Annales. Économies, Sociétés, Civilisations Géographie médicale et histoire des

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations Géographie médicale et histoire des civilisations Mirko Drazen Grmek Citer ce document / Cite this document : Grmek Mirko Drazen. Géographie médicale et histoire des civilisations. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 18ᵉ année, N. 6, 1963. pp. 1071-1097; doi : 10.3406/ahess.1963.421086 http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1963_num_18_6_421086 Document généré le 17/05/2016 Géographie médicale ET HISTOIRE DES CIVILISATIONS La Géographie médicale étudie la distribution des maladies sur le globe terrestre et les caractéristiques régionales des processus pathologiques. Elle se propose de découvrir les causes et les conditions de cette répartition et de ces variations nosologiques. Loin de se limiter seulement à la description des maladies curieuses des pays exotiques, la Géographie médicale se penche aujourd'hui, en véritable « écologie des maladies humaines », sur les relations entre le « milieu intérieur » et le « milieu extérieur » de l'homme considérées sous l'angle de la pathologie. Elle analyse donc le déterminisme pathogène du « lieu », c'est-à-dire des facteurs géographiques. Les facteurs géographiques qui régissent l'état de santé de l'homme sont tout d'abord des facteurs physiques : le climat, le relief et les caractères du terrain, les conditions hydrologiques, etc. Leur influence sur la santé peut être directe ou indirecte. Parmi les exemples les plus frappants d'une action directe, nous pouvons citer les maladies provoquées par le froid très rude et l'insolation restreinte dans les régions polaires, par la carence de l'eau dans les déserts, par l'humidité de l'air qui entrave la transpiration dans les pays tropicaux ou par la baisse de pression partielle de l'oxygène aux grandes altitudes. Il faut souligner que les facteurs physiques agissent aussi sur la santé humaine dans les zones tempérées, bien que les effets n'y soient pas si évidents. Le rhumatisme et les météo- ropathies offrent l'exemple de maladies sous la dépendance directe de facteurs physiques. D'une importance plus décisive encore est l'effet indirect des facteurs physiques qui s'exerce par l'intermédiaire des facteurs biologiques : la flore, la faune et la répartition des micro-organismes. Les maladies qu'on appelle tropicales sont confinées dans les zones torrides, presque uniquement parce que les conditions géographiques de celles-ci favorisent l'éclo- sion et le développement biologiques de certains parasites pathogènes et de leurs vecteurs vivants. Par exemple, la fièvre jaune et la maladie du sommeil (trypanosomiase africaine) sont exclusivement localisées dans les contrées où peuvent vivre les espèces d'Insectes qui transmettent ces maladies. L'endémicité du paludisme dépend surtout de conditions 1071 ANNALES de milieu favorables à la vie d'Anophèles. La bilharziose est très répandue en Egypte car les caractéristiques hydrologiques du pays sont particulièrement propices au cycle vital de Trématodes du genre Schistosoma. En outre, la répartition géographique des maladies est liée à la flore et à la faune en tant que sources d'alimentation. La nourriture détermine l'apparition régionale des avitaminoses, mais peut-être aussi d'une façon plus complexe de l'arthériosclérose et du goitre endémique. La fréquence de ce dernier est, semble-t-il, en rapport avec la carence de l'iode dans les aliments et dans l'atmosphère. Sur ces facteurs géographiques primaires se greffent les influences de la vie sociale. Le genre de vie, la densité de la population et autres phénomènes démographiques, l'habitat, le niveau et la situation de l'économie, les mœurs et les croyances, le degré d'instruction et l'organisation de l'administration, tout cela se reflète sur la pathologie des groupements humains. C'est ainsi que, en Suède, aux U.S.A., en France et aux Pays- Bas, l'espérance de vie dépasse soixante-dix ans alors qu'aux Indes elle est d'environ trente ans. A cause de ces facteurs sociaux, la plupart des enfants dans les parties pauvres de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique latine meurent victimes d'infections gastro-intestinales ; à cause de ces mêmes facteurs, dans les pays à haut niveau de vie, environ 35 % des habitants meurent de maladies cardio-vasculaires, lesquelles atteignent mortellement à peine 5 % des habitants des pays pauvres. L'ensemble des facteurs physiques, biologiques et sociaux ci-dessus mentionnés forme un complexe dont il n'est pas facile de saisir toutes les interactions. Nous pouvons le montrer à l'aide de quelques exemples de maladies ayant reçu des épithètes géographiques, si importante fut leur liaison avec une région définie du globe. Ainsi en appelle trachome F « ophtalmie égyptienne ». Sa fréquence en Egypte est le résultat d'une situation climatologique et hydrologique particulière, mais encore plus celui du dénuement et de mœurs insalubres. L'épanouissement de la « maladie anglaise », le rachitisme, parmi les enfants de Grande-Bretagne vers la fin du xvine siècle et le début du xixe siècle, fut provoqué en partie par des facteurs géographiques primaires, tels que le climat brumeux, mais beaucoup plus par des conditions sociales nées de la révolution industrielle (urbanisation et agglomération dans les slums, travail des enfants dans les usines, etc.). Nous pourrions ajouter à ces exemples la fièvre de Malte, la maladie de Bornholm, la fièvre des Montagnes Rocheuses, l'ancien « morbus Hungaricus » et plusieurs autres maladies endémiques. La Géographie médicale est une science de conjonction, qui relève à la fois de la Médecine et la Géographie. Elle fait profiter la Pathologie et l'Hygiène des méthodes et des acquisitions propres à la Géographie 1072 GÉOGRAPHIE MÉDICALE et, inversement, elle met au service de cette dernière divers renseignements d'ordre médical. Tout récemment, un article de la revue britannique Lancet x a fait valoir combien le développement moderne des moyens de transports rend indispensable la connaissance de la Géographie médicale pour le praticien contemporain. A l'arsenal de questions que le médecin pose au malade, il faut ajouter une nouvelle question sur l'endroit d'où il vient. On parle déjà d'une « anamnèse géographique ». Toutefois, l'étude de la distribution des maladies dans l'espace doit inévitablement tenir compte du facteur temps. La Géographie médicale se sert souvent de la documentation historique et — nous insistons sur ce point — elle peut rendre de grands services à l'historien des civilisations. Les meilleurs auteurs sur ce sujet, tels Hirsch ou plus récemment Sigerist, préconisent la nécessité d'une perspective historico-géographique dans la recherche de l'installation, de la migration, des caractéristiques régionales et de la disparition des maladies. Seule une vision dynamique peut être réellement bénéfique 2. Nous nous proposons ici de donner un aperçu et une bibliographie critique concernant une discipline encore en voie de formation. Nous devons nous contenter d'esquisser certains problèmes 3. Il s'agit d'un survol, d'une mise au point destinée principalement aux historiens désireux de se documenter sur un complexe de facteurs qui sont le plus souvent négligés dans les récits historiques. Le premier traité consacré aux problèmes de la Géographie médicale est une partie du Corpus Hippocraticum connue sous le titre ITept àspwv, óoáttóv, tótcwv, Des airs, des eaux et des lieux9-. Ce traité se compose de deux morceaux dont la réunion est peut-être postérieure à Hip- pocrate. Dans la première moitié, l'auteur analyse l'influence du milieu sur l'état sanitaire. Il montre l'importance du climat (surtout des vents), du terrain, de l'eau, des aliments et du genre de vie pour la 1. B. Maegraith, « Unde venis ? », Lancet, 1963, I, p. 401. 2. Voir Henry Ernest Sigerist, « Problems of historical-geographical pathology », Bull. Inst. Hist, of Med., I, 1933, pp. 10-18 ; H. E. Sigerist, A History of Medicine, vol. I, New York, Oxford Univ. Press, 1951 (voir chapitre « Disease in time and space »). 3. Nous avons déjà souligné la nécessité d'étudier la Géographie médicale à l'aide de méthodes empruntées à l'Histoire générale et nous avons donné, en langue croate, un tableau synoptique de la répartition géographique de plusieurs maladies dans le passé et à l'époque actuelle. Voir M. D. Grmek et A. Bujevitch, « Geografija medi- cinska », Medicínská enciklopedija, Zagreb, 1960, vol. IV, pp. 309-315. 4. Le texte grec avec une excellente traduction française est donné par Emile É, Œuvres complètes ďHippocrate, Paris, 1839 seq., vol. II. 1073 Akîîales (18e année, novembre-décembre 1963, n° 6) 3 ANNALES fréquence, les symptômes et la gravité des maladies. Les conclusions générales sont accompagnées d'une série d'exemples que l'auteur, médecin périodeute, a rassemblés lors de ses voyages. Le traité est d'ailleurs destiné aux médecins voyageurs, qui doivent l'utiliser en arrivant dans une ville dont la « physionomie médicale » leur est inconnue. La deuxième moitié du traité aborde l'influence du climat sur le caractère et les mœurs des divers peuples de l'Europe et de l'Asie. L'auteur explique les différences entre les Hellènes et les peuples barbares par l'exposition à des milieux différents 4 Dans Des airs, des eaux et des lieux une importance particulière est attribuée aux mouvements de l'air dans l'organisme humain et dans son entourage ; de plus, l'homme sain ou malade est considéré comme partie intégrante de l'ensemble cosmique. Or, ce sont précisément ces idées qui, selon les témoignages du Phaedros de Platon et de V Anonymus Londinensis, sont prêtées à Hippocrate. Nous croyons donc, contrairement à l'opinion de Daremberg 2, que le traité en question provient, au moins dans ses parties essentielles, d'Hippocrate lui-même (460-377 avant J.-C). Les livres hippocratiques des Epidémies, en particulier les livres I et III, contiennent une uploads/Geographie/ geographie-medicale-et-histoire-des-civilisations.pdf

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