut aussi bien louer une voiture, un film en VOD ou un sac. Le tout en quelques clics. Le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) note ainsi qu'aujourd'hui, «la satisfaction vient de l'usage plutôt que de la possession, la location s'inscrit donc parfaitement dans cette tendance». La croissance de 10 % du marché de la location de voitures entre 2005 et 2006 vient ainsi «conforter une modification sensible du comportement du consommateur», stipule André Gallin, président du CNPA, branche Loueurs de voitures. Les jeunes ont, en effet, un rapport à l'automobile différent de celui de leurs aînés. Si les baby-boomers considéraient la voiture comme un moyen d'accéder à un statut social, et la propriété comme une nécessité, les jeunes générations tendent à privilégier l'usage à la propriété. L'auto- partage traduit également ce phénomène naissant. A Paris, Caisse Commune propose 50 voitures à la location. L'adhérent peut réserver un véhicule 24 h/24 et pour une ou plusieurs heures, voire plusieurs jours, selon ses besoins. La voiture est disponible une minute après la réservation, de jour comme de nuit, dans un parking près de son domicile. Avec, en prime, la satisfaction de ne plus dépenser en assurance, en réparation, en entretien, et de réduire le nombre de ses contraventions pour stationnement gênant! Signe du succès naissant de cette tendance, Avis commence à adopter ce concept en partenariat avec les parkings Vinci Park. La clientèle potentielle est, en effet, considérable, surtout à Paris où 52 % des ménages ne possèdent pas de véhicule. Reste que, pour la majorité des consommateurs, la voiture demeure un signe apparent de réussite sociale! Pour tant, force est de se demander, à l'instar de Jeremy Rifkin, ce qu'aurait été la face du monde si, en son temps, Henry Ford avait décidé de louer des voitures, plutôt que de les vendre? Quant à Jacques Attali, il imagine, dans sa Brève histoire de l'avenir, «des véhicules urbains sans pilote, beaucoup moins coûteux que les actuels, faits de matériaux légers, économes en énergie et biodégradables» qui «seront la propriété collective d'abonnés qui les laisseront à d'autres après chaque usage». Le salon, lieu de la dématérialisation © Apple L'achat de CD est dorénavant concurrencé par le téléchargement, symbole par excellence de l'immatériel. Endemol franchit encore une étape avec le site Virtual Me qui mixe l'univers de la téléréalité avec celui des mondes virtuels. Dominique Desjeux, professeur d'anthropologie sociale à la Sorbonne, réfute pour sa part l'idée que l'on passerait d'une logique de la propriété à une logique d'accès. Il explique: «L'accès est un problème éternel. C'est le problème central de n'importe quelle société.» Il admet néanmoins que le rapport à l'objet est bel et bien bouleversé par les jeunes générations. «On assiste à une perte de statut de l'objet dans le domaine musical et visuel. C'est là une révolution technologique, peut-être aussi importante que celle de Gutenberg.» Dans un débat du Nouvel Observateur du 22 mars dernier, Denis Olivennes, p-dg de la Fnac, prévoit que «dans trente ans, il n'y aura probablement plus de CD, les livres physiques auront peut-être disparu, et probablement plus aucun DVD, tout cela s'échangera par Internet.» Les ventes de CD semblent en effet s'effondrer inexorablement. . . La VOD pourrait bien concurrencer la location et l'achat de DVD. Les magazines se mettront un jour au numérique, à l'instar de l'expérience, lancée à la fin avril, par le quotidien Les Echos, qui propose une édition en version e-paper. L'Ademe et le Défi pour la Terre se mobilisent pour montrer l'ugence de réduire notre consommation. Chez soi, même le salon, pièce où l'on passe la majeure partie de son temps, est devenu, aux dires de Dominique Desjeux, «la pièce de la consommation immatérielle» par excellence. On y consomme des images et du son, rien de palpable donc. L'anthropologue reconnaît que le culturel devient immatériel. Une idée que partage d'ailleurs Jeremy Rifkin, quand il écrit que la production industrielle laisse la place à la production culturelle: «Les secteurs de pointe du futur reposeront sur la marchandisation de toute une gamme d'expériences culturelles plutôt que sur les produits et les services traditionnels fournis par l'industrie.» Il précise «que 20 % de la population mondiale, à savoir ceux qui disposent des plus hauts revenus, dépensent désormais presque autant en consommation d'expériences culturelles qu'en acquisition de produits manufacturés et de services de base». A ce titre, les cadeaux évoluent. Le succès des chèques cadeaux et des coffrets week-ends, offrant des expériences et non des produits physiques, atteste de cette modification des mentalités. Même constat pour les voyages qui attirent de plus en plus. Ainsi, les recettes du tourisme international ont connu une augmentation de 54 %, passant de 404,6 milliards de dollars en 1995 à 622,4 milliards de dollars en 2004. Et, pour se le permettre, le consommateur se sert la ceinture sur d'autres postes budgétaires. Selon le baromètre Opodo 2007, 68 % des Français actifs partis en vacances se sont constitué une réserve pour se les offrir - soit 1,4 million de personnes de plus qu'en 2005. 57% affirment que c'est un besoin vital pour lequel ils sont prêts à sacrifier d'autres dépenses. Internet est un moteur pour le tourisme, offrant notamment la possibilité de trouver des offres à bas coûts ainsi que des bonnes affaires de dernière minute. La Journée sans achat a pour objectif de dénoncer la société de consommation où nombre de gens n'existent qu'à travers leur comportement d'achat. Internet est indéniablement le facteur numéro un de la virtualisation de la consommation et, de ce fait, de l'apparition d'un nouveau consommateur. Pour Jeremy Rifkin, nous sommes en train d'assister, tout simplement, à l'émergence d'un nouveau type d'êtres humains, «complètement à l'aise dans le cyberespace, où Us passent une partie de leur vie, connaissant parfaitement le fonctionnement de l'économie en réseau, plus intéressés par l'accumulation d'expériences excitantes et distrayantes que uploads/Finance/ vers-une-consommation-dematerialisee.pdf
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- Publié le Sep 21, 2021
- Catégorie Business / Finance
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