1 2 Désespoir tu m’as visité ce jour-là et une nuit noire sans étoile sans rayo

1 2 Désespoir tu m’as visité ce jour-là et une nuit noire sans étoile sans rayon de lune sans luciole sans devenir sans rien à couper à la machette comme celle-là où mes pas s’étaient égarés derrière la case du village ô Dieu du ciel une nuit d’encre s’était abattue sur moi et toi ô terre oui toi ô terre tu avais cessé de tourner 3 E-mail : leseditionsdukamerun@yahoo.fr ©LES EDITIONS DU KAMERUN Yaoundé – Novembre 2012 4 Avant-propos Ce recueil de poésie est le récit de notre séjour dans l’univers carcéral camerounais. Dès notre arrestation, nous avons pénétré dans le monde de la négation de la personne humaine. Nous avons été placé trente jours durant en garde à vue dans une cellule sans ouverture autre que la porte d’entrée. Nous dormions, au fond de ce tombeau, sans cou- verture ni drap, ni matelas, ni natte, ni oreil- ler, sur un sol glacial, la tête à quelques cen- timètres du seau à déjections humaines. Trois bains uniquement nous avaient été ac- cordés pendant toute la durée de ce calvai- re. Nous avons été glacé d’effroi devant les hurlements démentiels des personnes que l’on torturait pour leur arracher des aveux. Par le passé, nous avions lu ces horreurs dans les descriptions des dictatures d’Amé- rique latine ou du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud. Nous n’avions jamais ima- 5 giné qu’elles pouvaient se produire dans no- tre pays. Puis, une fois que nous nous étions re- trouvé au pénitencier de Kondengui à Yao- undé, nous avons découvert cette fois-ci le monde du racket des prisonniers par leurs gardes, des disputes qui dégénèrent aussitôt en sanglantes bagarres, de l’insouciance, de la désinvolture, de la toute puissance des magistrats, de l’influence du pouvoir politi- que sur leurs décisions, et, naturellement, du mépris et des brimades sans nom. Nous avons traduit tout ceci en poèmes. 6 Je suis retourné dans mon pays je suis retourné dans mon pays avec mon âme peuplée de mille songes de liberté je suis retourné vers toi ô Kamerun brûlant du désir de te voir grand plus fort que tout je suis retourné sur tes rivages bravant les mises en garde par milliers reste-ici tu-n’es-plus-de-là-bas ta-langue-na-plus-goûté aux-mets-de-là-bas-depuis-trop-longtemps tu-t’es-batti-une-vie-ici tu-t’es-batti-ta-vie-ici reste-ici tu-n’es-plus-de-là-bas oh ! bla-bla-bla-bla je suis retourné à tes côtés ô pays bien-aîmé Et ME VOICI 7 quand cesseras-tu donc de broyer sans état d’âme tes enfants les plus dévoués dégoût de l’âme dégoût du coeur j’avais quitté Paris j’avais quitté Rouen j’avais quitté Lyon j’avais quitté Strasbourg ma ville bien-aîmé où je devins homme Français tu dis bien Français ma chérie comme toi oh ! pas un seul instant le Kamerun a besoin de moi je suis retourné à tes côtés ô pays bien-aîmé honissant tout quand cesseras-tu donc de broyer sans état d’âme tes enfants les plus dévoués 8 est–ce le fruit du combat pour l’indépendance que nos ailleux ont arrachée aux Blancs est-ce la liberté que l’indépendance transportait dans ses entrailles est-ce la dignité que l’indépendance devait restituer à ton peuple ô Kamerun quand cesseras-tu donc de broyer sans état d’âme tes enfants les plus valeureux je suis retourné dans mon pays avec mon âme peuplée de mille songes de liberté je suis retourné vers toi ô Kamerun brûlant du désir de te voir grand plus fort que tout 9 La pancarte elle pendait à mon cou la pancarte maudite elle pendait lourdement et les caméras des télévisions et les regards des badauds et les yeux des gens à travers la terre entière lisaient médusés mon nom sur celle-ci elle se balançait à mon cou la pancarte maudite elle se balançait lourdement ils l’y ont accrochée ils l’y ont suspendue ils l’y ont attachée et sous mon nom il ont écrit une abomination ô humiliation suprême 10 Pourquoi me traiter de la sorte pourquoi me traiter de la sorte parce que je ne suis pas de votre avis n’avez-vous pas libéré la parole n’avez-vous pas libéré les esprits n’avez-vous pas libéré les âmes n’avez-vous pas libéré les langues ô gens du régime dépositaires du destin de mon peuple pourquoi me traiter de la sorte parce que je ne suis pas de votre avis 11 Ecrivain écrivain ailleurs tu es sacré et sur ta poitrine bombée scintillent les médailles et les médailles de tes combats héroïques contre l’obscurité écrivain ailleurs tu es vénéré et sur ton être si frêle mais en même temps si puissant scintille une auréole de sagesse qui fait la gloire de la nation MAIS ici ta plume est abominée elle est détestée elle est exécrée comme l’oiseau de la mort ALORS proclament ces gens enfin on lui a fermé sa grosse bouche enfin on lui a fermé sa grosse gorge enfin on lui a fermé sa grosse voix de bariton qui réveille les âmes endormies ET VOICI il ne nous insultera plus il ne nous apostrophera plus il ne nous invectivera plus L’E CRI VAIN 12 Suicide suicide tu m’as rendu visite et mon corps est devenu si léger et mon âme est devenue si légère et ma peine est devenue si légère et mon chagrin est devenu si doux suicide j’ai découvert ton royaume mon regard innondé de larmes mon âme innondée de larmes mon esprit innondé de larmes mon être innondé de larmes oh ! ils ont si peur de toi leurs âmes tremblent à ton nom mais moi mon cœur lui désirait t’embrasser te serrer dans ses bras se blôtir contre ton corps car j’étais devenu la lie de la terre 13 La terre avait cessé de tourner Poème à Assala Assale Luc tu t’es abattu sur ma tête telle une pluie tropicale oh non ! telle une MASSUE GÉANTE et mes pieds ont vacillé moi le COLOSSE aux mille batailles moi le titan qui défie les ouragans et mes pieds ont vacillé Oh ! MAGISTRAT QUE TU ES CRUEL ! maudit sois-tu Désespoir tu m’as visité ce jour-là et une nuit noire sans étoile sans rayon de lune sans luciole sans devenir sans rien à couper à la machette comme celle-là où mes pas s’étaient égarés derrière la case du village moi qui me rendais là-bas sous les cacaoyers 14 où pourrit l’éléphant ô Dieu du ciel une nuit d’encre s’était abattue sur moi et toi ô terre oui toi ô terre tu avais cessé de tourner Oh ! MAGISTRAT QUE TU ES CRUEL maudit sois-tu ta voix avait retenti telle une DYNAMITE qui fracasse la pierre dans une carrière et mes jambes s’étaient transformées en coton QUAND TU AVAIS DECLAME TES PAROLES DE FIN DU MONDE 15 et la terre avait cessé de tourner Oh ! MAGISTRAT QUE TU ES CRUEL ! maudit sois-tu 16 Noir des yeux… noir des yeux vous étiez devenus euh … euh … oh … je ne sais plus je ne vous apercevais plus noir des yeux étiez-vous gris étiez-vous rouges étiez-vous larmoyant tels les miens ? noir des yeux vous étiez rivés au sol je crois euh … euh … je ne sais plus en tout cas je ne vous ai plus vus ou c’est vous qui ne m’aviez plus vus euh … je ne sais plus noir des yeux pour sûr les têtes étaient courbées les têtes étaient baissées les têtes n’étaient plus au firmament pour ne pas désespérer la mienne mais euh … euh… à vrai dire je ne sais plus 17 Assiah déjà que je ne t’avais jamais aimé mais je t’avais encore plus détesté ASSIAH ! ASSIAH ! ASSIAH ! TU M’AGACES ASSIAH DE QUOI ? déjà que je ne t’avais jamais aimé alors je t’avais encore plus détesté je maudis l’illuminé qui t’a créé ASSIAH ! ASSIAH ! ASSIAH ! ASSIAH DE QUOI ? TU M’A GA CES 18 Le camion maudit ce n’est guère le camion que les gens regardent avec envie comme le camion des stewards en route vers Nsimalen ou le camion de victuailles que les bayam-sellam avec leurs accoutrements de guenilles pour se protéger du froid du soleil de la pluie de la boue des injures et des bagares au cours desquelles elles se lacèrent le visage avec leurs ongles rateaux poursuivent en s’y accrochant et en chapardant les patates les plantins les macabos les mangues les papayes avant qu’il ne s’arrête ce n’est guère le camion que les taximen affrontent en barrant la chaussée et en décochant des injures pour ne pas perdre leurs clients loin derrière les agents de police à l’affût des « dossier du véhicule » à placer sous l’aisselle ce n’est guère le camion que les maraudeurs emporteraient même s’ils le trouvaient garé moteur ronronnant clés au contact et déserté de son conducteur à l’uniforme semblable à celui des gendarmes oh ! cette teigne ennemie jurée des condamnés ce n’est guère le camion que les gosses poursuivent comme ceux des touristes blancs qui parcourent l’Afrique du Nord au Sud de Tunis à Cape Town non ! TOUT LE MONDE L’EVITE LE CAMION MAUDIT avec ses grillages qui uploads/Geographie/ enoh-meyomesse-poeme-carceral.pdf

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