L’IMAGINAIRE Cours de François Fédier professé dans la classe de Première supér
L’IMAGINAIRE Cours de François Fédier professé dans la classe de Première supérieure (tronc commun) du lycée Pasteur année 1998-1999 édition établie par JOSEPH PLICHART à partir des notes de : EMILIE CHEVRILLON FRANÇOIS FÉDIER HADRIEN FRANCE-LANORD JOSEPH PLICHART ISABELLE RAYMOND NICOLAS THIEULIN-BOYELDIEU Note sur la typographie utilisée dans ce livre : 1°) La typographie normale – qui restitue le cours, tel qu’il a été dicté en classe. 2°) La typographie pour les digressions non dictées, mais venant en com- m e n t a i re du texte dicté, et qui ont été notées librement par les élève s . 3°) La typographie des notes en bas de pages, lesquelles ont été elles aussi la plupart du temps dictées. [ Les deux premiers cours ont été consacrés à des considérations générales sur la manière de travailler. Rien n’y a encore été dicté. ] Essayez, en vingt minutes, d’écrire quelque chose sur l’imaginaire. Mais ne faites pas d’efforts – car ce n’est pas en faisant des efforts que l’on parvient aux choses. Méfiez-vous de ce qu’on croit être de la phi- losophie. Essayez de dire ce que vous voyez. L’imaginaire, c’est le contraire du réel : le malade imaginaire n’est pas réellement malade. L’imaginaire est du domaine de l’imagination. Pourtant, l’imaginaire, ça existe ! L’imaginaire existe, mais n’est pas réel… N’importe quel jeu est-il un rapport à l’ i m a g i n a i re ? Non. Q u a n d un jeu est-il donc en rapport à l’ i m a g i n a i re ? L’enfant qui joue décale : il fait la distinction entre le réel et l’imaginaire – ce qui se fait par le langage. La merveille, c’est quand l’enfant découvre l’irréel ; il dit par exemple : « tu serais une marchande ». Les petits animaux aussi jouent, mais ils ne jouent pas dans cette dimension de décalage. – Mais l’enfant joue et peut jouer seul. – Oui, c’est très profond, justement parce que jouer seul, c’est d’une certaine manière ne pas être seul. Quand vous écrivez, vous créez des attentes. Si vous n’y répondez pas, c’est catastrophique. Attention à : – bien expliquer ce que l’on pense – ne pas se lais- ser emporter – ne pas, comme dit Péguy, « faire le malin ». Quand je donne un sujet, je ne tends pas un piège. Ne cherchez pas les sous-entendus ; ne cherchez pas « midi à quatorze heures ». Le premier objectif à atteindre, quand vous écrivez, c’est que le lecteur 9 l ’ i m a g i n a i r e 1 0 n’ait rien à redire. Quand un devoir est bon, le lecteur de la copie devient en un sens complice. Il faut commencer par mettre les choses en place : comment passe- t-on d’une phrase à l’autre ? Vous ne devez pas sauter : écrire, c’est faire des liaisons, pas des appositions. Il est vrai qu’Aristote dit parfois « de plus », mais quand il le dit, c’est un vrai « de plus » ; tandis que quand nous le disons nous, cela veut dire en gros que la poche gauche est vidée, et qu’on passe à la poche droite. Il faut toujours tout expliquer, c’est-à-dire d’abord s’expliquer à soi-même. Cela permet de se dissocier et d’être face à soi-même comme un juge. Il n’y a pas d’abord un autre parce que l’autre est dehors, mais il n’y a d’autre que parce qu’on est soi-même déjà un autre. Quand il s’agit de réfléchir, cela ne peut se faire par réflexe, car ce qui est évident pour moi n’est pas nécessairement évident pour le lec- teur. On écrit bien quand on pense que celui qui va lire est à la fois parfaitement intelligent et ignorant de tout. Aussi faut-il tout lui expliquer, mais sans qu’il soit nécessaire de répéter les explications. Il vaut mieux s’interdire les conditionnels. Pas non plus de verbes comme « sembler » et « paraître ». Quand vous vous apprêtez à écrire « on peut… », demandez- vous si vous pourriez le remplacer p a r : « on doit… » Le grand art, c’est de faire une dissertation sans avoir l’air de faire une dissertation. Il faut apprendre à nager à contre-courant : toute connaissance véritable est fondamentalement inutile – toute connaissance véritable n’a aucun rapport avec ce qu’on appelle couramment le “réel”. Les deux premières séances de l’année ont été consacrées à souligner l’u r g e n c e d’apprendre à écrire. D’abord l i s i b l e m e nt. Trop d’écritures s o n t difficilement déchiffrables1. Ensuite c o r re c t e m e n t : le nombre de fautes d’orthographe est encore bien trop élevé. Le souci de l’orthographe ne doit pas être absolu. Il est en fait relativement récent dans notre histoire. C’est lorsque l’ensemble des habitants de notre pays a été scolarisé que l’orthogra- phe est devenue contraignante. C’était en effet le moyen le plus simple de fixer un usage du français pour une population encore largement patoisante. 1 Selon Alain, écrire de manière calligraphique c’est déjà penser. Aujourd’hui, comme il n’y a plus de milieu ni d’école dont la langue soit reconnue comme norme du « bon français », le respect de l’orthographe est le dernier point d’appui pour quelque chose comme une norme. Il est donc impératif de respecter l’orthographe1. D’autant plus que les liens entre l’orthographe et la pensée sont plus étroits qu’il n’y paraît. Pour écrire, il faut être capable de penser. Et penser ne se peut sans un certain ordre. La grande question est dès lors de savoir si cet ordre sera un ordre contrôlé ou un ordre subi. Nous avons parlé de cela ven- dredi dernier lorsqu’il a été question de ne pas se laisser emporter. Pour être encore plus clair, disons aujourd’hui : ne pas se laisser dicter ce qu’on écrit – par l’assonance – par l’habitude – par les préjugés (ce qui englobe tout l’ensemble des « idées reçues » 2) – bref par quoi que ce soit qui échappe au ressort d’une pensée claire, laquelle est à tout moment capable de rendre compte de ce qu’elle pense. Il est temps maintenant d’aborder le sujet du cours, à savoir l’imaginaire. Nous commencerons par une remarque dirigée contre l’esprit du temps : de nos jours, à cause d’un très net penchant pour la pédanterie3, le mot « i m a g i n a i re » s’emploie très souvent à la place du mot « i m a g i n a t i o n » . Ainsi, on entend partout parler de l’imaginaire enfantin, alors qu’on veut dire simplement : l’imagination enfantine (en conséquence, chaque fois que nous sommes sur le point d’employer le mot imaginaire, faisons-nous un devoir de nous interroger pour savoir si ce que nous voulons désigner par là est bien l’i m a g i n a i re et non une circonlocution savante pour dire l’imagination). l’imaginaire 1 1 1 L’orthographe, à l’époque de Montaigne, est vue de façon humaniste, c’est-à-dire vue à partir du rapport de la langue française au latin. Montaigne a ainsi certaines tournures d’érudit, comme celle qui consiste à faire apparaî- tre des consonnes latines alors qu’elles sont inutiles – comme par exemple avec le mot « doigt » qui vient de digitus. 2 Attention : parler d’ « idées reçues », c’est être soi-même un beau parleur d’idées reçues. Traquer les idées reçues, c’est ce dans quoi Flaubert s’est engouffré à la fin de sa vie. 3 La pédanterie, c’est espérer passer pour un « intellectuel ». Par exemple : qu’est-ce que les psychopédagogues de l’éducation appellent un «paramètre bondissant» ? Réponse : ce que vous et moi nommons un ballon. l ’ i m a g i n a i r e 1 2 Qu’est-ce que l’imaginaire ? Avant de chercher à « définir » le terme, arrêtons-nous d’abord au mot. Imaginaire vient du latin i m a g i n a r i u s, lequel est à la fois un adjectif et un substantif. Comme adjectif, il signi- f i e : « d’image », et désigne donc tout ce qui a la qualité d’ i m a g e . Comme substantif masculin, il désigne quelqu’un, un individu très particu- lier : celui qui porte l’image de l’empereur. Mais il désigne aussi et d’abord (avant même l’époque impériale), ainsi qu’on peut le vérifier chez Tite-Live, ce qui existe en imagination (c’est-à-dire exactement notre substantif l’ima- ginaire). A parte sur le suffixe -arius. Ce suffixe, lorsqu’il sert à former des noms, désigne la profession, le métier, l’occupation habituelle d’un individu. Ainsi sur le substantif cera (la cire) est formé le mot cer-arius : le fabriquant de bougie, ou bien celui qui a l’habitude d’écrire sur des tablettes de cire. Il faut ajouter que souvent le même mot en -arius est employé aussi bien uploads/Geographie/ fedier-l-imaginaire.pdf
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- Publié le Oct 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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