De gauche à droite et de haut en bas, portrait des trois fondateurs d’Études ru

De gauche à droite et de haut en bas, portrait des trois fondateurs d’Études rurales Georges Duby (1919-1996), Daniel Faucher (1982-1970) et Isac Chiva (1925-2012). Illustrations : Annie Pennanec’h. Études rurales, juillet-décembre 2017, 200, p. 18-25 19 Anne Both Aux racines d’Études rurales Retour sur les fondateurs de la revue Q uand au printemps 1961, paraît le premier numéro d’Études rurales, la VIe section 1 de l’École pratique des hautes études (Ephe) traverse littéralement une période d’euphorie éditoriale. En effet, quelques mois avant, paraissait la revue L’Homme. Revue française d’anthropologie, dirigée par Émile Benveniste, Pierre Gourou et Claude Lévi-Strauss, et un an plus tôt Les Cahiers d’études africaines 2. Toutes trois affichent un programme scientifique ambitieux, enthousiaste et stimulant à l’image de l’effervescence intellectuelle qui règne dans cette section qui deviendra, en 1975 3, l’actuelle École des hautes études en sciences sociales (Ehess). En 1958, Fernand Braudel 4, son président, déplore l’absence de recherches sur les sociétés rurales [Chiva 1997 : 15-20] et lance, en 1959, l’idée d’un périodique ruraliste. La revue trimestrielle d’histoire, géographie, socio­ logie et économie des campagnes sortira des presses à peine deux ans plus tard, en coédition avec Mouton 5. À l’époque, l’abonnement (quatre numéros) pour la « Communauté, Entente, Maroc, Tunisie, Guinée, Indochine » coûte ­ 25 nouveaux francs. Le premier numéro comporte déjà des photos, des cartes, des articles à proprement parler, des comptes rendus, des notes bibliographiques et une chronique scientifique. Son sommaire atteste de sa volonté éditoriale 1. La VIe section (Sciences économiques et sociales) a été créée en 1947 par Charles Morazé, Lucien Febvre et Fernand Braudel. 2. Pierre Alexandre, Henri Brunschwig, Germaine Diterlen, Pierre Gourou, Michel Leiris, Denise Paulme et Gilles Sautter en sont les fondateurs. 3. Décret n°75-43 du 23 janvier 1975 portant application de la loi d’orientation de l’enseigne- ment supérieur à l’École des hautes études en sciences sociales, publié le 25 janvier 1975 au Journal officiel. 4. G. Duby est un fervent admirateur de F. Braudel ainsi que de G. Dumézil, à qui il rendra hommage dans son discours d’intronisation à l’Académie française le 28 janvier 1988. 5. Mouton est un petit éditeur scientifique dont les sièges se situent à New York, à La Haye et à Paris. Il sera racheté en 1977 par le géant allemand Walter de Gruyter. 20 ANNE BOTH d’ouverture pluridisciplinaire avec des textes adoptant une approche écono- mique, historique ou psychologique, comme annoncé dans l’avertissement de Georges Duby et de Daniel Faucher : « la revue Études rurales fera donc appel aux historiens, aux géographes, aux économistes, aux sociologues et aux psychologues, aux ethnologues, aux agronomes eux-mêmes. Elle voudrait être ainsi fidèle à l’esprit de ce qui a été heureusement poursuivi par Lucien Febvre et Marc Bloch, dans le domaine des études proprement historiques » [1961 : 5]. En 1961, le comité de rédaction compte une dizaine de personnes, dont une seule femme l’ethnologue Mariel Jean-Brunhes-Delamarre (musée des Arts et Traditions populaires), trois membres du Collège de France (l’anthropologue Jacques Berque, l’historien Fernand Braudel et l’économiste Alfred Sauvy), un professeur à la Sorbonne (le médiéviste Roger Boutruche), deux directeurs d’études à l’Ephe (les économistes Pierre Coutin et Joseph Klatzmann), un agronome de l’Institut national agronomique (en la personne de René Dumont), un ethnologue (Marcel Maget du Laboratoire d’ethnographie française) et un géographe de la Faculté de lettres de Strasbourg (Étienne Juillard). Si l’on ajoute à cette énumération les deux directeurs (le médiéviste G. Duby et le géographe Daniel Faucher) et le secrétaire de rédaction (l’anthropologue Isac Chiva), ce premier numéro d’Études rurales présente, exception faite de l’agronomie, une parfaite parité disciplinaire avec autant d’anthropologues (ou ethnologues), de géographes, d’historiens que d’économistes. Si le projet éditorial est celui de F. Braudel, sa réalisation repose essentiel- lement sur G. Duby, D. Faucher et I. Chiva. Les trois hommes se rencontrent pour la première fois en 1958, à Paris, à l’occasion d’un colloque organisé par I. Chiva, à la demande de F. Braudel et de son adjoint, Clemens Heller, sur l’assolement triennal en France. I. Chiva explique que parmi tous les parti- cipants figurent « deux êtres d’exception, deux “princes”, comme les décrivit Fernand Braudel : un homme jeune, simple, vif, déjà célèbre grâce à sa thèse sur le Mâconnais, Georges Duby ; et un vieux monsieur, sage, savant, géné- reux et vivant, le doyen Daniel Faucher » [Chiva 1997 : 16]. De ce colloque, naquit l’idée d’une revue française sur l’étude scientifique des campagnes. La rédaction est d’abord localisée au 20 rue de la Baume à Paris (8e arr.), siège de toutes les revues de la VIe section, puis elle est hébergée dès 1965 par le Laboratoire d’anthropologie sociale (11, place Marcelin-Berthelot) 6. Elle repose sur trois personnes, un historien, un géographe et un anthropologue, dont les parcours sont ici très brièvement rappelés. 6. La revue Études rurales est d’ailleurs toujours accueillie dans les locaux de ce laboratoire avec qui elle entretient des liens privilégiés. Aux racines d’Études rurales 21 Georges Duby (1919-1996), l’historien du monde rural Quand Georges Duby est sollicité pour codiriger Études rurales avec Daniel Faucher, il est alors professeur d’histoire du Moyen Âge à la Faculté des lettres d’Aix-en-Provence. Âgé d’à peine quarante ans, ce médiéviste héritier de Marc Bloch et de Lucien Febvre a soutenu sa thèse le 21 juin 1952 en Sorbonne intitulée La société aux xie et xiie siècles dans la région mâconnaise et publiée l’année suivante. En 1958, il s’attelle déjà à ce qui deviendra Le Temps des cathédrales [1976]. En 1959, sa bibliographie compte presque une centaine de publications, sur les 700 7 que totalisera sa carrière d’historien. Des sujets ressortent de cette vertigineuse production : l’histoire rurale [1962 ; Duby et Faucher 1975], l’ima- ginaire médiéval [1967], les structures sociales et les valeurs qui les animent [1973a], la parenté [1973b, 1981], la culture de l’esprit chevaleresque [1973b, 1988a, 1988b] ou la sociologie de la création artistique [1976]. L’analyse de ses archives déposées à l’Imec (Institut mémoires de l’édition contemporaine) montre l’extrême rigueur de ses méthodes de travail. Florian Mazel [2015 : 81] souligne son méticuleux travail de dépouillement des sources pour la réalisa- tion de sa thèse notamment avec des fiches, des tableaux, des cartes, des plans thématiques… G. Duby n’aura de cesse de s’appuyer sur une documentation variée : archives, cartes, graphiques, images, objets archéologiques, suivant en cela l’héritage des fondateurs des Annales. Lucien Febvre n’écrivait-il pas : « l’image aussi, et la carte, c’est de l’histoire » [1950 : 216 n1] ? G. Duby portera le projet intellectuel 8 d’Études rurales, dans laquelle il a écrit huit articles publiés entre 1975 et 1988 9. Nous savons qu’il réside à Aix-en-Provence, qu’il peine à quitter [Le Goff 1997 : 201], et que ce n’est qu’à partir de 1970 et jusqu’en 1991, qu’il passera les hivers à Paris pour dispenser ses douze leçons annuelles au Collège de France dans le cadre de sa chaire d’histoire des sociétés médiévales. Il sera néanmoins un des codirecteurs de la revue pendant trois décennies, son nom apparaissant dans l’ours jusqu’au numéro 121-124, daté de janvier-décembre 1991. À ses côtés, se succéderont Daniel Faucher, puis Isac Chiva à partir du 1971, et enfin Joseph Goy, Pierre Lamaison et Gilles Sautter dans un comité de direction élargi à cinq membres. Avant d’être une équipe aussi étoffée, la rédaction de la revue repose, en 1961, essentiellement sur trois personnes. 7. Voir la bibliographie exhaustive comprenant articles, préfaces, direction et rédaction ­ d’ouvrages, établie par Felipe Brandi [2015]. 8. Ce projet, explique I. Chiva, « reflète l’évolution suivie par la recherche historique, en prise croissante avec les autres sciences de la société et ayant une vue de plus en plus globale, syn- thétique, d’une société faite à la fois d’aspects matériels, d’institutions, de formes de sociabilité, de cultures, de systèmes symboliques » [1997 : 18]. 9. Voir le numéro d’Études rurales daté de 1997, consacré à G. Duby et dirigé par Philippe Braunstein. 22 ANNE BOTH Le doyen Daniel Faucher (1882-1970) Doyen de l’équipe et de la Faculté des lettres de Toulouse, ce géo- graphe agraire est âgé de 79 ans quand paraît le premier numéro de la revue. D. Faucher peut, en 1961, se targuer d’avoir passé un demi-siècle à comprendre ce monde rural, qu’il affectionne tant. Observateur appliqué des progrès techniques [1954] et des mutations économiques [1949, 1952], il découvre « la géographie nouvelle, celle qui s’apprend sur le terrain et au contact des hommes » écrit Louis Papy [1971 : 385]. S’il a consacré sa thèse aux Plaines et bassins du Rhône moyen entre Bas-Dauphiné et Provence [1927], ce natif de Romans a mené l’intégralité de sa carrière [1962] à Toulouse 10, où il créa, en 1926 l’Institut de géographie. Il y lança, en 1930, la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest (Rgpso) et la dirigea jusqu’en 1964. D. Faucher fut l’artisan de la diffusion d’une géographie moderne, « d’obédience vidalienne » [Marconis 2011 : 179] dans le grand Sud- ouest, en se rapprochant de ses collègues uploads/Geographie/ er200-portraits-fondateurs.pdf

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