X V e L É G I S L A T U R E A S S E M B L É E N A T I O N A L E Compte rendu Co
X V e L É G I S L A T U R E A S S E M B L É E N A T I O N A L E Compte rendu Commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé – Audition, ouverte à la presse, de M. Régis Turrini, secrétaire général de SFR et ancien directeur de l’Agence des participations de l’État. ............................................................. 2 Jeudi 25 janvier 2018 Séance de 9 heures 30 Compte rendu n° 15 SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018 Présidence de M. Olivier Marleix, Président — 2 — La séance est ouverte à neuf heures quarante. M. le président Olivier Marleix. Nous recevons ce matin M. Régis Turrini qui a dirigé l’Agence des participations de l’État (APE) à une période qui intéresse spécialement la commission d’enquête, même s’il n’a occupé ces fonctions que pendant une brève période : de septembre 2014 à juillet 2015, date de sa démission. Bien que fonctionnaire à l’origine, M. Turrini a effectué la plus grande partie de sa carrière au contact des entreprises. Avocat d’affaires, il a également été gérant au sein de la banque Arjil & Associés du groupe Lagardère puis a été chargé chez Vivendi de la stratégie des fusions et des acquisitions. Il est aujourd’hui secrétaire général de l’opérateur SFR et il exerce d’importantes responsabilités au niveau du groupe Altice. Monsieur Turrini, votre nomination à l’APE a été décidée alors qu’Arnaud Montebourg était encore ministre du redressement productif. À votre arrivée, en septembre 2014, la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric était en cours de finalisation. Puisque vous êtes le premier des anciens directeurs de l’APE que nous auditionnons, il serait intéressant que vous nous présentiez rapidement cette agence en nous expliquant comme elle interagit avec les autres services de Bercy, notamment avec la direction générale du Trésor pour ce qui est des opérations qui ne relèvent pas du secteur où l’État est actionnaire. Enfin, nous aimerions que vous nous rappeliez très succinctement les règles fixées par l’Europe quant à l’intervention de l’État en prises de participations au capital des entreprises. Cela éclairera utilement notre commission sur les raisons du recours à un prêt d’actions de Bouygues dans le cas d’Alstom. Pour revenir au dossier d’Alstom, la commission d’enquête souhaiterait connaître votre appréciation sur cette opération ainsi que sur les voies et moyens qu’elle a empruntés. Quatre questions retiennent plus particulièrement notre attention. Premièrement, que s’est-il passé entre le 21 juin 2014, date de la signature du protocole d’accord entre l’État, Alstom et General Electric (GE), et le 4 novembre 2014, date de la signature de l’autorisation formelle donnée par l’État au titre des investissements étrangers. Y a-t-il eu un travail d’approfondissement ? Tous les points du protocole d’accord négocié par Arnaud Montebourg ont-ils été repris dans les lettres d’engagement ? Deuxièmement, quel regard portez-vous rétrospectivement sur la création et le fonctionnement des trois co-entreprises résultant de cette cession ? L’APE siège au conseil d’administration de « GEAST ». Cette présence ainsi que l’action spécifique – golden share – de l’État vous semblent-elles suffisantes pour exercer une véritable influence ? Troisièmement, la vente de la branche « Énergie » d’Alstom, Alstom Power, a été justifiée à la fois par M. Kron et par le ministre de l’économie qui a autorisé l’opération le 4 novembre 2014 comme devant permettre au groupe de se concentrer exclusivement sur son activité alors désignée comme étant la plus rentable, le ferroviaire. Pourtant, d’ici à juillet prochain, la branche « Transport » d’Alstom va à son tour disparaître, absorbée par Siemens. Certes, vous ne pourrez pas nous expliquer cette récente décision de l’État puisque vous n’êtes plus à l’APE mais j’aimerais savoir si elle vous paraissait prévisible et si vous la jugez cohérente par rapport à ce que l’État vous a demandé de faire en novembre 2014. — 3 — Quatrièmement, beaucoup d’observateurs se sont émus du fait que l’État renonce à toute plus-value, en particulier aux dividendes exceptionnels versés aux actionnaires d’Alstom au profit de Bouygues. Pourriez-vous nous indiquer quelles dispositions prévoyait le contrat de prêt ? L’État avait-il, selon vous, les moyens de négocier avec Bouygues le partage éventuel de plus-values et de dividendes ? Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. (M. Régis Turrini prête serment.) M. Régis Turrini, secrétaire général de SFR et ancien directeur de l’Agence des participations de l’État. Compte tenu de mes anciennes fonctions, je me concentrerai sur les décisions prises par l’État en tant qu’actionnaire. Vous le savez, le contrôle direct par l’État des entreprises du secteur productif a souvent été considéré par les pouvoirs publics successifs comme un levier essentiel de la politique industrielle. Sans remonter à Colbert, nous en trouvons trace dans le préambule de la Constitution de 1946 qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité : elle fait mention de la capacité de l’État à devenir propriétaire d’entreprises. C’est sur ces bases que s’est construite la politique de l’État actionnaire. L’une des étapes essentielles a été le rapport Nora en 1967 dans lequel était souligné que « le secteur des entreprises publiques ne paraît obéir dans sa composition à aucun critère ». Une autre étape très importante a été, en 2003, la publication du rapport Barbier de La Serre – à l’origine de la création de l’APE – qui déplorait la confusion des rôles remplis par l’État à l’égard des entreprises publiques. Lorsqu’on prend la peine de le relire aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il n’a pris une ride. Simon Nora et René Barbier de La Serre pourraient aujourd’hui s’étonner de la diversité des secteurs dont l’État est propriétaire et de la lourdeur qui caractérise la gestion de ses participations publiques. La difficulté principale pour l’État actionnaire tient à ce qu’il doit en permanence concilier des objectifs multiples et contradictoires, qui dépassent très largement les préoccupations patrimoniales qui devraient être celles d’un actionnaire. À l’évidence, l’État n’est pas un actionnaire comme un autre. Citons quelques-unes des casquettes qu’il doit porter pour mieux comprendre l’articulation avec son rôle d’actionnaire. Il y a d’abord l’État porteur de politiques publiques, notamment de politiques industrielles. Cela prend la forme de politiques générales de soutien à l’innovation ou de soutien à tel ou tel secteur. Il y a ensuite l’État régulateur, fonction de régulation qu’il délègue souvent à des autorités administratives indépendantes qui doivent assurer le bon fonctionnement concurrentiel des marchés. Les outils dont ils disposent en ce domaine sont vastes et paraissent souvent préférables à l’intervention en capital. Il y a encore l’État budgétaire, fonction déterminante qui entre parfois en contradiction avec celle de l’actionnaire du fait de l’application des règles budgétaires découlant de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). — 4 — Il y a une autre casquette que l’on oublie parfois et qui est également très importante lorsqu’on parle de l’État actionnaire : l’État client. Il joue un rôle clef dans plusieurs secteurs dépendant de la commande publique, au premier rang desquels la défense. Enfin, dernière casquette, qui n’est pas la moins importante : l’État politique, autrement dit celui qui est soumis à des considérations médiatiques et électorales qui rendent le Gouvernement et les pouvoirs publics incapables de s’en tenir aux seuls pouvoirs de l’actionnaire ; il leur est alors difficile d’assumer une mauvaise nouvelle à froid et leur propension à reporter les décisions difficiles très forte. L’État exerce tous ces rôles simultanément. Et la défense des intérêts patrimoniaux ou des intérêts des entreprises qu’implique son rôle d’actionnaire passe après d’autres objectifs qui sont tout aussi légitimes. La diversité des objectifs a pour effet de démultiplier les interlocuteurs pour les entreprises. Une même entreprise peut ainsi avoir plusieurs dizaines de correspondants répartis entre les administrations centrales des ministères techniques, dont certaines jouent un rôle capital d’expertise, les cabinets ministériels, le cabinet du Premier ministre ainsi que celui du Président de la République. Cette dispersion peut affaiblir l’État car les dirigeants d’entreprise savent jouer avec malice de cette polyphonie administrative. Je citerai quelques exemples de secteurs dans lesquels ce phénomène me paraît particulièrement prégnant. Prenons le domaine aéronautique où l’État passe son temps à gérer des contradictions qu’il tente de surmonter avec plus ou moins de succès. Il est à la fois actionnaire majoritaire de contrôle d’Aéroports de Paris (ADP), actionnaire de référence d’Air France KLM qui est le principal client d’Aéroports de Paris, actionnaire minoritaire d’Airbus qui est le principal fournisseur d’Air France KLM, régulateur du trafic aérien via la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) qui distribue des droits de trafic, notamment à Air France KLM, et enfin responsable de la fixation des redevances aéroportuaires qui constituent l’essentiel des ressources des aéroports, dont bien sûr Aéroports de uploads/Finance/audition-de-regis-turrini-25-janvier-2018.pdf
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- Publié le Jan 07, 2021
- Catégorie Business / Finance
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