L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 40 18 ée en 1899, disparue en 1997, Anita Co

L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 40 18 ée en 1899, disparue en 1997, Anita Conti a traversé ce siècle en femme li- bre, défrichant elle-même le chemin de son destin. Les ailes de sa liberté, elle che. En même temps, elle continue de s’ins- truire grâce aux livres. De la mer, elle veut tout connaître : son histoire, sa géographie, sa phy- sique, sa chimie, sa faune et sa flore. Premiers embarquements avec les profession- nels de la pêche, sur les harenguiers en Man- che, les voiliers-morutiers bretons : Anita Conti découvre le rude univers des travailleurs de la mer. Elle observe, prend des notes, des pho- tos, publie une série d’articles dans le quoti- dien La République. En 1935, l’Office scienti- fique et technique des pêches maritimes (OSTPM, ancêtre de l’Ifremer) l’invite à partici- per au lancement du premier navire européen de recherche océanographique, un bâtiment fi- nancé par l’Etat français, le Président Théo- dore Tissier. En tant que journaliste, mais aussi Anita Conti Pionnière de l’océanographie, écologiste avant la lettre, écrivain, photographe, Anita Conti a passé sa vie sur les océans, observatrice discrète et obstinée du monde de la mer et de la pêche femme-océan G Mireille Tabare Photos Anita Conti N les a déployées en vivant jusqu’au bout, inten- sément, sa passion pour la mer. Naviguant sur tous les types de navires, gros bateaux de pê- che ou frêles pirogues, bâtiments militaires ou océanographiques. «J’ai une sorte de vice pro- fond. Je voudrais comprendre l’incompréhen- sible, saisir ce qui ne peut se retenir, arrêter le vent...» De sa famille d’origine arménienne, cultivée et voyageuse, Anita Conti a hérité très tôt du goût pour la vie libre et les horizons lointains. Enfant, elle découvre l’océan sur les côtes bre- tonnes et vendéennes, elle apprend à nager, à naviguer, elle embarque avec les pêcheurs. Elle suit ses parents dans leurs innombrables péri- ples au travers de l’Europe et de l’Orient, Ber- gen, Gibraltar, Istanbul, Athènes... En 1914, la famille se réfugie dans l’île d’Oléron. Des an- nées bénies pour la jeune fille, qui pratique la navigation à voile, s’adonne à la lecture, réa- lise ses premières photographies. Après la guerre, Anita Conti s’installe à Paris, exerce pendant quelques années le métier de relieuse d’art, domaine dans lequel elle excelle. Il lui faut un ancrage social, elle se marie en 1927. Mais l’attraction de la mer est toujours aussi forte : «Dès que je mets le pied à bord, je vol- tige !» La jeune femme partage sa vie entre les salons parisiens et le pont des bateaux de pê- L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 40 19 comme spécialiste du monde de la pêche, Anita Conti prend part à une série de campagnes dans le golfe de Gascogne, la mer d’Irlande, à Terre- Neuve. La science océanographique est encore balbutiante et les connaissances très fragmen- taires. Afin de faciliter le travail des pêcheurs professionnels, il est devenu urgent de dresser des cartes précises pour toutes les zones de pêche. Une œuvre de pionnier qui convient parfaitement à Anita. Avec passion, elle ob- serve, mesure, collecte des données sur les fonds marins, la température des eaux, leur profondeur, leur salinité, et étudie l’influence de ces paramètres sur le comportement des poissons. Les cartes de pêche sont encore lacunaires pour les régions arctiques. En 1939, Anita Conti embarque à Fécamp sur le Vikings, un chalu- tier-morutier à vapeur, pour une campagne de trois mois dans le Grand Nord, par-delà le 75e parallèle. Ses rapports viennent nourrir le fonds de documentation de l’OSTPM. Elle y consigne des observations personnelles d’une impor- tance capitale. Avec quelques collègues, elle tire des conclusions très alarmistes sur la surexploitation des océans et les conséquen- ces, à terme désastreuses, de la pêche indus- trielle. Posant les jalons d’une prise de cons- cience à venir sur la problématique environ- nementale, elle alerte l’opinion : «La mer n’est pas une ressource inépuisable !» La deuxième guerre mondiale va offrir à Anita Conti l’occasion d’étendre son champ d’ob- servation jusqu’aux mers chaudes d’Afrique. Après plusieurs mois passés au service de la Marine nationale sur des bateaux de pêche ré- quisitionnés pour le dragage des mines en Manche, elle s’embarque, en 1941, sur le Vo- lontaire, un chalutier qui fuit avec quelques autres vers les rivages de la Méditerranée et de l’Afrique, afin de continuer la pêche et ravi- tailler les populations. Pendant plus de deux ans, passant d’un navire à l’autre, Anita Conti suit les marins français dans leurs campagnes le long des côtes sahariennes et africaines. Les pêcheurs remontent dans leurs filets des espè- ces de poissons inconnues sous nos latitudes. «Des poissons déconcertants !» se souvient Anita, qui découvre elle-même un monde nou- veau. Elle accumule les informations sur les Ci-dessus, une des premières photographies d’Anita Conti, sur l’île d’Oleron, 1918 ; ci-contre et page de gauche, Anita Conti à bord du Bois Rosé, vues sur le pont et dans les couchettes, Terre-Neuve, 1952. L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 40 20 L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 39 20 zones de pêches, établit des cartes, des rap- ports qu’elle envoie à l’OSTPM. En même temps, elle s’intéresse aux techniques de pêche loca- les. En 1943, le gouvernement d’Alger confie à l’océanographe la mission d’évaluer les res- sources maritimes ouest-africaines et d’étudier les moyens de développer la pêche tradition- nelle. Son terrain d’investigation : 3 000 kilo- mètres de côtes dont elle va explorer systéma- tiquement, pendant une dizaine d’années, les rivages, les vasières, les marigots, les estuai- res. Elle étudie les fonds marins, les zones de pêches, elle recense les différentes espèces de poissons que l’on rencontre dans les mers chau- des, analyse leur valeur nutritive. On la retrouve en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire, partageant la vie des pêcheurs, ob- servant leurs traditions. Elle étudie les moyens d’améliorer les méthodes de capture, les pro- cédés de conservation. Elle installe des pêche- ries, implante des fumeries, fonde en 1946 une pêcherie expérimentale de requins à Conakry. ment du profit ajouté à nos progrès techniques nous entraînent au pillage des océans.» Au cours des années suivantes, tout en conti- nuant ses études océanograhiques et ses tra- versées – elle s’intéresse au requin-pèlerin, par- ticipe à une mission de plongée en Méditerra- née à bord du Président Théodore Tissier –, Anita Conti s’implique encore davantage dans sa lutte pour la sauvegarde des ressources océa- niques, pour un développement harmonieux de la pêche, et contre la malnutrition. En 1953, elle publie un premier livre, Racleurs d’océans, relatant la campagne de pêche du Bois Rosé, puis un second en 1957 sur son expérience afri- caine, Géants des mers chaudes. Elle s’indi- gne du gaspillage sur les bateaux de pêche : «J’ai vu tant d’efforts perdus, tant de masses de bêtes, de débris tout frais retomber dans cette mer dont ils venaient d’être arrachés. Les bateaux [...] rejettent des tonnes de matières alimentaires : ailleurs, des territoires entiers sont privés de nourriture.» Pour combattre ce gâchis, elle fait campagne pour la réutilisation industrielle des «faux-poissons» – ces indési- rables que l’on rejette à l’eau – et des débris. Elle entreprend de promouvoir des espèces méconnues, comme le poisson-sabre, et de faire évoluer les habitudes alimentaires. Elle réflé- chit sur les possibilités d’équiper les bateaux de pêche de systèmes de capture sélectifs. Mais il ne suffit pas de limiter le gaspillage. «Les économies de cueillette ne peuvent durer qu’un instant de l’histoire. Il va falloir dépas- ser le stade archaïque de la destruction.» Pour- quoi ne pas élever des poissons qui seraient destinés à l’alimentation des populations et au repeuplement du milieu marin ? Pionnière dans le domaine de l’aquaculture, Anita en fait l’ex- périmentation au début des années 60, le long de la côte Adriatique, en élevant des poissons en milieu naturel, dans des cages immergées Ci-dessus, détente à bord, Dakar, 1945 ; ci-contre, au large de Conakry, vers les îles de Los, Guinée, vers 1945 ; page de droite, chargement de charbon de bois, Casamance, Sénégal, vers 1946 ; pêche aux requins, au large de la Guinée, 1947. . Racleurs d’océans, éd. André Bonne, rééd. Hoëbeke, 1993 Géants des mers chaudes, éd. André Bonne, rééd. Hoëbeke, 1993, édition poche Payot, 1997 L’Océan, les bêtes et l’homme, éd. André Bonne, 1971 «L’horizon poursuivi recule, et rien, jamais, ne s’arrête» Petit à petit, Anita Conti se retrouve mise à l’écart des institutions. A partir de 1947, c’est en électron libre qu’elle poursuit ses recher- ches et expérimentations sur le territoire afri- cain. Elle crée au Sénégal sa propre entreprise, les Pêcheries d’Outre-Mer, afin de poursuivre ses études océanographiques, favoriser l’essor de la pêche locale et améliorer le régime ali- mentaire des populations. Mais une telle en- treprise n’est pas rentable ! Les difficultés s’ac- cumulant, Anita Conti décide en 1952 d’aban- donner la partie, et rentre à Paris. Sa soif de la mer et de la découverte l’entraîne à nouveau vers l’Atlantique Nord. En juillet 1952, l’éternelle voyageuse embarque à Fé- camp sur uploads/Geographie/ anita-conti-femme-ocean.pdf

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