E Cah. Agric. 2016, 25, 45005 © T. Jemaa et al., Published by EDP Sciences 2016

E Cah. Agric. 2016, 25, 45005 © T. Jemaa et al., Published by EDP Sciences 2016 DOI: 10.1051/cagri/2016030 ARTICLE DE RECHERCHE / RESEARCH ARTICL Disponible en ligne : www.cahiersagricultures.fr Les systèmes d’élevage de petits ruminants en Tunisie Centrale : stratégies différenciées et adaptations aux transformations du territoire Tasnim Jemaa1,*, Johann Huguenin2, Charles-Henri Moulin3 et Taha Najar1 1 Département des ressources animales, halieutiques et technologies agro-alimentaires, Institut National Agronomique de Tunis. Avenue Charles Nicolle, Tunis 1082, Tunisia 2 Systèmes d’élevage méditerranéens et tropicaux, Cirad-ES TA C-112, 34398 Montpellier Cedex 5, France 3 Systèmes d’élevage méditerranéens et tropicaux, Institut National de Recherche Agronomique (INRA), 2 place Pierre Viala, 34060 Montpellier Cedex, France Résumé – En Tunisie centrale, l’élevage ovin reste très présent, malgré les nombreuses perturbations auxquelles il fait face depuis les années 1970 : aléas climatiques, évolutions socio-économiques et culturelles, développement des cultures. Ces évolutions entraînent une diminution des ressources issues des parcours. Il s’agit de comprendre comment des familles maintiennent une activité d’élevage dans ce contexte. L’étude a été menée grâce à une enquête réalisée en 2012-2013 chez 60 éleveurs. Quatre systèmes d’élevage ont été identifiés. Trois systèmes reposent sur l’élevage de brebis et la production d’agneaux plus ou moins finis. Les « pasteurs transhumants » utilisent la mobilité à grande distance pour accéder à des parcours de végétation spontanée, gérés par l’État. Les « agriculteurs-éleveurs » utilisent le pâturage des chaumes et d’autres ressources issues des terres cultivées, ce qui leur donne une plus grande capacité d’adaptation face aux changements. Les « pluriactifs » se révèlent les plus affectés par l’occupation des terres par les cultures, au détriment des parcours dont leur élevage dépend encore. Dans ces systèmes naisseurs, une forte proportion d’éleveurs pense diminuer leurs effectifs, voire même abandonner l’activité d’élevage, face aux difficultés qu’ils rencontrent. Un quatrième système, les « négociants-engraisseurs », s’est fortement développé, fondé sur l’engraissement au grain d’agneaux achetés, sans élevage de brebis. Cette activité est rentable à court terme, mais s’avère toutefois vulnérable face aux variations des prix des compléments alimentaires. Mots clés : système / typologie / pratique / pâturage / ovins / Maghreb Abstract – Sheep breeding in Central Tunisia: varied strategies and adaptations to changes in land use. Sheep breeding in central Tunisia remains widespread, despite the many problems it had to face since the 1970s: climate hazards, socio-economic and cultural changes and the development of cropped area. These changes have led to a decrease in forage resources from rangelands. The aim of this study was to understand how families are able to maintain sheep breeding in such a context. The study involved a survey among a sample of 60 farmers in 2012-2013. We identified four types of livestock systems. Three types are based on the raising of ewes and the production of lean or fat lambs. “Transhumant pastoralists” are using long-distance mobility to access rangelands with wild vegetation, managed by the State. “Crop-Livestock” farmers use stubble for pasture, along with other resources derived from farmed land and have a greater adaptive capacity to cope with changes. Multi- active families are the most affected by the extension of crops at the expense of rangelands. For these three systems, many farmers are thinking of decreasing their number of ewes or even giving up sheep farming, due to the difficulties they face. A fourth “trader-fattener” system is strongly developing, based on fattening purchased lean lambs with grain, without raising ewes. This activity is profitable in the short term but is vulnerable to price fluctuations of feed supplements. Keywords: ovine / system / typology / practice / pasture / Maghreb * Auteur correspondant : benjemaatasnim@yahoo.fr This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by- nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, excepted for commercial purposes, provided the original work is properly cited. T. Jemaa et al. : Cah. Agric. 2016, 25, 45005 Page 2 de 9 1 Introduction Jusque dans les années 1970-80, l’élevage au Maghreb était principalement extensif, du type pastoral (Bourbouze, 2006). Ce pastoralisme maghrébin était marqué par la mobilité des troupeaux et des hommes ainsi que par la persistance d’un usage collectif des espaces (Bourbouze, 2000). De nombreux facteurs sont à l’origine des évolutions de cet élevage, tels que le climat, les activités anthropiques, ou les changements sociaux. Par exemple, en Tunisie, en lien avec la croissance démographique et les évolutions clima- tiques, les surfaces de parcours ont diminué de 20 % entre les années 1980 et 2000 (Kayouli, 2000). La raréfaction de ces ressources n’a pourtant pas entraîné une baisse des effectifs des animaux, au contraire. De 1960 à 2000, le cheptel ovin a été multiplié par trois pour atteindre sept millions (Elloumi et al., 2011). Il s’est ainsi créé un déséquilibre entre les besoins du cheptel et le disponible alimentaire permis par les parcours. La pratique de la transhumance s’est nettement réduite en raison de l’extension des cultures. La réduction de la mobilité a conduit les éleveurs à pratiquer des séquences de pâturage de longue durée sur les mêmes espaces de parcours, qui peuvent entraîner une évolution défavorable de la végétation spontanée. Le climat et les changements de mode de gestion ont participé dans d’autres régions du monde à la désertification des zones pastorales, d’où l’importance de l’adaptation des systèmes d’élevage de ruminants (Hetem et al., 2011). L’usage des parcours reste une stratégie adaptée pour l’élevage dans les zones arides et semi-arides présentant de fortes variabilités climatiques (Ruppert et al., 2015). La complémentation peut être réalisée à la fois par des ressources fourragères issues des cultures ou l’utilisation de concentrés. Celle-ci est à présent très pratiquée dans le Maghreb (Bourbouze, 2006). En revanche, le développement de systèmes fondés sur les prairies semble limité (van Vuuren et Chilibroste, 2013). Face aux évolutions rapides du contexte, les familles qui restent dans l’activité d’élevage peuvent donc développer différentes stratégies d’adaptation. L’objectif de l’étude est d’identifier les différentes voies d’adaptation concrètement mises en œuvre ces dernières années dans un territoire donné. Nous avons choisi la Tunisie Centrale, zone à ancienne vocation pastorale, devenue à présent fortement marquée par l’agriculture. Il s’agit de comprendre comment des familles maintiennent une activité d’élevage, selon les contraintes auxquelles elles ont eu à faire face. Il s’agit également d’apprécier la place actuelle du pâturage dans cette région connue auparavant par l’impor- tance de la transhumance et l’usage des parcours et d’identifier les alternatives développées par les éleveurs pour s’en passer. 2 Matériels et méthodes 2.1 Présentation de la région d’étude La Tunisie centrale était encore entièrement pastorale en 1960. Elle est devenue fortement agricole et le secteur de l’élevage a dû s’adapter (Ben Salem, 2011). Les terres de parcours ne représentent plus que 17 % de la superficie de la région (27 019 km2). L’élevage est essentiellement ovin, Fig. 1. Les quatre gouvernorats étudiés en Tunisie centrale. Fig. 1. The four governorships studied in central Tunisia. avec très peu de caprins, et se concentre dans de petites exploitations, détenant en moyenne une cinquantaine de têtes (Rekik et Ben Hammouda, 2000). Cela est dû en partie au processus de privatisation des terres, dès les années 1970, réalisé dans le cadre de programmes de développement des cultures (Ben Saad et Bourbouze, 2010). Malgré les mises en valeur agricoles soustrayant au pâturage une part importante des surfaces, le cheptel ovin n’a pas cessé de croître. Il est ainsi passé de 1 377 870 brebis en 2005 à 1 442 600 brebis en 2011 (ONAGRI, 2016), soit un taux d’accroissement annuel de 0,8 %. Nos travaux ont été réalisés dans les quatre gouvernorats de la région Centre : Kasserine, Sidi Bouzid Kairouan et Siliana (Fig. 1). Le climat est de type semi-aride à aride avec une période sèche de mai à août. 2.2 Le contexte pastoral Dans la zone, le terme « parcours » désigne toute surface qui peut être pâturée, y compris les jachères et les résidus de récoltes. L’accès aux surfaces pour le pâturage est de plus en plus monétarisé. Tableau 1. Variables retenues pour l’analyse multi-variée et leurs modalités. Table 1. Variables for the multivariate analysis and their modalities. Variables Modalités Profession 1 : éleveur / 2 : agriculteur / 3 : autre Possession de terres agricoles oui / non Type de pâture 1 : chaumes / 2 : parcours naturels / 3 : parcours amélioré / 4 : parcours naturels et chaumes Effectif ovin 1 : moins de 50 têtes / 2 : entre 50 têtes et 100 têtes / 3 : Plus de 100 têtes Race ovine 1 : Barbarine / 2 : Queue fine de l’Ouest / 3: les deux races Complémentation fourragère 1 : foin / 2 : sous-produits agricoles Période de complémentation 1 : de juin à janvier / 2 : toute l’année Type de concentrés utilisés 1 : orge / 2 : son de blé / 3 : orge et son de blé Abreuvement possible à l’étable oui / non Abreuvement possible au pâturage oui / non Allotement oui uploads/Geographie/ cagri-160018.pdf

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