Food & History, vol. 11, n° 2 (2013), pp. 35–59 doi: 10.1484/J.FOOD.5.102102 Il
Food & History, vol. 11, n° 2 (2013), pp. 35–59 doi: 10.1484/J.FOOD.5.102102 Ilias Anagnostakis Institut de Recherches Historiques, Section Byzantine (FNRS), Athènes, Grèce Noms de vignes et de raisins et techniques de vinification à Byzance. Continuité et rupture avec la viticulture de l’antiquité tardive Résumé Sources écrites, archéologie et analyses palynologiques nous procurent des renseignements sur les changements (continuité et rupture) survenus dans la viticulture romaine et byzantine dans la péninsule grecque, l’Asie Mineure et les îles. Une com- paraison entre les noms des cépages et certaines techniques de vinification mentionnés par les sources grecques de l’époque romaine et protobyzantine (iie siècle av. J.-C.-vie siècle ap.) et ceux de l’époque proprement byzantine (viiie-xiie siècle) con- duit à des résultats très révélateurs sur le changement survenu dans la viticulture. Mots-clés Viticulture gréco-romaine et byzantine Asie Mineure Bithynie Chypre Crete rupture et changement ampélographie grecque Géoponiques cépages raisins vinification Abstract Written sources, archeology and pollen analysis provide us with information about the changes (continuity and rup- ture) which affected Roman and Byzantine viticulture in the Greek peninsula, the Aegean islands and Asia Minor. A comparison between the names of varieties, as well as some winemaking techniques mentioned by the Greek sources of Roman and Early Byzantine (second century BC-sixth/sev- enth century AD), and those attested during the Byzantine era (eighth-twelfth centuries) leads to very enlightening results. Keywords Greek-Roman and Byzantine viticulture Asia Minor Bithynia Cyprus Crete changes Geoponica vine varieties grapes wine making techniques Noms de vignes et de raisins et techniques de vinification à Byzance 37 Les noms des cépages et des raisins byzantins que nous allons présenter, il faut le préciser au préalable, ne sont que l’aboutissement d’une recherche purement historique et philologique effectuée en notre qualité de byzantinologue,1 malgré notre recours fréquent à l’ampélographie et aux analyses génétiques et palynologiques. Il s’agit du résultat d’un dépouillement presque exhaustif aussi bien des sources byzantines, papyrus et inscriptions inclus, que des sources ori- entales ou latines qui se réfèrent à la viticulture et aux vins de l’Empire Romain d’Orient, à savoir de Byzance. Cette présentation, dont j’aimerais qu’elle soit davantage qu’une énumération, plus qu’un lexique, fournit l’occasion appro- priée d’aborder dans ses grandes lignes le problème majeur de la continuité ou de la rupture après le viie siècle relatives à certaines pratiques viticoles de l’antiquité. Il est généralement admis qu’il y a eu continuité des pratiques agraires, malgré un changement profond dû à des raisons climatiques, politiques et sociales. Ici, nous aborderons plutôt une rupture qui peut être clairement repé- rée dans la dénomination des cépages et dans l’éclipse totale de leur descrip- tion. Ainsi, la question de la continuité ou de la rupture avec l’antiquité tardive peut aussi être abordée par une approche purement ampélographique.2 Sur cette rupture dont témoignent les sources écrites, archéologie et analyses palynologiques nous procurent des renseignements complémentaires concer- nant le changement survenu dans la viticulture méso-byzantine. Une simple comparaison entre les noms des cépages3 mentionnés par les sources grecques 1 La bibliographie en grec que nous utilisons le plus souvent dans cet article comporte les titres suivants (translittérés ou traduits) : Oinon istoro III, Ampelanthismata, ed. Yannis PIKOULAS (Épanomi- Thessalonique, 2004); Oinon istoro V, Vin Monemvasios- monovas(i)a- malvasia, ed. Ilias ANAGNOSTAKIS (Athènes, 2008); Ilias ANAGNOSTAKIS, “Vin et raisins chez Eustathe de Thessalonique” (Κουκοῦβαι και τριγέρων οἶνος: Σταφύλια και κρασιά στον Ευστάθιο Θεσσαλονίκης), in Oinon istoro III, Ampelanthismata…, pp. 75-109; Ilias ANAGNOSTAKIS, “Noms et chronologie de malvasia” (Ονομάτων επίσκεψη: Μονεμβάσιος Οίνος-Μονοβασ(ι)ά-malvasia), in Oinon istoro V, Vin Monemvasios- monovas(i)a- malvasia…, pp. 89-146; Ilias ANAGNOSTAKIS, Civilisation byzantine du vin. L’exemple de la Bithynie (=Βυζαντινός οινικός πολιτισμός. Το παράδειγμα της Βιθυνίας) (Athènes, 2008). 2 Sur les grands problèmes de la continuité du monde agraire, et surtout de sa transformation, voir les approches les plus récentes présentées dans la bibliographie suivante : Chris WICKHAM, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean, 400-800 (Oxford, 2005); P. Nick KARDULIAS, From Classical to Byzantine: Social Evolution in Late Antiquity and the Fortress at Isthmia, Greece (Oxford, 2005); Peter SARRIS, “Review Essay. Continuity and Discontinuity in the Post – Roman Economy”, Journal of Agrarian Change 6.3 (2006), pp. 400-413; Peter SARRIS, “Introduction: Aristocrats, Peasants and the Transformation of Rural Society, c. 400-800”, Journal of Agrarian Change 9.1 (2009), pp. 3-22; Marc WHITTOW, “Early Medieval Byzantium and the End of the Ancient World”, Journal of Agrarian Change 9.1 (2009), pp. 134-153. Sur la continuité de certaines pratiques, continuité qui va de pair avec une décadence du savoir, Géométries du fisc byzantin, édition, traduction, commentaire Jacques LEFORT et al. (Paris, 1991), pp. 19-31. 3 Toujours utile, le vocabulaire latin des cépages antiques dans l’article de Jacques ANDRÉ, “Contribution au vocabulaire de la viticulture: les noms de cépages”, Revue des études latines, 30 (1952), pp. 126-156. Voir aussi, Basile LOGOTHÉTIS, Contribution de la vigne et du vin à la civilisation de la Grèce et de la Méditerranée orientale (Thessaloniki, 1975) en grec, surtout pp. 118 ff.; André 38 Ilias Anagnostakis de l’époque romaine et protobyzantine (iie siècle av. J.-C.-viιe ap.) et ceux de l’époque proprement byzantine (viiie-xiie siècle) conduit à des résultats très révélateurs. Hormis celle des Géoponiques, qui transmettent la réalité viticole des agronomes anciens, grecs et latins, il n’existe aucune description byzantine, aucune mention d’un cépage ou d’un raisin par sa dénomination pendant plus de cinq siècles. Si l’on compare par exemple la richesse des renseignements viticoles fournis par les agronomes et les médecins grecs tardo-antiques avec la pénurie qui caractérise l’époque méso-byzantine, on peut parler, sinon de rupture, de changement radical. Vignes et raisin en Bithynie romaine et protobyzantine d’après les Géoponiques et les médecins Pour mettre en relief ce changement, il suffit de comparer le témoignage viti- cole des agronomes tardo-antiques avec tout ce qui suit, ou plus exactement avec tout ce dont nous ne disposons pas, à savoir le silence ampélographique qui règne après le viie siècle. À titre d’exemple, prenons une région, la Bithynie, et un texte, les Géoponiques, ce fameux recueil qui doit peu aux ve-vie siècles et encore moins au xe siècle, dates de sa constitution.4 Dans les Géoponiques, TCHERNIA, Le Vin de l’Italie romaine. Essai d’histoire économique d’après les amphores (Rome, 1986), pp. 184-188, 450-357 et Andrew DALBY, Food in the ancient world from A to Z (London, 2003), pp. 164-166. Nous avons également utilisé avec profit Georgios BANILAS et al.,“Olive and grapevine biodiversity in Greece and Cyprus. A Review”, in E. LICHTFOUSE (ed.), Climate change, intercropping, pest control and beneficial microorganisms (Berlin-Heidelberg, 2009), pp. 401-428; quant au vocabulaire, l’histoire des noms, l’étymologie des cépages et surtout la bibliographie relative, voir Pierre RÉZEAU, Dictionnaire des noms de cépages de France (éditions du CNRS, Paris, 1998, réimpr. Paris, 2008). 4 Geoponica sive Cassiani Bassi scholastici de re rustica eclogae (que nous appellerons désormais Géoponiques), ed. H. BECKH (Leipzig, 1895, repr. 1994) et la traduction française de Jean- Pierre GRÉLOIS et Jacque LEFORT, Géoponiques (Paris, 2012). Les commentaires de l’édition de Niclas demeurent valables, voir Ioannes N. NICLAS, Geoponicorum sive de re rustica libri XX (Leipzig, 1781). Quatre études récentes exposent l’état de la recherche ainsi que presque toute la bibliographie précédente sur les Géoponiques in Martin WALLRAFF, Laura MECELL (eds), Die Kestoi des Julius Africanus und ihre Überlieferung (Berlin/New York, 2009): Carlo SCARDINO, “Die griechische landwirtschaftliche Literatur in arabischer Überlieferung am Beispiel des Anatolius”, pp. 145-195; Robert H. RODGERS, “Julius Africanus in the Constantinian Geoponica”, pp. 197-210; Christophe GUIGNARD, “Une source peut en cacher une autre: Africanus et les recettes des Géoponiques relatives à l’huile d’olive (IX.21-27)”, pp. 211-242; Christophe GUIGNARD, “Sources et constitution des Géoponiques à la lumière des versions orientales d’Anatolius de Béryte et de Cassianus Bassus”, pp. 243-344. - Nous choisissons, néanmoins, quelques travaux d’intérêt particulier sur les Géoponiques qui contiennent aussi une riche bibliographie sur le sujet : Paul LEMERLE, Le premier humanisme byzantin (Paris, 1971), pp. 288-292; Robert H. RODGERS, “Κηποποιία: Garden Making and Garden Culture in the Geoponika”, in A. LITTLEWOOD et al. (ed.), Byzantine Garden Culture (Washington D.C., 2002), pp. 159-176; Αngelo Α. CARRARA, “Geoponica and Nabatean Agriculture: A New Approach into Their Sources and Authorship”, Arabic Sciences and Philosophy 16 (2006), pp. 103-132; Michael DECKER, Noms de vignes et de raisins et techniques de vinification à Byzance 39 les citations de Florentinos, originaire de Bithynie romaine,5 fournissent la description détaillée de cinq variétés caractéristiques des vignobles de sa région au iiie siècle de notre ère : aminnios, mersitis, drosallis, leukothrakia ou leukè, et bôlènè.6 Ce sont des vignes arbustives, dendritides (δενδρίτιδες) et anadendrades (ἀναδενδράδες), certaines tardives comme aminnios ampelos (ἀμίννιος) qui prospère dans la région de Tarsia et de Boanè, “monte jusqu’à 16 pieds” et produit un vin excellent.7 La vigne dite mersitis (μερσῖτις), assez répandue en Asie Mineure et surtout en Bithynie, est la meilleure de toutes les variétés et se plaît à s’accrocher aux arbres les plus hauts. Elle porte en abon- dance sur l’ensemble du cep des grappes très sucrées au jus semblable à du nec- tar (dont les abeilles se délectent), au pédoncule le plus uploads/Geographie/ anagnostakis-2013.pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
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