n° 165 > octobre 2017 > 31 Pour comprendre les relations entre finance, innovat
n° 165 > octobre 2017 > 31 Pour comprendre les relations entre finance, innovation et croissance, il faut tout d’abord accep- ter le caractère incertain – et non pas risqué – de l’innovation. Incertain parce que rien ne permet de connaître les probabilités de succès d’une inno- vation. Pour autant, cela ne veut pas dire que la réussite d’une innovation est due à la chance. C’est l’attention et l’implication stratégique sur le long terme qui en détermine le succès. Joseph Schumpeter a été le pre- mier économiste à décrire avec finesse le lien entre la capacité d’innovation d’une économie, la performance des entreprises et le fonctionnement des marchés de crédit. Très connu pour sa description des cycles économiques, la qualification des différents types d’innovations et le rôle central qu’il accorde à l’entrepreneur, il l’est moins pour son analyse des marchés finan- ciers et particulièrement du rôle des banques. Pourtant, il accorde une place conséquente à ces thématiques dans son œuvre (Pénin, 2016). Pour lui, l’innovation nécessite un finan- cement adapté. Dans une société capitaliste, le rôle du banquier est de collecter les fonds nécessaires pour réaliser les nouvelles combinaisons que sont les innovations. Aujourd’hui, les banques traditionnelles fuient les activités innovantes incertaines aux- quelles se livrent les start-up. Ces dernières doivent alors chercher des financements alternatifs tels que le capital-risque, le crowdlending (prêt participatif), etc. Notre objectif, dans cet article, est de montrer l’importance des liens entre finance et innovation aux niveaux macro et microéconomique, en distinguant financement public et privé. Pour autant, nous ne visons pas une description exhaustive de l’en- semble des sources de financement possibles de l’innovation. Les entreprises se distinguent par leur taille, âge, structures financières et marchés auxquels elles s’adressent. Ces différences affectent leurs Le maquis du financement de l’innovation Les entrepreneurs innovants se heurtent à des réticences importantes de la part des marchés financiers et des banques pour financer leurs projets. Mais dans ce domaine crucial pour la croissance, de nouveaux acteurs, publics et privés, sont apparus avec pour objectif de remédier à certaines défaillances de marché en proposant des solutions innovantes. Auteurs Sophie Raedersdorf Auditeur financier PwC, chercheur au laboratoire BETA-CNRS, université de Strasbourg Thierry Burger-Helmchen Professeur, chercheur au laboratoire BETA-CNRS, université de Strasbourg 32 Les stratégies de rupture > économie & management besoins de financement. Ces besoins dépendent également du cycle de vie de l’indus- trie considérée. Une entreprise en place n’aura pas le même coût du capital qu’un nou- vel entrant. Aujourd’hui, il est clair que cer- taines bulles finan- cières peuvent être interprétées comme des processus massifs de mise à disposition de cré- dits dans le but d’installer de nou- velles révolutions technologiques (Perez, 2002). Nous savons également que les innovations n’apparaissent pas de manière linéaire mais en grappes (ou par vagues). Aussi, les modélisations financières qui suivent essentiellement une loi gaussienne sont souvent inadaptées pour captu- rer la vraie relation entre finance et innovation (Taleb, 2012). Dans un premier temps, nous nous concentrons sur les acteurs historiques du financement de l’innovation que sont les banques, les marchés finan- ciers et les acteurs publics. Leur rôle a très fortement évolué ces dernières années. Puis, nous traiterons des choix de financement de l’innovation interne aux entreprises et nous verrons que les outils managériaux utilisés ne sont pas neutres sur l’acceptation ou non d’un projet innovant. Nous évoque- rons, pour finir, les nouvelles sources de financement de l’innovation. Les acteurs historiques du financement de l’innovation Les marchés financiers, aide ou handicap ? Aujourd’hui, près de 20 % des entreprises françaises abandonnent leurs projets d’innovation à cause des difficultés d’accès au marché financier. Certaines se tournent alors vers d’autres sources de financement, l’autofinancement restant pour trois-quarts d’entre elles le principal levier financier pour mener à bien des projets innovants (Bessière et Stéphany, 2015). Il est à noter que la part des ressources propres des entreprises cotées en bourse fléchées vers le financement des innovations s’est fortement réduite ces dix der- nières années (elle a été divisée par deux aux États-Unis en dix ans). Les entreprises cotées préfèrent utili- ser leur capacité d’autofinancement pour des opérations de rachat d’ac- tions favorables à leurs actionnaires, au moins à court terme. Cependant, aucun travail rigou- reux ne permet de savoir si ce sont les besoins différents des entreprises qui sont à l’origine de différentes formes de financement ou si ce sont les différentes formes de finance- ment qui suscitent des propositions d’innovations différentes dans les entreprises. Les projets incertains dont les résultats ne sont perceptibles que dans un futur lointain sont souvent pénalisés par les marchés financiers. Lorsqu’en 2006, l’entreprise Micro- soft annonce qu’elle va s’engager dans un projet de recherche coûteux et incertain afin de concurrencer le moteur de recherche de Google, sa valeur boursière diminue de 11 % dans les 24 heures. La capitalisation boursière de Microsoft a donc perdu 32 milliards de dollars simplement parce que cette annonce ne cor- respond pas au type de risque lié à un projet innovant que les marchés souhaitent prendre. Heureusement, cette entreprise dispose d’une sur- face financière suffisante pour faire face à ce type de variation, mais il est certain qu’une entreprise plus petite n’aurait pas survécu. Cet exemple illustre bien l’impact que peuvent avoir les marchés financiers sur les innovations. Il est établi que les marchés finan- ciers sont inefficaces pour financer des projets très innovants et que cette difficulté s’accroît lorsque le projet est à un stade très éloigné de la commercialisation. La recherche fondamentale, la science ne sont pas des produits comme les autres et leur financement est difficile. Les financeurs sont alors très largement spécialisés dans différentes étapes du processus d’invention-innova- tion (business angels dans la phase amont, puis capital risque pour la phase industrielle, etc.). Néanmoins, de nombreuses études indiquent que cette forme de financement, où chaque acteur ne pense qu’à se désengager le plus rapidement pos- sible en poussant le projet vers l’étape suivante (et donc dans les mains d’un autre financeur), limite l’originalité des découvertes et réduit la perfor- mance d’ensemble (Mazzucato, 2013). Les marchés financiers font parfois preuve d’exubérance lorsqu’il s’agit de financer (et d’évaluer) des projets technologiques. Souvenez-vous de la bulle internet, nourrie avec soin entre 1995 et mars 2000, date de son écla- tement. En 1995, les entreprises de l’internet promettaient des potentiels de croissance fantastiques auxquels les investisseurs financiers ont répondu en fournissant massivement des capitaux (par exemple, l’entreprise Netscape, aujourd’hui disparue, atteint une capitalisation boursière de plusieurs milliards de dollars en quelques jours de cotation seulement). Les valorisa- tions financières n’ont rapidement plus aucun lien avec le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises jusqu’à l’éclatement de la bulle et la dispari- tion de près de 4 000 entreprises liées à l’économie de l’internet. Les banques privées : un problème d’offre ou de demande ? Les crises financières récentes montrent l’incapacité des modèles Les marchés financiers sont inefficaces pour financer des projets très innovants n° 165 > octobre 2017 > 33 financiers traditionnels à com- prendre la manière dont le risque est accumulé (voire dissimulé) grâce à différentes innovations financières (produits dérivés, credit default swap, etc.). De nombreuses études montrent que le risque d’une entreprise n’est pas bien mesuré par les banques, en particulier lorsque l’entreprise opère dans un secteur innovant ou lorsqu’elle est elle-même inno- vante. Les banques ne distinguent qu’avec difficulté l’origine du risque que court l’entreprise et ne savent pas évaluer les modèles d’affaires incorporant des innovations. En effet, ces modèles se basent essen- tiellement sur des actifs intangibles que la banque ne peut pas revendre en cas de faillite de l’entreprise. Les innovations, incertaines par nature, incorporent également une forte asymétrie d’information – l’innova- teur potentiel en sait toujours plus sur ses vraies chances de réussite que la banque elle-même. De plus, en cas de réussite de l’entreprise innovante, la banque ne récupère que le rem- boursement de son prêt en l’absence de participation au capital. En consé- quence, l’offre de crédits pour les entreprises innovantes est limitée. Toutefois, le financement de l’innovation connaît également un problème de demande. En effet, il n’y a pas suffisamment d’entreprises qui souhaitent déployer une stra- tégie de croissance. Aussi, les PME ont un accès plus facile au finance- ment mais malheureusement, celles qui ont des projets innovants appa- raissent comme les plus risquées et ne se font pas financer. S’il y avait davantage d’entreprises innovantes à la recherche de financements, elles n’apparaîtraient pas comme des investissements risqués négli- geables par rapport à la masse de demandes de financement de projets plus rentables. Au regard des variétés de capi- talisme, nous savons que dans un environnement financier en faveur de la prise de participation comme en Allemagne ou au Japon, les banques sont plus patientes quant à l’obtention des résultats de projets innovants que dans des pays au capi- talisme actionnarial plutôt guidé par la spéculation et le court-termisme (Tylecote et Visintin, 2008). Le financement public, le nouvel acteur stratège La dépense intérieure française de recherche et développement (DIRD) correspond aux travaux de R&D exécutés uploads/Finance/economie-et-management-nc2b0-165-octobre-2017.pdf
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- Publié le Jui 30, 2022
- Catégorie Business / Finance
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