Équipe Matisse Colloque International ÉTAT ET REGULATION SOCIALE COMMENT PENSER
Équipe Matisse Colloque International ÉTAT ET REGULATION SOCIALE COMMENT PENSER LA COHERENCE DE L’INTERVENTION PUBLIQUE ? 11, 12 et 13 septembre 2006 Institut National d’Histoire de l’Art 2 rue Vivienne – 75002 Paris De l’intérêt général à l’utilité sociale Transformations de l’État social et genèse du travailleur associatif Matthieu HELY Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006 De l’intérêt général à l’utilité sociale : transformations de l’État social et genèse du travailleur associatif Matthieu HÉLY, ATER (Université Paris X-Nanterre), Chercheur associé au Centre Maurice Halbwachs (UMR 8097), Équipe de recherche sur les inégalités sociales Résumé : L’objet de cette contribution est de retracer la généalogie de la notion équivoque « d’utilité sociale ». Fondée sur les résultats d’une enquête qualitative, elle met en évidence l’émergence de la catégorie du « travailleur associatif » dont la vocation est précisément de servir une fonction d’utilité sociale. Summary : The aim of this paper is to trace the history of the equivoqual notion of “social utility”. Based on the results of a qualitative survey, it highlights the emergence of the “non-profit worker” whose vocation is precisely to serve a socially useful function. Depuis la fin du XVIIIe siècle, la notion d’intérêt général s’est progressivement imposée en France comme un principe fondant la légitimité de l’État en définissant à la fois son objet et ses limites. Depuis la fin des années 1970 et les premières lois de décentralisation, la puissance publique n’a plus le monopole de l’intérêt général. Elle est désormais contrainte de le partager avec les acteurs de la « société civile ». Dans cette négociation, le secteur associatif occupe une position déterminante et contribue par la même à transformer la signification associée à la notion d’intérêt général. Pour marquer une rupture avec la conception transcendante de l’intérêt général telle qu’avait pu l’incarner la tradition républicaine, il tend ainsi à lui substituer celle « d’utilité sociale » (Engels X. Hély M. Peyrin A. Trouvé H., 2006). Dans le même temps, la forte « professionnalisation » du secteur associatif, que l’on peut appréhender a minima1 par l’explosion du nombre salariés employés par une association relevant de la loi de 1901 (de 700 000 salariés au début des années, ils seraient aujourd’hui près de 1 500 000 selon les estimations officielles), engendre l’élaboration d’une nouvelle forme de salariat de droit privé au service de l’action publique (Hély, 2005). Cette contribution se propose donc dans un premier temps de retracer brièvement la généalogie de la notion équivoque « d’utilité sociale » qui est à l’origine d’une nouvelle catégorie de salariés dont la consistance se fonde à la fois sur leur statut de droit privé et sur le service de fonctions relevant de l’action publique. C’est d’ailleurs à ce titre que nous les désignons comme relevant d’une seule et même figure : celle du « travailleur associatif ». Cependant, l’élaboration de cette catégorie est encore incertaine et indécise car elle s’incarne dans la pluralité des expériences vécues du travail associatif. C’est pourquoi, il s’imposait, dans un second temps, de décrire avec précision les différentes figures qui incarnent, chacune selon des modalités propres, ce professionnel au service de l’utilité sociale qu’est le travailleur associatif. 1. LA NOTION D’UTILITÉ SOCIALE OU LA CONSTRUCTION D’UN INTÉRÊT GÉNÉRAL « DÉSÉTATISÉ » La notion d’utilité sociale émerge dans un contexte de crise de celle d’intérêt général qu’il convient de rappeler dans un premier temps. Ensuite, elle transcende l’opposition entre droit public et droit privé tout en s’inscrivant dans la filiation juridique du concept d’intérêt général. Enfin, elle donne une légitimité à une nouvelle catégorie d’acteurs que l’on peut regrouper sous le terme de « travailleurs associatifs » et correspond ainsi à un nouvel âge de l’action publique 1.1. L’intérêt général en crise L'intérêt général est depuis toujours au cœur de la pensée politique et juridique française. Il apparaît comme le fondement de l'action publique dont il détermine les finalités et fonde la légitimité. Dans sa définition traditionnelle, le principe de l’intérêt général est généralement présenté comme 1 En effet, la « professionnalisation » du secteur associatif réside également dans un processus de rationalisation de la pratique bénévole. Pour une analyse approfondie voir notamment M. Simonet-Cusset (2004). De l’intérêt général à l’utilité sociale : transformation de l’État social et genèse… Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006 2 l'expression d'une volonté générale supérieure aux intérêts particuliers. Bien que systématiquement invoqué pour justifier les décisions politiques, il n’est nul part défini de façon précise et opératoire. L’intérêt général fait ainsi davantage figure d’idéologie dont la vocation est de légitimer l’action publique que d’un objectif à atteindre de façon rationnelle (Rangeon, 1986). D’où d’ailleurs son caractère indéfinissable par essence. De ce fait, la notion d'intérêt général est le principe régulant l'intervention des pouvoirs publics, mais aussi comme une notion de référence dans la définition d'autres notions clefs comme celles de « service public » ou de « domaine public ». La portée de la notion d’intérêt général, qui formait la clef de voûte d’une véritable théologie laïque fondée sur la référence à un « programme institutionnel » (Dubet, 2002), s’est aujourd’hui profondément affaiblie. Comme l’observe lucidement Dominique Schnapper, la transcendance sur laquelle elle forgeait sa légitimité s’est progressivement épuisée. Ainsi, l’administration n’est plus légitime « de plein droit » et par la seule invocation du principe sacré de l’intérêt général, mais doit faire la preuve concrète de son efficacité. C’est pourquoi les méthodes management importées du secteur privé sont désormais massivement appliquées dans la gestion des administrations. Les collectivités publiques étant sommées de se conformer, comme les organisations du secteur privé, aux règles de la « bonne gestion ». La décentralisation, en déplaçant le pouvoir du centre vers la périphérie, a fortement contribué à l’affaiblissement de l’intérêt général et au mythe selon lequel l’État en était l’incarnation directe et unique. L’injonction au partenariat et la gestion de proximité se sont ainsi imposés comme des dogmes. La circulaire relative aux rapports entre les collectivités publiques et les associations assurant des tâches d’intérêt général du 27 janvier 1975 remet ainsi explicitement en cause la conception centralisée et interventionniste qui était traditionnellement associée à la puissance publique (Cf. Encadré 1 : extraits de la circulaire n°2010 du 27 janvier 1975 du Premier ministre relative aux rapports entre les collectivités publiques et les associations assurant des tâches d’intérêt général (non publiée au journal officiel)). Elle indique le début d’une alternative aux difficultés exprimées sous la formule célèbre de « crise de l’État providence » (Rosanvallon, 1981). Les projets idéologiques issus des discours de l’action culturelle, du développement local, de l’insertion professionnelle et de la politique de la ville ont ainsi inauguré une nouvelle forme de régulation de l’offre de services associatifs. Par la rhétorique du projet, du réseau et du partenariat, ces dispositifs de l’action publique ont contribué au développement d’une large part du secteur associatif. Engagée depuis le début des années 1970 par des mesures favorisant l’autonomie locale, la politique de décentralisation a été amplifiée par la réforme de 1982. La réforme constitutionnelle effectuée en 2002 consacre désormais le caractère décentralisé de la République (article 1 de la Constitution) : les collectivités territoriales voient leur autonomie financière accrue et leur autonomie juridique renforcée (elles peuvent déroger à titre expérimental aux dispositions législatives et réglementaires qui les régissent). Encadré 1 : Extraits de la circulaire n°2010 du 27 janvier 1975 du Premier ministre relative aux rapports entre les collectivités publiques et les associations assurant des tâches d’intérêt général (Non publiée au journal officiel) L’état et les collectivités publiques n’ont plus le monopole du bien public. Dans bien des cas, c’est d’abord l’initiative privée qui a permis de répondre à des besoins. D’autre part, l’État et les collectivités locales, de même que les établissements publics, qui en relèvent, ont été amenés à confier des tâches d’intérêt général à des associations régies par la loi du 1er juillet 1901. Ces dernières participent ainsi, aux côtés de la puissance publique, à l’action sociale, culturelle, éducative, sportive ou en faveur des loisirs. Les principes fixés par la loi de 1901 permettent, en effet, à une association de participer à une mission d’intérêt général et éventuellement de gérer un service public, pratique confirmée par la jurisprudence. Néanmoins, la puissance publique ne peut laisser le soin aux associations de définir les orientations générales des politiques auxquelles elles contribuent. Elle ne peut davantage, dans la mesure où des associations fonctionnent avec des ressources publiques ou parapubliques, se dispenser de contrôler l’utilisation de ces ressources. C'est-à-dire que si toute mesure qui tendrait à porter atteinte à la liberté de création et de fonctionnement d’une association dont l’activité est licite est légitimement exclue par les textes en vigueur, les conditions de la collaboration des associations avec les pouvoirs publics demandent à être précisées. Cette collaboration, en dehors des textes législatifs ou réglementaires qui l’organisent, peut se traduire par des conventions conclues entre les pouvoirs publics, les organismes publics ou placés sous tutelle et les associations, soumettant ces dernières, en contrepartie des aides uploads/Finance/de-l-x27-interet-general-a-l-x27-utilite-sociale-matthieu-hely.pdf
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- Publié le Oct 01, 2021
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