LES CLASSIQUES DU PEUPLE BABEUF TEXTES CHOISIS IN T R O D U C T IO N E T N OTES
LES CLASSIQUES DU PEUPLE BABEUF TEXTES CHOISIS IN T R O D U C T IO N E T N OTES P A R CLAU D E M A Z A U R IC A G R É G É D E L ’ U N IV E R SITÉ ÉDITIONS SOCIALES 168, rue du Temple, PARIS (3e) Service de vente : 24, rue Racine, PARIS (6e) Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction réservés pour tous les pays, © 1965, Éditions Sociales, Paris. BABEUF (1760-1797) Pourquoi Babeuf sort-il de nos jours de la pénombre où Pavaient laissé les historiens du xixe siècle jusqu’à Jaurès — à tout le moins, la plupart de ceux dont le métier fut d’écrire l’Histoire ? Pourquoi ce regain, ici d’intérêt, là de ferveur ou de mépris ? Pourquoi cette floraison de recherches nou velles et de publications sur Babeuf et sur ses compagnons ? Il n’est guère facile de répondre à de telles interrogations, mais constatons le fait patent cjue voici : de Babeuf, victime parmi les premières de la réaction bourgeoise, guillotiné neuf années seulement après la prise de la Bastille et l’immense envolée d’espoir de 1789, la pensée et l’action excitent la curiosité des historiens et de leurs lecteurs. Il n’est pas d’année qu’en U.R.S.S., en France, en Angleterre, en Italie, en Alle magne, en Norvège ne paraissent quelques informations ou quelques grandes études sur Babeuf et sur les babouvistes : ici dans une revue savante et de faible tirage, là dans de gros ouvrages de large diffusion. La curiosité des chercheurs est toujours en éveil : une fois la voie ouverte, les érudits s’y précipitent. Mais l’analyse ne saurait en rester à cette élé mentaire psychologie de l’historien. Au temps du communisme qui s’installe sur un tiers de la planète, nous ne sommes point étonnés que l’un des précurseurs d’une idéologie qui triomphe profite des succès de prestige d’un monde qui lui doit au moins une partie de ses rêves, de ses formulations, de ses buts. Aussi, un véritable renouveau des études babouvistes est-il parti d’U.R.S.S. dans les années 1920-1930. La Réforme fit connaître le christianisme primitif ; le socia lisme réalisé réhabilite l’utopie socialiste et ceux qui prétendirent lui donner vie. D’autant que, prenant ses distances avec Vutopie, le socialisme scientifique contemporain peut en donner l’image exacte et critique qui marque sa grandeur et ses limites. Il est possible au milieu du xxe siècle de dire ce qui n’était même pas imaginable au milieu du siècle dernier lorsque le babouvisme était encore ligne de conduite. Du même coup, on peut juger mieux et mieux unir « l’étude des morts à celle des vivants » selon le mot de Marc Bloch. 8 BABEUF S’il est une correspondance possible entre les phrases pas sionnées et audacieuses de Babeuf et nos espoirs actuels de justice et de paix, que ce soit au fil de la lecture de ces extraits qu’elle apparaisse pour notre joie et notre profit. I. LE JEUNE BABEUF (1785-1789) L’ébranlement révolutionnaire de 1789 n’a pas surpris Babeuf. S’il n’avait pas à cette date un corps de doctrine cohérent et un programme établi, du moins ses idées essen tielles étaient-elles déjà affirmées et ses préoccupations éga litaires et communistes solidement ancrées. L a jeunesse de Babeuf. Né en 1760 à Saint-Quentin, François-Noël Babeuf est de la génération de Robespierre et plus encore de celle de Saint- Just. Sa jeunesse, son adolescence se sont déroulées au milieu des grandes crises politiques, idéologiques et économiques qui marquent la fin de l’Ancien Régime. Aîné d’une famille nom breuse et peu aisée, il peut paraître surprenant que Babeuf ait reçu une éducation intellectuelle. Il fut pourtant instruit par son père, Claude Babeuf, soldat condamné pour désertion, amnistié en 1755 et devenu employé des gabelles, autodidacte par nécessité et pédagogue à ses heures. Claude Babeuf enseigna à son fils, non sans user de brutalité, le français tel qu’il s’écrit, l’arithmétique et la géométrie. Ainsi, paradoxe s’il en est, Babeuf, qui n’était pas d’origine bourgeoise, acquit néanmoins la faculté de participer en toute lucidité aux grands débats de pensée de ce troisième quart du xvme siècle. Mais, si Babeuf ne peut être crédité d’une formation intellectuelle de la qualité de celle d’un Robespierre, du moins est-il patent que son savoir, plus encore que l’origine sociale et la profession de son père, le faisait émerger des couches les plus opprimées de la société de l’Ancien Régime. Babeuf, socialement, s’inscrit dans cette catégorie si nombreuse au xvme siècle d’acteurs, de journa listes, de serviteurs administratifs qui se situe au niveau où s’enchevêtrent la petite bourgeoisie déclassée et les plus éman cipés des travailleurs sans biens propres; milieu duquel sont sortis tant de révolutionnaires de 1789. Au fait des documents fiscaux, par la grâce de son père, François-Noël est très tôt placé dans la domesticité d’un grand de la région de Roye en Picardie, Monsieur de Bracquemont; BABEUF 9 en 1777, il s’y trouve comme apprenti feudiste. Situation pré caire, puisqu’en 1779 il est engagé à trois livres par mois par un greffier de communauté à Flixecourt. En 1780, orphelin de père, il doit contribuer à l’entretien de sa famille; sa tâche d’aîné d’une famille nombreuse, il devra la remplir presque jusqu’à sa mort. En novembre 1782, Babeuf se marie avec une ancienne femme de chambre de Madame de Bracquemont, qu’il avait connue au temps de son premier emploi. Le couple s’installe à Roye, et en 1785 s’établit dans une grande maison; c’est là que Babeuf, qui ne déménagera pour le pauvre quartier Saint-Gilles de Roye qu’en 1788, peut acquérir une position indépendante. Il y ouvre un cabinet d’arpenteur-géomètre et de commissaire à terrier. Jusqu’en 1787, son métier lui assure sinon l’aisance matérielle, car bien des honoraires qui lui sont dus ne lui seront jamais payés, du moins les moyens d’une vie décente pour sa famille et lui-même. A partir de cette année-là, la misère s’installe dans son foyer ; elle y restera jusqu’à sa mort. Le métier de Babeuf en Picardie. « Le terrier, écrira plus tard Babeuf\ était un recueil énu- mératif des biens domaniaux, féodaux et censuels d’une terre, et en général de tous les droits et appartenances qui en dépen daient. » Commissaire à terrier ou feudiste, la profession de Babeuf était de retrouver ou d’établir la liste des droits sei gneuriaux pesant sur les terres, au profit de l’aristocratie fon cière, pour « éviter prescriptions et envahissements ». Or, depuis le début du siècle, malgré leur absentéisme et leur mépris affecté des professions enrichissantes, la noblesse et la bourgeoisie propriétaire, dans leur ensemble, cherchaient à renforcer les formes traditionnelles de l’exploitation seigneuriale pour tenter d’éviter les conséquences de la hausse des prix sur la stabilité de leurs revenus : aspect particulier de cette réaction féodale, dont l’opposition de la noblesse aux tentatives de réformes administratives ou fiscales est un aspect plus connu. Le rôle de Babeuf, comme celui de multiples autres de ces feudistes dont la pratique et les pensées sont encore mal connues, consistait donc à servir la noblesse dans ses objectifs les plus rétrogrades. Babeuf l’a servie sans doute avec talent puisqu’en 1787 il en arrivait à vivre presque dans l’aisance. Mais de ce métier Babeuf tire un profit tout autre et en apparence para doxal; il écrira en 1795 : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble. » Il est certain que Babeuf connut, bien mieux que d’autres révolutionnaires, la nature de l’exploitation des paysans par l’aristocratie foncière; d’où la précision de ses IO BABEUF analyses aussi bien dans ses premiers écrits de 1785-1789 que dans les périodes postérieures. Si François-Noël, parti à la découverte du monde, avait travaillé en Normandie, province voisine de la sienne, il n’eût sans doute pas fait grand cas de ce type d’exploitation des paysans par les seigneurs, tout simplement parce que la décré pitude s’emparait de cette forme d’oppression seigneuriale; mais en Picardie, encore pays de champart, si l’on excepte quelques grands seigneurs touchés par l’anglomanie, puis par les doctrines économiquement progressives de la physiocratie, comme le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, le maintien des anciennes formes de l’exploitation féodale demeurait la règle. A cela s’ajoutait un double fait gros de conséquences pour la paysannerie : i° La pression démographique, caractéristique du siècle, multipliait les partages de terres, rejetait de la masse des paysans, peu ou prou nantis, une masse plus grande encore de pauvres journaliers et d’exploitants sans terres qui erraient de terroir en terroir à la recherche d’un labeur occasionnel. 2° Dans ces campagnes surpeuplées, la paysannerie subissait d*un côté la réduction progressive des droits collectifs ancestraux dont elle avait joui (droits de glanage, de vaine pâture, d’usage des biens communaux) et, de l’autre, les effets de la concen tration agraire des parcelles dans de grandes fermes, acquises par ceux des laboureurs qui, ayant bon an mal an un surplus à vendre, profitaient de la hausse des prix. De sorte que uploads/Geographie/ babeuf-textes-choisis-introduction-et-notes-par-claude-mazauric-paris-editions-sociales-1965.pdf
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- Publié le Jan 13, 2021
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