Y a-t-il encore un peuple ? Le concept de peuple, dans ses trois dimensions lié
Y a-t-il encore un peuple ? Le concept de peuple, dans ses trois dimensions liées à ses différentes acceptions originelles de xenos, genos, ethnos, a-t-il encore un sens de nos jours ? Pour répondre à cette question, on trouvera dans le Mag philo 18 des articles de philosophie politique et d'histoire des idées, avec un détour par l'histoire du parti communiste français et la façon dont il s'est approprié la notion de peuple ; un entretien avec Gérard Bras, philosophe et professeur au Collège international de philosophie ; des critiques d'ouvrages et des sélections documentaires (sites, revues, bibliographie). Sommaire Éditorial Articles Rousseau Le parti communiste « re-constraction » Singularité plurielle Critiques Les Classes moyennes La Télécratie Sélection de références Bibliographie Revues Sites L'entretien Gérard Bras Éditorial Y a-t-il encore un peuple ? Pour Hegel comme pour Heidegger, même s’il est possible de parler du peuple au sens d’un objet historique (peuple allemand, français, etc.), cette notion ne se donne pas dans l’évidence et il n’y a « vécu » de peuple ou d’appartenance au peuple que dans une expérience historique privilégiée : la guerre, qui joue pour le peuple le rôle que joue la mort pour les individus. Devant la menace d’anéantissement, les individus renoncent à leurs intérêts particuliers et chacun redevient l’égal de tous les autres en même temps que le frère de tous les autres membres du peuple, qui partagent tous le même destin de soldat face à la mort. Le peuple est l’unité de tous ceux qui n’ont plus que leur rapport à la mort ; pourtant, ce rapport à la mort peut-il en même temps être un rapport à autrui, et peut-on avoir un rapport à la mort à plusieurs ? On trouve aussi chez Sartre l’écho lointain de cette doctrine existentielle du peuple, quand il avoue être passé de l’anarchisme à la conscience historique de l’appartenance à travers l’épreuve de la guerre. Il semble bien que le peuple s’atteste dans sa souveraineté lors de l’expérience de la guerre : les Grecs, d’Eschyle à Platon, n’ont que fort peu de sympathie pour la démocratie, mais voient la force du peuple grec et la raison de sa victoire contre les Perses dans le fait qu’il est un peuple libre, où chacun se bat pour sa patrie, en l’aimant et en aimant les autres en elle, alors que les Perses ne sont qu’une foule, masse informe d’esclaves soumise à une seule tête – et dans ces conditions, David peut vaincre Goliath. Le peuple de la Révolution française s’atteste dans la levée en masse, à la différence des monarchies dans lesquelles le monarque conduit son peuple « à la guerre comme à une partie de chasse » (Kant). C’est justement Kant qui nous rend sensibles à l’ambiguïté de cette situation : un régime vraiment démocratique laisserait le peuple souverain décider de l’échéance ultime, c’est-à-dire de la guerre, ce qui signifie qu’il le laisserait ou non être un peuple ; or la mobilisation générale est le fait des démocraties qui ne demandent pas, en ce cas, son avis au peuple. Pourtant, ces peuples s’élancent vers la guerre « la fleur au fusil » : cette image montre que les peuples qui se constituent lors des guerres mondiales sont des peuples fabriqués, des masses jetées les unes contre les autres pour des intérêts privés. Les deux auteurs les plus conscients du caractère problématique de la notion de peuple à l’ère du nationalisme (ou de la mobilisation des masses) ont sans doute été Marx et Nietzsche, qui adoptent face à cette conscience d’un changement deux positions antagonistes : ou bien renoncer à la notion de peuple, au mythe ou au fantasme de l’unité, car un peuple n’est que l’effet d’une domination, d’une classe guerrière qui constitue en peuple une masse plus faible ou vaincue – le peuple anglais comme domination des Normands sur les Saxons, le peuple maghrébin comme domination des Arabes sur les Berbères, le peuple germanique comme domination des Prussiens sur les Allemands, etc. Les peuples se créent ainsi dans la guerre, le sang ou la violence juridique, et leur existence historique est la continuation de cette violence rendue légitime sous la forme des mythes. Ou alors le peuple n’existe sans ambiguïté (comme l’ensemble de ceux qui se solidarisent face à la mort en renonçant à leurs intérêts particuliers) que si cette solidarité vient de la conscience du peuple, en excluant toute mobilisation possible. Marx en ce sens hérite des concepts « réactionnaires » de Hegel dans la mesure où la conscience de classe prolétarienne définit exactement l’ensemble de ceux qui, étant exploités à fond, n’ayant donc aucun intérêt particulier à défendre la société dans laquelle ils vivent, se solidarisent pour sauver « l’humanité ». La notion idéaliste de peuple se trouve conservée en même temps que surmontée : le peuple devient le prolétariat, et la conscience de classe devient la donnée qui s’impose même au parti, qui ne peut « mobiliser » ou « constituer » un peuple. Les révolutions communistes confondent la souveraineté du peuple précisément avec le contraire de la mobilisation générale, c’est-à-dire avec le fait de déposer les armes, de ne pas faire la guerre impérialiste, d’en appeler au reste de l’humanité. Peut-il encore y avoir peuple, au sens de l’unité ethnique, linguistique ou historique, et surtout au sens idéaliste de la souveraineté, quand il semble que le peuple se confond avec les esclaves, les dominés, la masse des exploités, c’est-à-dire avec le « bas peuple » ? Dénoncer ou soupçonner les mythes historiques du peuple souverain et uni, ne pas croire au peuple, qu’est-ce d’autre qu’en finir avec le peuple ? Le peuple n’est-il qu’une foi, un acte de foi, un mythe ? À notre époque, les formes de cette foi ne sont-elles pas le génocide ou le nationalisme sportif, ou encore le populisme si justement décrié, mais en même temps si mal défini et conceptualisé ? Justement, tant dans nos articles, qui clarifient par exemple la notion de « souveraineté » chez Rousseau ou celle de « peuple » dans l’histoire du PCF, que dans nos deux critiques et notre interview, ces difficultés sont posées et, en partie, levées. Philippe Quesne, pour le Mag philo Articles Rousseau Rousseau, le peuple et l’institution de la volonté générale Luc Foisneau, chargé de recherche au CNRS, centre Raymond-Aron, EHESS Un peuple n'existe pas à la manière d'un objet matériel, dont on pourrait attester l'existence en constatant la présence en lui de certaines qualités physiques, mais il existe comme une certaine manière d'être ensemble des êtres humains. Ce qui caractérise cette manière d'être, c'est le souci de l'intérêt général. Mais comme l'intérêt général est rarement suivi, que l'intérêt particulier l'emporte souvent, le peuple n'existerait pas longtemps si l'intérêt général n'était institué, c'est-à-dire s'il ne trouvait à s'exprimer dans des organisations publiques, symboliques et administratives. Cette institutionnalisation est autant une solution qu'un problème, car l'intérêt général est parfois institué au seul profit de ceux qui l'instituent. Sans institution, l'intérêt général n'existe guère, on en convient ; mais quand il est institué, il n'existe parfois pas davantage. La fragilité de l'existence du peuple est ainsi une fragilité de principe : l'institution qui vient conforter une manière d'être ensemble fondée sur l'intérêt général risque à tout instant de substituer l'intérêt particulier des instituteurs à l'intérêt général dont ils sont censés permettre l’expression. Il faut donc se demander si l'ennemi principal du peuple ne serait pas le peuple lui-même, dès lors qu'il se trouve confronté à la difficile question de son institution. Il s'agira de montrer, dans un premier temps, que le peuple signifie la même chose pour Rousseau que le sens de l'intérêt général et que, là où le second n'a plus cours, le premier a cessé d'exister. Il conviendra de souligner, dans un deuxième temps, que ce sens de l’intérêt collectif – la volonté générale – a besoin d'être forgé et conforté par des institutions spécifiques, qui sont toujours liées à une histoire et à des lieux particuliers, mais que cette solution institutionnelle est elle-même source de problèmes. Le peuple et le sens de l’intérêt général À trop considérer les embarras de l'origine des peuples, on finit par oublier que le contrat social vise un but relativement simple, qui est de permettre aux hommes de surmonter les conflits qui naissent de leur absence de sens de la justice. Prisonniers de relations toujours particulières et de la recherche exclusive de leur intérêt propre, les hommes d'avant le contrat social sont incapables de résoudre le moindre problème d'intérêt général ; ils peuvent certes vivre heureux, mais c'est à condition de vivre seuls (Contrat social, I, vi, 360). Ce qui les sépare, c'est avant tout le fait qu'ils sont incapables de concevoir, une fois qu'ils se sont réunis, ce qui les unit par-delà leurs divergences momentanées ou leurs dissemblances superficielles. Parce que l'un désire ce que l'autre convoite, ils s'imaginent qu'ils n'ont aucun intérêt en commun et que la guerre est l'unique issue de leurs dissentiments. Le but du contrat social est à uploads/Finance/ y-a-til-encore-un-peuple-dossier.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
- Catégorie Business / Finance
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