GIBRAN • M I L L E • ET • UNE • N U I T S - GIBRAN Le Prophète Traduit de l'ang
GIBRAN • M I L L E • ET • UNE • N U I T S - GIBRAN Le Prophète Traduit de l'anglais par Guillaume Villeneuve Avec une postface de Sélim Nassib É D I T I O N S M I L L E E T U N E N U I T S GIBRAN n° 13 Texte intégral Titre original : The Prophet © Éditions Mille et une nuits, janvier 1994 pour la traduction française et la postface. ISBN: 2-910233-13-8 Sommaire Khalil Gibran Le Prophète page 5 Sélim Nassib Le mystère du Prophète page 87 Vie de Khalil Gibran page 93 Repères bibliographiques page 95 GIBRAN Le Prophète Le Prophè te Almustafa, l'élu et le bien-aimé, aube pour son propre jour, avait attendu douze ans dans la ville d'Orphalese qu'accoste le bateau du retour au pays natal. Quand vint la douzième année, au septième jour d'Ielool, le mois des moissons, i l gravit la colline en dehors des remparts et contempla la mer : son bateau arrivait, escorté par la brume. Alors les portes de son cœur s'ouvrirent à toute volée, sa joie s'élança loin sur les eaux. Fermant les yeux, i l pria dans les silences de son âifte. Comme i l redescendait, la tristesse s'abattit sur lui ; i l se dit : Comment partirai-je dans la paix, sans chagrin ? C'est l'esprit blessé que je quitterai cette ville. Longs furent les jours de souffrance passés derrière les remparts, longues les nuits de solitude ; et qui peut quitter sa douleur et sa solitude sans regret ? Trop nombreuses les bribes d'esprit que j'éparpillai dans ces rues, trop nombreux les enfants de ma lan- gueur à fouler nus ces collines : je ne saurais m'en abs- traire sans une pesante douleur. 7 Cl BRAN Ce n'est pas un habit que je rejette aujourd'hui, mais ma peau que je déchire de mes propres mains. Ce n'est pas davantage une pensée que je laisse der- rière moi, mais un cœur adouci par la faim et la soif. Mais i l ne faut pas tarder plus longtemps. La mer, qui appelle toutes choses à elle, m'appelle à embarquer. Car rester, même si les heures brûlent dans la nuit, c'est geler, se pétrifier, se figer dans un moule. J'emporterais volontiers tout ce qui se trouve ici. Mais comment ? Le son ne peut emporter la langue ni les lèvres qui lui donnèrent naissance. 11 part seul vers l'éther. Seul sans son nid l'aigle traverse le soleil. Or quand i l fut au pied de la colline, il se tourna de nouveau vers la mer, vit le bateau approcher du port et sur sa proue les matelots, ceux de sa terre. Son âme cria vers eux ; il dit : Fils de mon antique mère, vous chevaucheiu-s des flots, Vous avez si souvent vogué sur mes rêves ! Et main- tenant vous survenez à mon réveil, qui est mon rêve plus profond. Je suis prêt à partir et mon ardeur, toutes voiles dehors, attend le vent. 8 I.K l'ItOIMliTK Je ne respirerai plus qu'une seule bouffée de cet air stagnant, ne jetterai qu'im seul autre regard d'amour, Puis me tiendrai parmi vous, un nautonier parmi ses |)airs. Et toi, vaste mer, mère assoupie. Qui seule es libre paix pour le fleuve et la rivière. Ce bras de mer n'a plus qu'un méandre à faire, un seid murmure dans ce hallier. Avant que je ne t'arrive, goutte d'infini dans l'océan d'infinité. Et tandis qu'il marchait, i l vit de loin les hommes et les fenunes quitter leurs champs, leurs vignes, pour se hâter aux portes de la ville. 11 entendit les voix prononcer son nom, se héler de pré en pré pour annoncer l'arrivée du bateau. Il songea : Le jour qui nous éloigne sera-t-il aussi celui des retrouvailles ? Dira-t-on que cette veille fut en réalité mon aube ? Et que donnerai-je à celui qui laissa sa charrue au milieu du sillon, à qui arrêta la meule du pressoir ? Mon cœur va-t-il devenir un arbre chargé de fruits que je puisse cueillir pour les leur donner ? Mes désirs couleront-ils en fontaine où je remplisse leurs coupes ? 9 Suis-je harpe que la main du puissant puisse me tou- cher, fliite pour que son souffle me traverse ? Un chercheur de silences, voici ce que je suis, mais quel trésor ai-je trouvé dans ces silences, à livrer avec assurance ? Si c'est le jour de ma moisson, dans quels champs ai-je semé la graine, en quelles saisons oubliées ? Si vraiment c'est l'heure où lever ma lampe, ce n'est pas ma flamme qui y brûle. Vide et obscure la lampe que je dresse. Et c'est le gardien de la nuit qui l'emplira d'huile et l'allumera aussi. Telles furent les choses qu'il s'exprima. Mais la plu- part restaient muettes en son cœur. Car i l ne pouvait avouer lui-même son plus profond secret. À son entrée dans la ville, tous vinrent à lui qui criaient d'une seule voix. Et le conseil des anciens s'avança et dit : Ne nous quitte pas déjà. Tu as été le plein midi pour notre crépuscule, ta jeu- nesse nous a donné des rêves à rêver. Tu n'es pas un étranger chez nous, ni un hôte, mais notre fils très aimé. Ne permets pas encore que nos yeux aient faim de toi. 10 I.K l'ItOPlIKTK Et les prêtres comme les prêtresses lui dirent : Que les vagues de la mer ne nous éloignent pas maintenant, que les années vécues parmi nous ne deviennent pas un souvenir. Tu as passé tel l'esprit, ton ombre fut lumière sur nos visages. Nous t'avons beaucoup aimé. Mais cet amour restait muet, voilé de voiles. Pourtant, à cette heure, il s'écrie à voix forte, vou- drait se dresser devant toi. Car l'on sait bien que l'amour ignore toujours sa propre profondeur jusqu'au jour des adieux. D'autres aussi s'approchèrent, pour le supplier. Mais il ne répondait pas. Il se contentait de pencher la tête; ceux qui se tenaient tout près virent les lannes tom- ber sur sa poitrine. 11 se dirigea, suivi du peuple, vers la grande place devant le temple. Sortit alors du sanctuaire une femme appelée Almi- tra. C'était une devineresse. 11 la dévisagea avec une extrême tendresse car c'est elle qui était venue le chercher et avait cru en lui dès son arrivée dans la ville. Elle le salua en ces termes : Prophète de Dieu, en quête d'absolu, t u as long- 11 cil)Il \ temps scruté les lointains à la recherche de ton bateau. Le voici arrivé et tu dois partir, de toute nécessité. Tu aspires d'une grande ardeur à la terre de tes sou- venirs, à la demeure de tes vrais désirs ; notre amour ne veut pas te lier ni nos besoins te retenir. Nous ne te demanderons qu'une chose avant que tu nous quittes, que tu nous parles et nous livres de ta vérité. Et nous la donnerons à nos enfants, qui la diront aux leurs, et elle ne périra pas. Dans ta solitude, tu as veillé avec nos jours, pendant tes veilles, tu as prêté l'oreille aux pleurs et aux rires de notre sommeil. Ouvre-nous donc à nous-mêmes, apprends-nous ce qui te fut montré d'entre naissance et mort. Il répondit : Peuple d'Orphalese, de quoi puis-je parler sinon de ce qui remue en cet instant au sein de vos âmes ? Almitra reprit : parle-nous de l'Amour. Il releva la tête, considéra la foule, soudain tran- quille. 11 parlait d'une voix puissante : Quand l'amour te fait signe, suis-le. Même si ses voies sont escarpées et pénibles. Quand ses ailes te couvriront, cède-lui, 12 I.i: l'IlOI'IIKÏK Même si te blesse l'épée cachée dans ses ailerons. Lorsqu'il te parlera, crois-le. Même si sa voix dévaste tes rêves, tel le vent du Nord au jardin. Car l'amour couronne, mais i l te crucifiera aussi. I l servira à ta croissance conune à ton ébranchage. S'il jaillit jusqu'à ta cime, caresse tes branches très tendres qui frémissent au soleil, 11 descendra jusqu'aux racines pour secouer leur étreinte dans la terre. Telles des gerbes de blé i l te recueille en lui. Il te bat pour te mettre à nu. Il te passe au crible pour t'affrancliir des mortes peaux. 11 te moud jusqu'à la blancheur. 1 1 te pétrit pour une parfaite fluidité ; Enfin, il te confie à son feu sacré, que tu deviennes le pain sacré du festin sacré de Dieu. Tout cela, l'amour vous le fera afin que vous sachiez les secrets de votre cœur et deveniez, par cette con- naissance, un fragment du cœur de la Vie. Mais pénétré de crainte, tu voudrais ne chercher que la paix et le plaisir de l'amour. Alors il vaut mieux couvrir ta nudité, passer au large de son aire, -» 13 CIIÎH w Dans ce inonde sans saisons où tu riras, mais pas de tout ton rire, pleureras, mais pas toutes tes larmes. Uamour uploads/Geographie/ le-prophete-khalil-gibran.pdf
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- Publié le Mai 20, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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