Étienne Gilson Météores cartésiens et Météores scolastiques (suite et fin) In:
Étienne Gilson Météores cartésiens et Météores scolastiques (suite et fin) In: Revue néo-scolastique de philosophie. 23° année, N°89, 1921. pp. 73-84. Citer ce document / Cite this document : Gilson Étienne. Météores cartésiens et Météores scolastiques (suite et fin). In: Revue néo-scolastique de philosophie. 23° année, N°89, 1921. pp. 73-84. doi : 10.3406/phlou.1921.2268 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-555X_1921_num_23_89_2268 V. MÉTÉORES CARTÉSIENS ET MÉTÉORES SCOLAST1QUES (Suite et fin *) Remarquons d'abord que l'impression produite sur les contempor ains de Descartes par les météores n'a pas été très différente de la nôtre. Tout le monde en admira la rigueur et la solidité, mais si le P. Fournier parut s'y rallier dans son Hydrographie de 4643 [Cf. Ch. ÂDAw,Fïe et Œuvres de Descartes, XIF, p. 200 et ss.], beau coup d'autres réservèrent leur jugement. Si nous négligeons les attaques du P. Bourdin, nous voyons que Chapelain sait établir une équitable distinction entre les divers essais qui accompagnent le Discours de la Méthode : « Sa Dioptnque et sa Géométrie sont deux chef-d'œuvres au jugement des Maîtres. Ses Météores sont arbitraires et problématiques, mais admirables pourtant » [Chapelain à Balzac, 29 déc. 1637, cité A. T. t. I, 185, note]. Fromond, lui- même auteur d'un traité sur les Météores, déclare la philosophie de Descartes nimis crassa et mecanica [Fromondus à Plempius, 13 sept. 1637, 1, 406, 13-16], ce qui lui attirera d'ailleurs celte foudroyante réponse de Descartes que reprocher à sa philosophie d'être méca nique, c'est lui reprocher d'être vraie [Descartes à Plempius, 3 oct. 1637, I, 420, 21-421, 17]. Robenal formula sur le Discours, la Dioptrique et les Météores, un jugement dont la conclusion s'accorde remarquablement avec celle de Chapelain : « Pour changer de discours, nous avons lu assez attentivement le livre de Monsieur Descartes, qui contient quatre traités, desquels le premier se peut attribuer à la Logique, le second est mêlé de Physique et de Géométrie, le troisième est presque purement Physique et le qua- *) Voir Revue Néo-scolastique de Philosophie, novembre 1920, pp. 358-384. 74 E. Gilson trième est purement géométrique. Dans les trois premiers, il déduit assez clairement ses opinions particulières sur le sujet de chacun ; si elles sont vraies ou non, celui-là le sait qui sait tout. Quant à nous, nous n'avons aucunes démonstrations, ni pour ni contre, ni peut-être l'auteur même, lequel se trouverait bien empêché, à ce que nous croyons, s'il lui fallait démontrer ce qu'il met en avant ; car il pourrait se trouver que ce qui passe pour principe à son sens, pour fonder ses raisonnements, semblerait fort douteux au sens des autres ; aussi semble-t-il s'en soucier fort peu, se contentant d'èlre satisfait soi-même ; en quoi il n'y a rien que d'humain et qu'un père ne fasse paraître tous les jours envers ses enfants. Ce ne serait pas peu, si ce qu'il dit pouvait servir comme d'hypothèses, desquelles on pût tirer des conclusions qui s'accordassent aux expériences ; car en ce cas l'utilité n'en serait pas petite » [Robenal contre Descartes, avril 1638, II, 113, 8-30]. En résumé, ces tiois essais de Descartes, dont les Météores, ne contiennent que des suppositions arbitraires et pas une démonstration. Cette critique déplut fort au philosophe qui jugea que Roberval s'amusait à lui a dire des injures ainsi qu'une harengére, à cause qu'il n'avait rien de bon à répondre ». « Ce sont des impertinences très grandes », ajoute-t-il [à Mersenne, 27 mai 1638, II, 141, 11-21]. Mais le jugement qui l'étonna peut-être le plus fut celui que lui communiqua Huygens, que ses principes ne seraient pas reçus dans l'Ecole, parce qu'ils n'étaient pas « assez confirmés par l'expérience » ! [Descartes à Huygens, juin 1645, IV, 224, °24-2o]. Même du côté d'où nous l'attendions le moins, c'est donc toujours la même objection qui revient. Que pensait donc Descartes lui-même de ses Météores et quel genre de démonstration y avait-il apporté ? Le problème est peut- être moins simple qu'on ne pourrait le supposer. Lorsqu'il annonçait à Mersenne le contenu de ses essais, nous l'avons vu présenter les Météores comme un sujet « tout pur de Philosophie ». par opposition à la Dioptrique et à la Géométrie qui sont ou mêlées de mathématiques, ou purement mathématiques. Il n'y aurait donc pas de mathématiques dans les Météores. Remarquons cependant qu'il y en a au moins dans le discours consacré à l'arc-en-ciel ; c'est pourquoi Roberval, qui s'accorde d'ailleurs remarquablement avec Descartes dans sa manière de caractériser les essais, a raison de déclarer l'essai sur les Météores « presque purement physique ». D'autre part on ne saurait négliger certaines affirmations de Descartes qui sont en contradiction absolue avec la précédente. Laissons volontairement de côté toutes ses déclarations bien connues sur le caractère purement mathématique et mécanique de ' Météores Cartésiens et Météores Scolastiques 75 sa physique. On pourrait en effet objecter à l'extrême rigueur que ces déclarations générales souffrent une exception qui, de l'aveu de Descartes lui-même, serait précisément le traité des Météores. Mais comment, dans celte hypothèse, interpréterions-nous la déclaration suivante : « Mr des Argues m'oblige du soin qu'il lui plait avoir de moi, en ce qu'il témoigne être marri de ce que je ne veux plus étudier en Géomélrie. Mais je n'ai résolu de quitter que la géométrie abstraite, c'est-à-dire la recherche des questions qui ne servent qu'à exercer l'esprit ; et ce afin d'avoir d'autant plus de loisir de cultiver une autre sorte de Géomélrie, qui se propose pour questions l'explication des phénomènes de la nature. Car s'il lui plaît de considérer ce que j'ai écrit du sel, de la neige, de l'arc-en-ciel, etc., il connaîtra bien que toute ma Physique n'est aulre chose que Géométrie » [à Mersenne 27 juillet 1638, II, 268, 3-14]. La première déclaration de Descartes doit donc être interprétée de la manière suivante : les Météores sont un essai dans lequel n'interviennent pas les mathématiques abstraites, mais il n'est, d'un bout à l'autre, qu'une explication géométrique concrète des phénomènes les plus curieux de la nature. En quoi consiste cette géomélrie concrète? Est-elle identique en nature à la géométrie abstraite dont elle ne différerait que par la nature des objets auxquels elle s'applique ? S'il en était ainsi, nous aurions peine à concevoir que Descaries ait pu opposer le physique au mathématique, ainsi qu'il le faisait en caractérisant ses essais. La vérité est au contraire que la géométrie abstraite et la géométrie appliquée à l'explication des phénomènes n'usent pas du même genre de démonstrations. Les Météores sont entièrement Géomét riques, mais d'une géomélrie qui n'est pas la géomélrie abstraite, et c'est pourquoi, étant géométriques, ils ne sont cependant pas, ou presque pas, mathématiques. Pouvons-nous préciser la nature de cette géométrie ? Nous venons de voir qu'elle n'est pas celle dont usent communément les géo mètres. Et en effet, s'il fallait apporter des démonstrations géomét riques du genre de celles d'Euclide dans des questions de physique, on ne démontrerait jamais rien, et il faudrait même dire que rien n'a jamais été démontré en ces matières. C'est ce que Descartes déclare à propos de sa théorie de la réfraction, en dioptrique, matière cependant plus aisée à soumettre au calcul que ne sont les phénomènes météorologiques. La seule démonstration qui reste exi gible pour que ses essais soient inattaquables est la démonstration métaphysique des principes de sa physique, mais envisagés au point de vue de la géométrie ou de la physique, rien ne leur 76 E. Gilson manque ; sa théorie de la réfraction est aussi démontrée « qu'aucune autre question de Mécanique ou d'Optique, ou d'Astronomie, ou autre matière qui ne soit point purement géométrique ou arithmé tique, ait jamais été démontrée ». Et Descartes ajoute : « Mais exiger de moi des démonstrations géométriques en une matière qui dépend de la Physique, c'est vouloir que je fasse des choses impossibles. Et si on ne veut nommer démonstrations que les preuves des Géomètres, il faut donc dire qu'Archimède n'a jamais rien démontré dans les Mécaniques, ni Vitellion en l'Optique, ni Ptolémée en l'Astronomie, etc., ce qui toutefois ne se dit pas ». Quelle est donc la nature de la démonstration en ces matières ? D'abord, encore que Descartes n'y fasse pas ici allusion, la démons tration physique ne doit faire intervenir que l'étendue et le mouve ment local ; à cette condition seulement elle sera géométrique et mécanique dans la mesure où elle peut l'être. Si nous la considérons ensuite au point de vue de sa forme et non plus de son contenu, nous verrons qu'elle doit satisfaire à deux conditions, et à deux seulement : ne point faire de suppositions qui soient manifestement contraires à l'expérience, et ne pas commettre de paralogismes dans ses raisonnements. Une démonstration de physique est donc aussi géométrique qu'elle peut l'être lorsque, ne faisant intervenir que l'étendue et le mouvement, elle est correctement déduite à partir d'hypothèses conciliables avec l'expérience. « Car on se contente, en telles matières, que les auteurs, ayant présupposé certaines choses qui ne sont point manifestement contraires à l'expérience, aient du reste parlé conséquemment et uploads/Geographie/ etienne-gilson-meteores-cartsiens-et-meteores-scolastiques-suite-et-fin.pdf
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- Publié le Oct 11, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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