1 Jean-Pierre FREY Architecte-Sociologue - Professeur à l'Institut d'Urbanisme
1 Jean-Pierre FREY Architecte-Sociologue - Professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, Université Paris XII-Val de Marne Chercheur au Centre de Recherche sur l'Habitat (UMR-CNRS 220 : LOUEST) "Les Mots de la ville" : PIR-Villes-CNRS Colloque international Paris-UNESCO, jeudi 4 - samedi 6 décembre 1997 Communication : "Pour en finir avec le mot “ Urbanisme ”" FREY (Jean-Pierre), "Généalogie du mot « urbanisme »", in : Urbanisme, n° 304, janvier-février 1999, pp. 63-71 Généalogie du mot « urbanisme » "Le mot urbanisme et ses dérivés sont très à la mode. Ces mots s'emploient sans discernement et leur emploi abusif sème la confusion dans les esprits. […] Il faut craindre que les urbanistes ne discréditent et le mot et la chose, l'expression et la réalisation d'une œuvre importante entre toutes. […] Prenons garde : l'urbaniste peut creuser le tombeau de l'urbanisme." PUISSANT (Adolphe), L'Urbanisme et l'habitation, Bruxelles, Office de publicité, 1945, 159 p., pp. 79-80 Cette mise en garde formulée à l'aube de la monopolisation du mot "urbanisme", du titre d'"urbaniste" et de la politique urbaine par une technostructure renouvelée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l'occasion de la deuxième Reconstruction de la France, semble avoir sonné le glas des voies discordantes qui, jusque là, avaient tenté d'enrichir l'acception du mot "urbanisme" d'ambitions aussi diverses que variées. Nous devrions plutôt dire aussi désordonnées que désemparées si l'on en juge par les controverses dans l'usage de ce vocable. Si le mot s'est progressivement insinué dans la langue française, le sens commun en ignore encore largement les divers sens. Son contenu, aussi bien dans le cadre institutionnel que sur les rayons des libraires, reste une rubrique inclassable faute qu'on lui ait reconnu et ménagé une place à part. Opérationnel ou réglementaire, associé à l'architecture (cf. La Direction de l'Architecture et de l'Urbanisme, DAU du ministère de l'équipement) ou à l'aménagement (cf. La 24° section du Conseil National des Universités), comme il le fut un temps à la Reconstruction, le mot semble avoir sinon visé des acceptions abstraites et déterritorialisées, du moins témoigné d'un sens balloté à la mesure de l'instabilité économique, sociale et institutionnelle de ses propagandistes. I- LE DESARROI SEMANTIQUE D'UNE PATERNITE DOUTEUSE Notre démarche n'a nullement l'intention de proposer une définition normative de plus à toutes celles auxquelles se sont essayé nombre de bon esprits. Elle partira des sens que lui donnèrent certains de ceux que nous avons appelé des propagandistes, insistant ainsi d'emblée sur le fait qu'il s'agira, par hypothèse, tout autant d'un instrument de légitimation symbolique d'un fait social considéré comme tel dès lors qu'il est nommé, que d'une sorte de slogan dans les luttes de construction d'un champ. Champ sémantique de prime abord, mais dont les fondements et la raison d'être tiennent à celui, plus prosaïque et politique —au sens large du terme— des positions socialement occupées, convoitées et revendiquées par des locuteurs selon l'usage qu'ils font de ce mot. Les scrupules philologiques et le dictionnaire On peut se saisir d'un mot et le remplir de sens sans se soucier d'une supposée définition exacte dont le dictionnaire est le garant et le gardien, tout au moins pour ses acceptions les plus courantes. 2 Ce réflexe scolaire, sinon scolastique, habitait cependant les lettrés de la Troisième République, comme en témoigne Léandre Vaillat, prosateur de l'urbanisme à l'instar des Giraudoux, Hallays et autres Pillement. "Ayant écrit ce titre assez pompeux [L'Urbanisme dans la région parisienne], il me vient à l'idée d'ouvrir le dictionnaire de Littré, qui parut en 1863. Or je m'aperçoit avec stupeur que Littré ignore le mot d'URBANISME. Certes je trouve dans un de ses tomes le terme d'URBANISTE, mais appliqué aux religieux de Saint-Claire qui peuvent posséder des fonds, ainsi dites parce que le pape Urbain IV les y autorisa : en vérité, je ne croyais pas être une religieuse de Sainte-Claire. Je trouve aussi URBANITÉ, qui est la politesse des anciens Romains, citoyens de l'URBS, la ville par excellence. Je trouve enfin, au Supplément, le verbe URBANISER, qui signifie donner le caractère de la ville, le caractère citadin, avec l'exemple suivant, emprunté à Edmond About : « Vous introduisez la campagne dans les habitations de la ville, et vous urbanisez l'entourage, les habitudes, le labeur même du campagnard ». Mais d'urbanisme, point. A défaut de Littré, je cherche dans le Larousse illustré, qui date des premières années du XXe siècle. Je n'y trouve qu'URBANISER, amener à l'urbanité, URBANISTE, appliqué aux membres d'une congrégation de femmes qui suit la règle de Sainte Claire, modifiée par Urbain IV ; et encore URBANISTE, qui se dit en histoire ecclésiastique des partisans du pape Urbain IV contre le pape Clément VII, pendant le grand schisme de l'Occident. Je ne tiens ni pour l'un ni pour l'autre, mais pour l'urbanisme, art de bâtir les villes… Si le mot est récent, la chose est vieille comme le monde. […] Tout importe, tout concourt à une harmonie qui a nom urbanisme, à défaut d'un autre qui n'est pas encore trouvé. Si ce mot présente quelque analogie avec celui d'urbanité, c'est qu'il manifesta, lui aussi, une manière de politesse à l'égard des êtres humains et de prévenance à l'endroit de la nature." VAILLAT (Léandre), L'Urbanisme dans la région parisienne, Paris, Musée des Arts décoratifs, Pavillon de Marsan - Palais du Louvre, février-mars 1935, p. 3 En 1935, donc, le mot urbanisme, dans le sens qui nous intéresse, n'a apparemment pas encore fait son apparition dans les dictionnaires. Le sixième et dernier tome du Larousse du XXe siècle (T- Z), dont la publication démarre en 1933 mais a du courir jusqu'en 1945, donne la définition suivante : "URBANISME [nissm'] n. m. Science ou théorie de l'aménagement des villes. — ENCYCL. L'urbanisme comporte tout ce qui a trait à l'aménagement et à l'embellissement des villes et même des villages. On pourrait résumer son vaste programme en trois mots : assainir, agrandir, embellir. C'est une question très complexe, liée non seulement à l'hygiène générale, à la salubrité publique, au confort (aération, balayage, nettoiement, évacuation des déchets de toute sorte, approvisionnement en eau potable, etc.) mais encore à l'esthétique (monuments historiques, artistiques, sites, jardins et parcs à conserver ou à mettre en valeur, servitudes d'alignement à respecter, expansion, etc.). Déjà avant la guerre, beaucoup de grandes villes avaient fait dresser un plan général d'amélioration. Mais l'urbanisme a pris une importance plus immédiate dans la reconstruction des centres urbains ou ruraux anéantis." Larousse du XXe siècle en six volumes, Paris, Lib. Larousse, 1933-1945 Cette définition traduit tout naturellement les préoccupations déjà anciennes des municipalités en matière de gestion de leurs agglomérations, que celles-ci soit proprement urbaines ou rurales, sans trop mettre l'accent sur une planification attendue par les pouvoirs publics à la suite du vote de la loi Cornudet en 1919 mais dont on semble déjà pressentir l'échec. L'édition de 1978 du Grand Larousse restreint nettement, et nous oserons dire heureusement, la définition très technocratique donnée dans le Supplément publié en 1953. Elle pêche malgré tout par son caractère, certes, plus prudent, mais particulièrement évasif. "urbanisme […] I.1. Art d'aménager et d'organiser les agglomérations humaines : les travaux d'extension, d'embellissement, de réorganisation, bref, d'urbanisme (Romains). 2. Art de disposer dans l'espace urbain ou rural les établissements humains au sens le plus large (habitations, locaux de travail, lieux de loisir, réseaux de circulation et d'échanges), de telle sorte que les fonctions et les relations entre les hommes s'exercent de la façon la plus commode, la plus économique et la plus harmonieuse. 3. Ensemble des règles juridiques qui permettent aux pouvoirs publics de contrôler l'utilisation du sol en milieu urbain. […] Grand Larousse de la langue française en sept volumes, tome 7 : SUS-Z, Paris, Lib. Larousse, 1978 3 On sent bien transpirer les définitions proposées par la Charte d'Athènes, mais la sobriété de la définition étonne par rapport aux versions précédentes. Les rédacteurs auraient-ils été échaudés par des références peu scrupuleuses et des sources avérées douteuses ? A consulter le Robert, on constate le repli prudent des formulations vers d'une part une définition générale et sommaire, qui ne mange pas de pain, dirons-nous, et la simple chronologie des institutions ou publications les plus représentatives du milieu. "URBANISME. n. m. (XVIIIe s. COYER, MERCIER, au sens de « science de l'urbanité » ; 1910, sens mod. Paul CLERGET, in Bulletin de la Soc. Géogr. de Neufchâtel ; dér. sav. de urbanus). Etude systématique des méthodes permettant d'adapter l'habitat, et particulièrement l'habitat urbain, aux besoins des hommes ; ensemble des techniques d'application de ces méthodes. V. Ville. — (Cf. Logement, cit. 2 ; sauver, cit. 9). Les grands problèmes d'urbanisme : circulation, hygiène et confort esthétique, problèmes socio-économiques, culturels, etc. V. Aménagement, embellissement, logement. Technique de l'urbanisme. — Fédération internationale pour l'habitation et l'urbanisme (1913). Institut d'Urbanisme de l'Université de Paris (1924). « La Vie urbaine » (1919), « Urbanisme » (1932), premières revues françaises d'urbanisme. Législation française sur l'urbanisme Lois de 1941, 1943, 1944) créant un Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme (M.R.U.). [cit. 1 : Bardet, L'Urbanisme, cit. uploads/Geographie/ frey-genealogie-du-mot-urbanisme.pdf
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- Publié le Apv 28, 2021
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