Maurice Besnier Jupiter Jurarius In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 18

Maurice Besnier Jupiter Jurarius In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 18, 1898. pp. 281-289. Citer ce document / Cite this document : Besnier Maurice. Jupiter Jurarius. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 18, 1898. pp. 281-289. doi : 10.3406/mefr.1898.8174 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1898_num_18_1_8174 JUPITER JURARIUS Parmi tant d'épithètes que les Romains ont accolées au nom de Jupiter (1), on ne rencontre que deux fois celle de Iurarius. Aucun écrivain ancien ne la cite. Elle se lit uniquement sur deux inscriptions, trouvées toutes les deux pendant la seconde moitié de ce siècle, et encore dans l'une la lecture du mot 'a paru suspecte et dans l'autre il est écrit en abrégé. La leçon qu'ont proposée les éditeurs de la première est pourtant bonne, et les éditeurs de la seconde ont eu raison de s'y référer pour expliquer leur texte: Jupiter fut réellement honoré à Rome sous le nom de Jupiter Iurarius. Mais il y a plus: ces deux ins criptions, quoique découvertes en des villes différentes, s'éclai rent réciproquement. Leur rapprochement permet d'élucider un petit point d'histoire religieuse et nous donne sur l'un des temples antiques de l'île Tiberine un précieux renseignement. La première inscription a été ramenée à la lumière à Rome même, dans l'île Tiberine. Au mois de mars 1854 des ouvriers qui travaillaient dans le sous-sol de l'église Saint-Jean Calibite et des édifices attenants constatèrent, à plusieurs mètres sous le niveau actuel de l'ile, l'existence d'un pavement de mosaïque; des petits cubes blancs en pàlomhino, encastrés dans le ciment sombre du fond, y dessinaient plusieurs mots (2) : C-VOLCACI C-F HAR· DE -STIPE IOVI I'VRARIC////////////////}NIMENTOM (1) La liste en est dressée dans le Lexicon der Mythologie de Roscher, II1, p. 750-754. (2) Giornale di Roma, 1854, η08 80 et 82. — Canina, Bullet t. dell' Instit. Ì854, p. xxxvir. — Fac-similé publié par Ritschl, Priscae 282 JUPITER JURARIUS. Il manquait au milieu neuf lettres environ. Visconti, qui com muniqua le premier cette trouvaille à l'Académie Pontificale, fut d'avis qu'il fallait lire: (Ex sententia) C(ai) Volcaci C(aï) f(ilii) liar(uspicis) de stipe Ioui lurario (factuni m)onimentom. "Sur l'avis de Caius Volcacius, fils de Caius, haruspice, ce „ monument fut élevé à Iupiter Iurarius avec Γ argent du „ trésor (1) „. L' épithète Iurarius était jusqu'alors complètement inconnue. Visconti supposa que iurarius venait de iure, comme mune- rarius de munere, turarius de ture, etc. Jupiter Iurarius, c'est Jupiter considéré spécialement comme protecteur des serments, garant des promesses faites, vengeur de la foi jurée. Les Grecs vénéraient de même Ζευς ορκιος (2), qu'ils prenaient à témoin de leurs engagements (3); le dieu avait à Olympie, dans la curie, sa statue, " qui remplissait d'effroi les hommes perfi- „ des (4) „, nous dit Pausanias. "Ορκιος, dérivé de όρκος, se rment, est tout à fait analogue, par le sens et l'étymologie à Iurarius. Orioli a contesté l'opinion de Visconti (5). Il s'est refusé à déchiffrer comme lui l'un des mots de l'inscription, le plus im- latinitatis monumenta, planche LIX A, d'après les papiers soumis par Visconti à l'Académie Pontificale. — C. I. L., I (Ie éd.), 1105; VI, 379. — L'inscription n'est plus visible; on a construit sur la mo saïque un mur nouveau. (1) La même expression de stipe se lit sur une autre inscription de l'île Tiberine, C. 1. L., VI, 7, et sur une inscription de Capoue, C. L L., X, 3781. (2) Preller, Griechische Mythologie, I, p. 120. — Bruchmann, Epi theta deorum, p. 136. (3) Cf. Sophocle, Philoctete, 1324. — Euripide, Hippolyte, 1025. (4) Pausanias, V, 24, 2, ο δέ εν τω βουλευττιρίω πάντων όπόσα άγάλ- αατα Διός αάλιστα Ις ε'χ~λγ)ξίν αδίκων ανδρών ττεποί ηται, εττίκλησις ρέν "Ορ/.ιός εστίν αΰτω, έχει δέ εν έκατερα κεραυνόν χειρί. (5) Orioli, Bullett. delVInstit., 1856, p. v. JUPITER JURARIUS. 283 portant. Il y a entre ΓΙ et l'V de lurario un petit trait ver tical fort apparent (1). Dans un document d'une aussi belle graphie, où les lettres, très grandes, ne sont pas dessinées ni gravées, mais construites minutieusement point par point, ce trait doit avoir sa raison d'être. D'après Orioli, la première lettre du mot est une L, à vrai dire assez gauche: IOVI LVRARIO. Il faut voir en Jupiter Lurarius le dieu qui soigne les maladies de la lura, c'est-à-dire les maux d'estomac. Auprès de la mosaïque on recueillit dans le sol un grand nombre d'ex- vofcos de terre cuite, représentant diverses parties du corps: les fidèles que le dieu guérissait les lui offraient en signe de re connaissance. Le principal sanctuaire d'Esculape était situé dans l'île Tiberine, en face justement de l'endroit où fut trouvée l'in scription: il était naturel d'associer au dieu de la médecine un Jupiter médecin. La thèse d'Orioli ne saurait cependant être admise. Le terme Lurarius est aussi nouveau et inattendu que celui de Lurarius. L'L qu'Orioli croit reconnaître ne ressemble en rien à l'autre L du même texte, qui est incontestable, l'L du mot VOL- CACI. Autant celle-ci est belle et droite, autant l'autre serait grossière et informe, à peine marquée. On ne doit pas s'arrêter ii ce point mal fait, et sa présence à droite de l'I de lurarius ne suffit pas à infirmer la lecture de Visconti. L'existence d'of frandes médicales auprès du sanctuaire s'explique aisément, et point n'est besoin d'imaginer un dieu de la lura. Peut-être appartiennent-elles aux fauissae du temple d'Esculape, qu'on aura creusées à quelque distance de ce temple même, et à côté de celui de Jupiter. Peut-être aussi le voisinage d'Esculape avait-il réag. à la longue sur le culte de Jupiter lurarius; on (l) On le voit bien sur le fac-similé de Ritschl. 284 JUPITER JURARIUS. l'avait adoré d'abord comme le dieu des serments et de la bonne foi ; mais les attributions de Jupiter étaient multiples et variées ; maître tout-puissant de l'air et du ciel, principe de toute force, on l'invoquait souvent à ce titre comme un dieu salutaire et bienfaisant ; à lui aussi les malades s'adressèrent pour obtenir le soulagement de leurs infirmités, et ils lui consacrèrent des ex-votos en échange de ses bons offices. On n'ignorait pas avant 1854 qu'il y avait dans l'île du Tibre un temple de Jupiter; mais aucun document ne nous faisait savoir sous quel vocable il était dédié. Vitruve, en une phrase obscure et équivoque, parle de ce temple en le rappro chant de celui de Faunus, et peut-être en le confondant avec lui (1). Ovide rappelle que dans l'île Jupiter était associé à Esculape et que leurs deux fêtes se célébraient le même jour, aux kalendes de janvier (2). Tite Live dit que le temple de Jupiter fut promis au dieu en 554/200 par le préteur Lucius Furius Purpureo vainqueur des Gaulois à Crémone (3), bâti dans l'île par ce même personnage pendant son consulat quatre ans plus tard, et inauguré en 560/194 par le duumvir C. Servilius (4). L'inscription de l'île Tiberine, qui remonte au plus tôt, d'après Ritschl, à la fin du VIe siècle de Rome, est venue s'ajouter à tous ces témoignages; elle les confirme et les complète; elle fixe avec certitude l'emplacement même de l'édifice, et nous connaissons enfin par elle le nom particulier qu'y recevait Jupiter. (1) Vitruve, III, 2 ; il le donne comme exemple d'édifice prostyle : huius exemplar est in insula tiberina in aede louis et Fauni. (2) Ovide, Fastes, I, v. 290: Sacrauere patres hac duo templa die v. 293: Iuppiter in parte est. Cepit unus locus utrumque Iunctaque sunt magno templa nepotis auo. (3) Tite Live, XXXI, 21. (4) Tite Live, XXXIV, 53. JUPITER JÜRAEIÜS. 285 On a publié en 1888 une inscription de Brescia ainsi conçue(l): Ι Ο M IVR DCS I(oui) o(ptimo) m(aximo) iur. d{e) c{onscriptorum) s{ententia). Les lettres IVR ne peuvent être qu'une abréviation de lu rarius. C'est ainsi que l'entendent Mommsen et Païs, qui ont relevé l'inscription; leur interprétation se fonde sur le texte de 1854, tel que Visconti l'a établi et que l'adopte le Corpus. Mais il n'est pas indifférent de remarquer en quelle ville l'inscription de 1888 fut recueillie. Brescia est l'antique Brixia, ville de la Gaule cisalpine, non loin de Crémone. Relisons les cha pitres où Tite Live raconte la campagne de Lucius Furius Pur pureo (2). Après la deuxième guerre punique les Gaulois de la Cisalpine, Insubres, Cénomans, Boïens, se soulevèrent en masse contre Rome ; ils prirent et saccagèrent la colonie de Placentia (Plaisance) ; ils mirent le siège devant celle de Cremona (Crémone). Le préteur, L. Furius Purpureo, qui commandait la province, réunit une armée à Arretium (Arezzo) et marcha par Ariminium (Rimini) contre les Gaulois. La bataille eut lieu sous les murs de Crémona. Le préteur fit vœu, s'il remportait la victoire, d'élever un temple à Jupiter. Les Cénomans étaient les plus redoutables de ses adversaires, et Brixia, voisine de Crémona, était la capitale des Cénomans (3). L'inscription de 1888 nous montre qu'on honorait à Brixia Jupiter lurarius, ou pour mieux (1) Païs, C. I. L. Supplemento, italica, I, addita/menta al C I. L., V, dans les Atti uploads/Geographie/ besnier-jupiter-jurarius.pdf

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