Dossier pédagogique à destination des enseignants et de leurs classes Autour de
Dossier pédagogique à destination des enseignants et de leurs classes Autour de l’exposition Calais d’ici et d’ailleurs le Monument des Bourgeois de Calais d’Auguste Rodin 2 SOMMAIRE UN MONUMENT SINGULIER Le contexte de la commande publique.....................................................3 Le récit historique et ses significations.....................................................4 Le parti pris de Rodin...............................................................................5 Pistes d’exploitation pédagogique............................................................6 LA RELATION AU SPECTATEUR La question du socle ................................................................................8 Un spectateur en mouvement ..................................................................9 Pistes d’exploitation pédagogique............................................................9 L’ATELIER DE LA COMPLEXITE Le temps à l’œuvre ................................................................................11 L’anatomie .............................................................................................11 Pistes d’exploitation pédagogique..........................................................12 LE MYTHE DE L’ŒUVRE ORIGINALE L’atelier ..................................................................................................14 Exploitation et diffusion ..........................................................................14 Pistes d’exploitation pédagogique..........................................................15 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE .........................................................................16 INFORMATIONS PRATIQUES ........................................................................16 3 UN MONUMENT SINGULIER Le contexte de la commande Le 26 septembre 1884, Omer Dewavrin, maire de Calais, soumet à l’approbation du Conseil municipal la proposition « d’élever sur un emplacement à déterminer ultérieurement […] un monument à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons […] à l’aide d’une souscription nationale ». Aussitôt la proposition votée, la Ville crée un comité responsable du choix du sculpteur, du financement de l’œuvre, de son emplacement et de la nature du socle… Omer Dewavrin en sera le président. La commande est municipale, elle émane d’élus issus de la bourgeoisie. A cette époque, les notables calaisiens se sentent menacés par un projet de fusion administrative de la ville historique de Calais avec son faubourg populaire de Saint-Pierre. Ancienne bourgade maraîchère, Saint-Pierre-lès-Calais est devenue en un demi-siècle une ville prospère grâce à l’industrie dentellière. En 1882, sa population avoisine les 33 000 habitants contre 13 500 à Calais, cité dont l’activité portuaire ne cesse de décliner. Face à ce double déséquilibre, démographique et économique, l’union des deux villes est prononcée, non sans peine, par une loi du 29 janvier 1885. Cette fusion administrative implique un véritable programme de restructuration urbaine sur plusieurs années avec la construction de nouveaux équipements communs (mairie, gare centrale, théâtre, etc.) et la redéfinition des grands axes de circulation entraînant la destruction des remparts de Calais. Gaston Roullet, Vue du port et de la ville de Calais en 1889, Paul Villy, Vue de l’Hôtel de Calais en 1930 huile sur toile © mbac photographie © mbac C’est de ces transformations urbaines à venir que naît le désir d’asseoir la nouvelle ville dans ses racines historiques. La commande d’un monument à Eustache de Saint-Pierre et ses compagnons est un acte politique identitaire. « Aujourd’hui, au moment où les derniers vestiges des remparts de notre vieille cité vont disparaître, au moment où notre ville va cesser d’être elle-même, nous pensons qu’il est du devoir de ceux qui seront sans doute les derniers représentants élus du Calais indépendant, de perpétuer par un monument, un des plus beaux souvenirs de notre histoire ». Omer Dewavrin dans Le Journal de Calais, 27 septembre 1884. Au-delà du désir de rendre hommage à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons, le choix du sujet traduit bien une volonté de réaffirmer la légitimité de vieilles familles dans la ville en métamorphose. 4 Le récit historique et ses significations Relaté dans les chroniques de Jean Froissart vers 1360, l’épisode des six bourgeois se situe pendant la guerre de Cent ans. Edouard III assiège Calais à partir de septembre 1346. A bout de résistance, Calais se rend aux Anglais le 4 août 1347. Le roi d’Angleterre accepte d’épargner les habitants à condition que des notables lui remettent les clés de la ville. A l’appel du capitaine Jean de Vienne, Eustache de Saint-Pierre et cinq compagnons d’infortune se présentent au roi pieds nus, en chemise et la corde au cou, parés pour le bourreau. Finalement, devant leur désespoir, Philippa de Hainaut, épouse d’Edouard III, prend pitié d’eux et obtient leur grâce. Célébrer cet épisode à travers un monument public n’a pas toujours été une évidence. Eustache de Saint-Pierre et ses compagnons sont des figures historiques ambigües : à la fois héros et vaincus. Comme le souligne Catherine Chevillot1, « très peu nombreux sont les statufiés honorés pour leur soumission à un conquérant étranger imposant sa domination sur le sol français ». Plusieurs projets monumentaux n’aboutiront pas2, preuve que l’interprétation de ce récit historique est délicate. Après la guerre de Cent ans, les artistes et les hommes de lettres donneront des significations très différentes à cet épisode historique. Celles-ci évolueront en fonction des régimes politiques et des idéologies à servir. En France, le théâtre s’empare du sujet avec le roman de la marquise de Tencin, le Siège de Calais (1739), relayé par de Belloy, surnommé le « poète national », qui triomphe avec sa tragédie dès 1765. Jugée comme étant une apologie de la monarchie, cette pièce, vouée aux gémonies pendant la période révolutionnaire, ressurgit après l’abdication de Napoléon 1er. Louis XVIII, qui résidait en Angleterre, rentre en France et débarque à Calais le 24 avril 1814. Quelques années plus tard, il offre en reconnaissance à la ville un buste à l’effigie d’Eustache de Saint-Pierre3. Les Bourgeois de Calais incarnent alors le courage, le sens de l’abnégation et finalement la fidélité à la nation. Cette vertu, qu’illustrent de multiples peintures, gravures et tapisseries figurant les Calaisiens seuls ou en face à face avec Edouard III et la reine, est bientôt interprétée à la faveur d’une catégorie sociale. En 1839, Ernest Lebeau, avocat calaisien, note à propos du dévouement des six bourgeois que « déjà […] la bourgeoisie se signalait par des actes de patriotisme et de courage civil qui pouvait dignement rivaliser avec les hauts faits d’armes de la noblesse et même l’emporter sur la valeur guerrière. […] Dans ces temps modernes où le matérialisme égoïste semble vouloir étouffer ou corrompre les vertus civiles, gardons-nous de dédaigner le précieux dépôt de ces actes de nos ancêtres, offert et transmis par l’histoire à l’émulation de la postérité »4. Mais à la fin du XIXe siècle, à l’heure de la psychanalyse naissante, la conception républicaine de l’héroïsme calaisien sera bientôt contrariée par un monument qui va sceller toute la complexité psychologique de l’épisode historique. 1 Calais, ville de sauveteurs, p. 33 in Les Bourgeois de Calais, fortunes d’un mythe, musée de Calais, 1995. 2 Quatre projets d’un nouveau monument à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons se succèdent à Calais de 1845 à 1868. 3 Buste d’Eustache de Saint-Pierre, par Jean-Pierre Cortot, 1820, pierre blanche, musée des beaux-arts de Calais. 4 Dévouement d’Eustache de Saint-Pierre et de ses compagnons en 1347, pp.180 et 181, Mémoires de la Société d’Agriculture, de Commerce, Sciences et des Arts de Calais, 1839. JP Cortot, Eustache de Saint-Pierre, 1820, pierre © mbac 5 Le parti pris de Rodin Après une rencontre avec Dewavrin, Rodin travaille très vite à un premier projet qu’il soumet au comité fin 1884. La première maquette proposée par l’artiste soulève l’enthousiasme. Elle met en scène le groupe des six bourgeois sur un socle assez haut, orné d’un décor qui rappelle un arc de triomphe. Eustache de Saint-Pierre conduit courageusement ses compagnons vers une mort certaine dans un geste emphatique. Ce premier projet satisfait pleinement les notables à l’origine de la commande. Il célèbre, en effet, sans ambiguïté l’héroïsme d’un groupe de personnages dans lesquels les commanditaires se reconnaissent. Le Comité passe la commande officielle le 28 janvier 1885, mais demande une deuxième maquette dite au tiers afin de mieux juger le projet. Rodin ne se laisse pas arrêter par son premier succès et poursuit sa recherche sur l’expression des personnages. Il accentue le caractère tragique et supprime le socle, rompant ainsi avec toute la tradition académique de la statuaire monumentale. La deuxième maquette est accueillie avec une certaine réserve, voire avec hostilité. De nombreux et vifs débats entre Rodin et la Ville de Calais s’engagent alors. Rodin a choisi le moment crucial de la reddition devant l’ennemi, plutôt que l’instant du dévouement personnel des Bourgeois à l’appel du gouverneur de la ville Jean de Vienne. Pour l’artiste, l’héroïsme d’un être ne doit pas effacer son humanité, avec son cortège de sentiments parfois contradictoires. Pour exprimer l’intensité du drame vécu, il conçoit chaque personnage dans son individualité, poussant jusqu’à l’exagération les creux et les rides des visages, en résonnance avec les plis des drapés. Mais, pour le Comité, l’attitude des Bourgeois traduit le découragement et la faiblesse, incompatibles avec la représentation qu’il se fait du dévouement patriotique. « Ce n’était pas ainsi que nous nous représentions nos glorieux citoyens se rendant au camp du roi d’Angleterre. Leur attitude affaissée heurtait d’abord notre religion et il nous semblait que l’œuvre qu’on nous présentait, loin de glorifier le dévouement d’Eustache de Saint-Pierre et de ses compagnons, ne pouvait produire qu’un effet contraire » (août 1885). Les personnages de Rodin ne sont plus perçus comme des bourgeois héroïques, mais comme de misérables condamnés à mort. La recherche de l’expression la plus intense possible du drame humain conduit l’artiste à briser les conventions artistiques et sociales. Cet état du monument – qui pour nous, aujourd’hui, n’a plus rien de choquant – a suscité beaucoup d’incompréhensions à l’époque. Rodin célèbre l’humanité de personnages qui sont plus des victimes que des uploads/Geographie/ dossier-peda-rodin.pdf
Documents similaires










-
28
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 11, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 7.7143MB