Florian Opillard École des Hautes Études en Sciences Sociales Ce que nous ensei
Florian Opillard École des Hautes Études en Sciences Sociales Ce que nous enseigne la lecture d’Eric Dardel 30 septembre 2013 · par Florian Opillard · dans Academics. · L’homme et la Terre. Nature de la réalité géographique[1] par Florian Opillard Résumé : Il n’est pas aisé d’être géographe en décalage avec son époque. L’oubli de l’œuvre de Éric Dardel L’homme et la Terre. Nature de la réalité géographique dans le contexte de la géographie française des années 50 donne une bonne illustration de la mise au ban d’un écrit qui mérite pourtant que l’on s’y attarde. Cet article propose de donner des pistes pour éclairer les effets de contextes qui ont pu contribuer à l’oubli, puis à la redécouverte de l’œuvre du géographe plus de 30 ans après sa parution. Cet article est issu d’une présentation orale de l’auteur au cours du séminaire « Territoire et ville dans les sciences sociales » à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, en avril 2011. Il fait suite à un entretien avec Mme Violaine Dardel-Weber, fille d’Éric Dardel, le 19 octobre 2010. Éric Dardel est d’abord un auteur de géographie classique pour qui « il s’agit […] de prendre au sérieux l’énoncé fondateur de la géographie classique selon lequel la géographie est la discipline qui a affaire aux relations de l’Homme et de la Terre »[2]. Cette affirmation est vraie, si l’on prend le temps de considérer les différentes publications antérieures à celle qui fait l’objet de cet écrit[3]. On trouve cependant en germes à la fois dans le parcours académique, ainsi que dans le milieu social du géographe les termes du tournant qu’il opère à la fin des années 40 dans ses travaux, et qui se concrétisent par la publication de L’homme et la Terre. Nature de la réalité géographique. Or, ça n’est qu’à la fin des années 70 que ce dernier écrit sera redécouvert par les géographes français, italiens et anglo-saxons. C’est donc sur cet écrit particulier que ce texte propose de s’attarder, pour tenter d’expliciter à la fois ce qui a pu être problématique dans le contexte scientifique de sa première publication en 1952, et formuler ce qui l’actualise aujourd’hui en tant que matériau épistémologique. 1. 1. Le contexte de production et de publication de L’homme et la Terre Le parcours de l’intellectuel Dardel est issu d’une famille protestante, et il restera très impliqué dans la foi toute au long de sa vie, détail qui nous le verrons, comporte son importance. En 1925, il obtient l’agrégation d’histoire-géographie. Il enseigne cette discipline dans quatre lycées différents à Sens, Rouen et Paris. Dans les années 30, alors qu’Éric Dardel est professeur au lycée Corneilles de Rouen, il côtoie Simone de Beauvoir puis Jean-Paul Sartre, eux aussi professeurs au lycée, sans jamais vraiment les rencontrer. Pour autant, il reste intéressé par la philosophie. Il soutient sa thèse d’histoire moderne et contemporaine à la Sorbonne en 1941, avec entre autres dans le jury Ernest Labrousse, Augustin Renaud et Max Sorre. Il est en parallèle professeur dans le lycée Janson de Sailly. Il fonde en 1945 le lycée expérimental Jean-Jacques Rousseau avec l’aide de Gustave Monod, dont il devient proviseur en 1947. Il occupera ce poste jusqu’à la fin de sa carrière. Il fait par ailleurs rapidement la rencontre de Maurice Leenhardt, son beau-père, et d’Henry Corbin, son beau-frère. Il est « toute sa vie passionné par l’Histoire des idées, celles des mythes et des relations entre l’Histoire et les mythes » nous précise Philippe Pinchemel dans sa biographie[4]. À ce titre, l’influence de Leenhardt fut sans doute déterminante dans la direction que prirent les travaux de Dardel dans les années 40. Leenhardt contribue sans doute à orienter Dardel vers l’ethnologie et l’engagement pour la Nouvelle Calédonie. En parallèle, Henry Corbin, un des premiers traducteurs de M. Heidegger joue un rôle déterminant dans la tournure philosophique que prennent les travaux de Dardel, dans lesquels on trouve des références à Bachelard, Heidegger, Jaspers, Kierkegaard, Merleau-Ponty, Sartre ou encore Ricoeur. Il est d’ailleurs très proche de ce dernier, dont il était un re-lecteur occasionnel. Il fréquente enfin la famille Saussure, dans laquelle il se lie d’amitié avec Éric, le fils de Ferdinand de Saussure, fondateur du structuralisme linguistique. Son intérêt pour la foi se manifeste enfin dans ses publications, qui contribueront à l’éloigner de la géographie. Il rédige alors pléthore de recensions d’ouvrages et d’articles consacrés à « La religion dans son essence et ses manifestations » en 1949, « L’expérience humaine du sacrifice » en 1949, ou encore « Histoire du protestantisme » en 1950, dans des revues d’histoire religieuse notamment. « Pourquoi n’avons-nous pas lu Éric Dardel » En 1987, Claude Raffestin questionnait dans un texte publié dans les Cahiers de géographie du Québec cette génération de géographes « qui aurait pu (aurait-elle dû ?) lire le petit volume de Dardel publié en 1952 ». [5] Sonnant à la fois comme un mea culpa et un reproche envers la communauté des géographes français, le propos de Claude Raffestin sonnait comme une incitation à explorer les raisons d’une mise au ban d’un texte aujourd’hui devenu fondamental. Les premiers éléments d’explication tiennent à la position académique du géographe. Malgré le fait que Dardel ait publié quatre articles dans les Annales de géographie de 1923 à 1935, il reste en effet professeur de lycée. Il n’accèdera jamais à un poste d’université. C’est ici en se penchant sur le parcours d’un géographe prédécesseur, Elisée Reclus, que l’on peut comprendre à quel point cette position intermédiaire joue dans la reconnaissance de l’auteur par les milieux universitaires. Si aujourd’hui Élisée Reclus n’est pas considéré comme un tenant de la géographie classique vidalienne, c’est notamment parce que la possibilité d’accéder à un poste universitaire lui fut toujours refusée par les tenants de cette même géographie classique, alors même que ses productions de géographie étaient connues et reconnues[6]. Dans le cas de Dardel, sa position d’enseignant au lycée Janson de Sailly, qu’il conserve alors qu’il obtient sa thèse, sinon lui subtilise, du moins ne facilite pas son accès au milieu fermé de la géographie universitaire, dont Max Sorre, qui fait partie de son jury de thèse, est l’un des tenants. Par ailleurs, Éric Dardel est issu d’un milieu protestant (sa mère était alsacienne), et son intérêt pour la transmission de la foi d’une part, et l’attention qu’il portait aux textes religieux d’autre part ont porté son attention vers d’autres domaines que celui de la géographie. Toujours est-il que le rapport qu’il entretient au savoir en général et à la connaissance géographique en particulier est fortement déterminé par sa foi. Ce rapport à la connaissance géographique est d’autant plus frappant lorsqu’on revient au parallèle établi avec les travaux d’Elisée Reclus, dont la trajectoire est étonnamment similaire : également protestant, passionné de géographie, les descriptions qu’il produit dans sa Géographie Universelle sont charnelles, le style est littéraire, au même titre que Dardel. Le titre de leur œuvre charnière est d’ailleurs le même, et il a lui aussi tenté de monter un établissement d’enseignement qu’il a eu bien des difficultés à faire reconnaître. Ce sont donc aussi des préoccupations personnelles qui mènent Dardel vers d’autres milieux, qui sont principalement les milieux de l’ethnologie à partir desquels il s’intéresse aux mythes, de la théologie, et ceux de la philosophie : il est aujourd’hui considéré comme une des personnes ayant contribué à faire connaître Kierkegaard, Heidegger et Jaspers en France. Lorsque Dardel produit son œuvre L’homme et la Terre en 1952, la géographie n’est pas prête ni à accueillir, ni à plébisciter de tels travaux. Faisons donc un détour par le contexte scientifique de l’époque pour éclairer les raisons du manque d’intérêt des géographes pour l’œuvre de Dardel. La géographie classique vidalienne s’intéresse principalement à l’humanisation des milieux naturels, en réaction au déterminisme géographique théorisé par l’école allemande, sous l’influence de naturalistes tels qu’Alexandre de Humboldt, de Karl Ritter ou Friedrich Ratzel. C’est lorsque la géographie classique met l’accent sur les combinaisons, dans l’héritage direct du possibilisme théorisé par Lucien Febvre et Vidal de la Blache qu’elle se dote d’un objet propre. Elle devient alors science des configurations spatiales et des formes d’organisation régionales. Si on ne devait citer qu’un géographe classique, citons André Cholley pour sa vision englobante, qui dans son Guide de l’étudiant en géographie de 1942 précise que « les combinaisons de la géographie humaine font intervenir non seulement les faits physiques, mais aussi les faits biologiques, enfin les éléments humains ». Comme le souligne Paul Claval dans son Épistémologie de la géographie de 2007[7], c’est cette conception de la démarche géographique qui prévaut des années 1920 aux années 1960. Le poids écrasant de la géographie classique dans le paysage disciplinaire de l’époque ne permet alors pas l’émancipation d’autres « courants », qui demeurent phagocytés jusque dans les années cinquante. Malgré cela, la « nouvelle géographie » fait discrètement son chemin dès la fin du XIXème siècle. Ce que cette géographie possède de nouveau est alors un regain d’intérêt pour les sciences économiques, notamment uploads/Geographie/ ce-que-nous-enseigne-la-lecture-d-x27-eric-dardel-florian-opillard.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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