Jacques Amouroux, Paul Siffert, Jean-Pierre Massué, Simeon Cavadias, Béatriz Tr

Jacques Amouroux, Paul Siffert, Jean-Pierre Massué, Simeon Cavadias, Béatriz Trujillo, Koshi Hashimoto, Phillip Rutberg et Sergey Dresvin Le dioxyde de carbone, la molécule-clé de la chimie du développement durable Le dioxyde de carbone la molécule-clé de la chimie du développement durable Jacques Amouroux est professeur Émérite et directeur du Laboratoire de Génie des procédés plasmas et traitements de surface de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Paris ParisTech. Ce chapitre donne un extrait d’un travail de synthèse de quatre années destiné à faire le point de la recherche et du développement dans le domaine de la valorisation du dioxyde de carbone, synthèse qui a été présentée le 22 mars 2011 au Parlement européen (STOA). 1 Une molécule-clé pour l’avenir de la planète Le dioxyde de carbone est une molécule qui nous est très fa- milière, responsable du stoc- kage de l’énergie solaire par photosynthèse ayant produit au cours des millions d’an- nées le charbon, le pétrole, le gaz naturel… Enfi n, cette molécule nous est connue par son dégagement sous forme de bulles de champagne (Fi- gure 1) ! Mais soupçonnons-nous jusqu’à quel point nous pouvons en tirer un usage bénéfi que et durable pour notre avenir ? Nous allons effectivement voir que le dioxyde de car- bone se présente comme une molécule-clé, pour trois pro- blèmes vitaux : les ressources alimentaires, l’effet de serre et les besoins énergétiques. , 210 La chimie et la nature 1.1. Le problème de l’effet de serre Depuis des milliards d’an- nées, le dioxyde de carbone stocke l’énergie solaire via la photosynthèse. Ce processus naturel permet de dévelop- per la végétation et de nour- rir la vie sur notre planète, et en particulier celle de la population humaine grâce à l’agriculture (Figure 2). Cette même molécule est aussi l’un des acteurs de la climatisation de notre planète par l’effet de serre : sa concentration détermine en partie le climat et son évolution1. Pour toutes ces raisons, le dioxyde de carbone est véri- tablement une molécule-clé dans planétaire à long terme et nous retiendrons qu’il est, sans discussion possible, un indicateur de la consomma- tion des réserves de carbone fossile. Examinons les stades impor- tants où elle est transformée dans le cycle du carbone : −au cours du processus de photosynthèse, l’action du soleil sur la chlorophylle (pig- ment végétal) permet de for- mer des molécules de glucose 1. Voir aussi La chimie et l’habitat, Chapitre de A. Ehrlacher et coll., coordonné par M.-T. Dinh-Au- douin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011. à partir du mélange dioxyde de carbone (CO2) + eau (H2O) (Figure 3A) ; −à l’inverse, en présence d’une enzyme, l’action de l’oxygène permet, par com- bustion du bois ou de tout autre matériau carboné (y compris ceux d’origine fos- sile), de récupérer de l’énergie en retour (Figure 3B). Nous avons là un proces- sus naturel de stockage de l’énergie solaire. Le stockage de la matière et de l’énergie peut ensuite évoluer par une polymérisation du glucose conduisant à des macromo- lécules de tailles plus ou moins importantes telles que l’amidon, bien connu pour ses applications alimentaires, ou encore la cellulose, cou- ramment utilisée dans le do- maine du papier (Figure 4). À travers ces transformations riches et variées, le CO2 appa- raît bien comme une molécule potentiellement valorisable par la chimie. Ces réactions font partie du cycle naturel du carbone (Fi- gure 5), qui transforme le CO2 en végétation et en réserve nutritionnelle pour le monde animal. Dans la partie aqui- fère de ce cycle, en particulier dans les milieux océaniques, les micro-algues constituent le départ de la base de la nutrition de l’ensemble du monde marin. Par ailleurs, les coccolithophores (algues unicellulaires marines) trans- forment le CO2 dissous en car- bonate de calcium CaCO3 dans des écailles calcaires appe- lées coccolites, dont l’accu- mulation permet la formation de dépôts sédimentaires tels que la craie. Enfi n, en milieu Figure 1 Thermographie infrarouge de l’écoulement du gaz CO2 lors du remplissage d’une coupe de champagne. 211 Le dioxyde de carbone profond et en l’absence d’oxy- gène, des bactéries transfor- ment le CO2 en méthane CH4 et en clusters, qui sont ensuite stockés dans les roches sédi- mentaires de type clathrate2 2. Voir La chimie et la mer, en- semble au service de l’homme, coordonné par M.-T. Dinh- Audouin, EDP Sciences, 2009 : au sujet des clathrates, voir le chapitre de J.-L. Charlou, et au sujet de l’acidifi cation des océans, voir le chapitre de S. Blain. qui conduiront aux « gaz de schistes », et sont à l’origine de réserves d’hydrocarbures. Ce cycle du carbone est bien connu et fonctionne depuis des millions d’années. Mais au cours des deux derniers siècles, les échanges entre végétation, atmosphère et océans ont été modifi és par la combustion des réserves fossiles d’une part, et par la déforestation d’autre part. L’ensemble de ces deux Figure 2 Derrière toute la végétation (A, B) et le développement du monde agricole (C), le dioxyde de carbone joue un rôle- clé de stockage d’énergie via la photosynthèse. Cette même molécule est l’un des facteurs de la climatisation de notre planète par l’effet de serre. A B C Figure 3 A) Étape 1 : stockage d’énergie par photosynthèse (bilan : 6 CO2 + 6 H2O → C6H12O6 (glucose) + 3 O2) ; B) étape 2 : production d’énergie (enthalpie de formation : -1273,3 KJ/mol). 212 La chimie et la nature Figure 4 Dans la nature, le glucose (ou plus généralement les oses), produit par photosynthèse, se polymérise pour former les biomolécules constitutives des végétaux et arbres telles que l’amidon et la cellulose. Ces molécules présentent un intérêt industriel important dans le secteur agroalimentaire, dans celui de la papeterie et dans celui des matériaux à base de bois. Figure 5 Le cycle du carbone, à la fois atmosphérique et aquifère, fonctionne depuis des milliers d’années. La quantité totale de carbone produite présente un excès de 8,47 gigatonnes par an dans l’atmosphère. CO2 0,5 Atmosphère 750 1,6 60 121,3 60 90 92 50 6 4 6 40 91,6 100 0,2 5,5 Végétation 610 Sols 1 580 Rivières Carbone organique dissout < 700 Surface de l’océan 1 020 Profondeurs océaniques 38 100 Sédiments 150 Fioul d’origine fossile et ciment 4 000 Stockage en gigatonnes de carbone (GtC) Flux en gigatonnes de carbone par an Biotope marin 3 213 Le dioxyde de carbone évènements a conduit à une accumulation supplémentaire de CO2 dans le monde, et en particulier dans l’atmosphère et les océans (avec acidifi ca- tion2) (Figure 6). L’augmenta- tion de la concentration en CO2 peut paraître faible par rapport à la valeur atmosphé- rique, mais elle correspond tout de même à 35 milliards de tonnes de CO2 supplémen- taires chaque année… Quelles en sont les consé- quences ? L’ensemble des analyses qui ont été réalisées notamment par le glaciologue Claude Lorius3 montre que depuis le début de la révolution in- dustrielle il y a un siècle et demi, la teneur en CO2 dans l’atmosphère est passée de 280 ppm à 380 ppm, avec un cycle qui décrit parfaitement les saisons (notons toutefois que de telles valeurs ont déjà été atteintes dans un passé lointain). À partir des ana- lyses de carottes glaciaires de l’Arctique et de l’Antarctique, ces travaux montrent qu’il existe un lien entre la teneur en CO2 et l’évolution de la tem- pérature depuis 800 000 ans. Aujourd’hui, l’évolution de la teneur en CO2 devrait se poursuivre, et il est probable que l’on atteigne 500 ppm au milieu du XXIe siècle. La teneur en CO2, indicateur de la consommation des éner- gies fossiles et du climat, nous 3. Claude Lorius a été le directeur du Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement de Grenoble, de 1983 à 1988. Il a reçu la Médaille d’or du CNRS en 2002, avec Jean Jouzel, pour ses nombreux travaux réalisés dans le cadre d’expéditions polaires, prin- cipalement en Antarctique. oblige à une réfl exion politique et technique sur l’opportunité de le stocker et de le valoriser. Le parlement Européen a éla- boré une approche politique dans ce domaine que nous présenterons plus loin. Dès lors, une question récur- rente se pose aujourd’hui : peut-on modifier le rôle du carbone dans notre civilisa- tion ? 1.2. La gestion des ressources énergétiques et carbonées La Figure 7 représente les différentes sources d’éner- gies et leurs interactions. Sur la partie droite fi gurent les sources carbonées fossiles et la biomasse utilisées pour les transports (aérien, terrestre, maritime) et le chauffage, qui sont productrices de CO2 ; sur la partie gauche fi gurent les sources non carbonées productrices d’énergie élec- trique (le nucléaire, l’éolien, le photovoltaïque, les énergies marines (hydrolienne), etc.). L’énergie solaire est le moteur de la production agricole, avec un élément déterminant, celui du cycle de l’eau, qui dépend du cycle thermique de l’at- mosphère et de la surface des océans. L’évaporation de l’eau Figure 6 Bilan de matière mondial pour le carbone (en gigatonnes de carbone, GtC). Le problème majeur est la cinétique uploads/Geographie/ chimie-et-nature-209.pdf

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