Le commentaire de cartes et la « nouvelle géographie » Alain REYNAUD Les cartes

Le commentaire de cartes et la « nouvelle géographie » Alain REYNAUD Les cartes topogra- RESUME phiques intéressent le public et attirent l'attention des penseurs, car elles constituent un support aussi bien pour le raison- nement et le rêve que pour l'action. Au même moment, le commentaire de cartes est remis en question parmi les géogra- phes ; mais il peut garder sa place à la condition d'affûter ses outils conceptuels et de diversifier ses thèmes. " ANALYSE SPATIALE " CARTE " EPISTEMOLOGIE " GEOGRAPHIE ET LITTERATURE " GEOGRAPHIE POLITIQUE People and thinkers ABSTRACT become more inte- rested in topographic maps, because maps are of great use for reasoning, for imagination and for action. At the same time, maps' commentary is questioned among geographers, but it can preserve its part on condition that its conceptual tools may be impro- ved and its topics diversified. " EPISTEMOLOGY " GEOGRAPHY AND LITERATURE " MAP " POLITICAL GEOGRAPHY " SPATIAL ANALYSIS Landkarten ZUSAMMENFASSUNG spannen dits Publikum und erregen Denker Aussehen, weil sie zur Urteilung, zur Phantasie und zur Tat nutzen. Zu gleicher Zeit, Geographer bez- weifeln Kartenerläuterung. Um seine Bedeutung zu bewahren, muss Kartenerläuterung ihre begriffliche Werkzeuge schärfen und in ihre Thema Abwechslung bringen. " GEOGRAPHIE UND DICHTUNG " GEOPOLITK " KARTE " WISSENSCHAFTSPHILOSOPHIE « On me dit qu'il y a des gens qui ne s'intéressent pas aux cartes j'ai peine i le croire. » Stevenson Le commentaire de cartes est une spécialité géographique de longue date, dont l'intérêt a souvent été souligné par les représentants les plus éminents de l'école française, qui n'ont d'ailleurs pas hésité à concevoir eux-mêmes des manuels en ce domaine : « Sauf l'étude directe du terrain, il n'est pas d'exercice géographique plus profitable que l'analyse de la carte topographique » (Emmanuel dc Martonne et André Cholley, 1934, p. 2) ; « ... des exercices qui sont certainement plus importants que le cours magistral pour la formation de l'étudiant, parce qu'ils le mettent en contact avec les faits et les problèmes réels » (Pierre Birot, in M. Archambault, R. Lhénaff et J.R. Vanney, 1980, tome I, p. 6) ; « Les travaux pratiques apparaissent donc comme le pivot de tout l'enseignement de la géographie dans le cadre de la licence... Ils reflètent tout l'esprit de l'enseignement supérieur de la géographie et traduisent ses conceptions scientifiques. Ils donnent à la lois une méthode de travail, une habitude de raisonnement et un fond utile de connaissances » (Jean Tricart, Michel Rochefort et Sylvie Rimbert, 1984, pp. 5-6). Cet exercice, longtemps prestigieux et incontesté et dont la maîtrise a parfois constitué la pierre de touche pour le recrutement des universitaires, a eu et a encore ses virtuoses. Il a pourtant été remis en cause plus d'une fois au cours des quinze dernières années, en particulier par Yves Guermond, dans le cadre d'un débat passionné. Y a-t-il antinomie profonde entre le commentaire de cartes, base de la géographie classique, et la « nouvelle géographie », expression commode permettant de regrouper les orientations récentes de la discipline ? A première vue, la réponse serait affirmative, car le commentaire de cartes illustre parfaitement une conception de la géographie dans laquelle les paysages, le milieu rural, les rapports entre les données naturelles et l'implantation humaine, l'insistance sur l'originalité irréductible de chaque petit espace, sont au premier rang des préoccupations, tandis que la « nouvelle géographie » s'intéresse plutôt aux flux, aux relations, aux régularités, à l'invisible, aux grands espaces, thèmes pour lesquels les cartes à grande échelle paraissent mal convenir. Mais, à y regarder de plus près, on ne peut qu'être sensible à une double contradiction. D'abord, le commentaire de cartes se porte bien dans les différentes universités et des tenants de la nouvelle géographie s'y adonnent : par exemple, tel membre du jury de l'agrégation d'histoire, concours dans lequel le commentaire de cartes constitue la seule épreuve de géographie à l'oral, estime qu'il s'agit « du meilleur exercice que l'on puisse concevoir pour juger les candidats ». D'autre part, force est de reconnaître que les cartes topographiques attirent le public et l'institut Géographique National vend actuellement, bon an mal an, quatre à cinq millions de cartes, alors qu'au même moment les cartes exclusivement routières, c'est-à-dire purement utilitaires, sont dédaignées : « Qui dira le plaisir de lire une carte topographique et, avant de se mettre en route, de déplier le feuillet magique ? » (Jean Perrin, 1985). D'ailleurs , écrivains, journalistes, philosophes, anthropologues et essayistes s'intéressent aussi aux cartes, aujourd'hui tout comme hier ils y font des allusions et leur consacrent parfois des chapitres ou des articles entiers. Une exposition sur les cartes a même été organisée à Bcaubourg en 1980 et elle a remporté un vif succès. Les géographes pourraient- ils alors se désintéresser d'un document qui suscite un tel engouement ? En croyant tourner le dos au passé et tirer un trait sur une tradition désuète, certains géographes se tromperaient lourdement et iraient à contre-courant. La question n'est pas de savoir s'il taut ou non utiliser des cartes topographiques cri géographie, mais plutôt comment les utiliser. Un document abstrait ou concret ? Pour certains géographes, qui mettent le concret au-dessus de tout, la carte est une sorte de succédané fidèle du terrain. Faut-il rappeler avec Alfred Korzybski que « la carte n'est pas le territoire » (cité par Gregory Bateson, 1980, p. 205) ? D'ailleurs, pour les profanes, la carte paraît plutôt abstraite « Au début, je me méfiais un peu des cartes. Je les regardais comme des compagnes indispensables mais austères. Toutes ces courbes, ces lignes, ces hachures, ces quadrillages n'évoquaient pour moi qu'un paysage abstrait, mathématique, qu'il fallait résoudre ou déchiffrer comme une équation picturale » (Jacques Lacarrière, 1977, pp. 31-32). Au siècle dernier, le poète Victor Segalen écrivait « derrière ces signes figurés, étalés conventionnellement sur le plan fictif d'un papier, il me faudra deviner ce qui se trouve très réellement en volumes, en pierre et en terre, en montagnes et eaux dans une contrée précisée du monde géographique » (1983, p. 21). Grâce à la carte, un morceau d'espace surgit brusquement sous nos yeux avec ses particularités, nous entraînant dans un autre monde. Mais elle n'est qu'une représentation conventionnelle de la réalité, à la fois coupée de celle-ci dans la mesure où il s'agit d'un langage, et étroitement liée à elle puisque cherchant à la refléter à l'aide d'un code clairement défini. La carte déforme la réalité, du fait même de l'inévitable généralisation cartographique, d'un degré d'autant plus élevé que l'échelle est plus petite, mais à laquelle on ne saurait échapper. Ainsi, pour s'en tenir à un exemple, le choix de l'équidistance des courbes de niveau transforme éventuellement des croupes d'interfluve en plaine (carte suisse de Saane-Sarine au 1/100 000, équidistance de 50 m, près du lac de Morat entre Avenches et Paverne) ou donne à une plaine une apparence de plateau (carte étatsunienne de Mount Pulaski au 1/62 500, équidistance de 3 m seulement, avec de nombreuses courbes intercalaires). Mais la carte déforme aussi la réalité parce qu'elle est un langage et qu'il y a toujours un écart entre un langage et les réalités qu'il s'efforce de traduire. D'un type de carte à l'autre, on change de langage et, à chaque fois, un minimum d'apprentissage est nécessaire ainsi, un même espace apparaîtra sous un jour bien différent sur la carte de Cassini, sur la carte d'état-major au 1/80 000, sur la carte au 1/50 000 type 1922 et sur la carte au 1/50 000 de la série orange ; inversement, des cartes du même type représentant des espaces différents auront malgré tout un même air de famille. « Loin de se tenir écartée des progrès techniques, la carte topographique en bénéficie largement et on peut même dire qu'elle se trouve à beaucoup d'égards en pointe. Cela est vrai lorsqu'on considère le niveau d'exactitude et de précision qu'elle atteint, l'importance des informations recueillies et aussi son degré de perfection en matière de rédaction et de reproduction, qui en font un document visuel dc haute qualité » (Jean Steinberg, 1982, p. 5). Finalement, la carte est une abstraction qui nous permet de penser le réel, et même éventuellement de le rêver. En effet la carte a quelque chose dc magique, et Julien Gracq l'a fait sentir dans Le rivage des Syrtes, dont le deuxième chapitre ajustement pour titre « La chambre des cartes » « Sur la table s'étalaient les cartes de la mer des Syrtes. Je m'asseyais, bientôt enchaîné là comme par charme... Un bruissement léger semblait s'élever de cette carte, peupler la chambre close et son silence » (1951, pp. 31-32). En somme, la carte est un document, an même titre qu'un texte historique, et, tout comme lui, elle offre un champ aussi bien à la réflexion et au raisonnement qu'à l'imaginaire et au rêve. Carte et pouvoir Si la carte stimule le raisonnement ou le rêve, elle permet aussi d'agir, aussi bien sur son propre milieu que sur des espaces lointains. En ce sens, elle constitue uploads/Geographie/ commentaire-des-cartes-pdf.pdf

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