Publications de l'École française de Rome L'immigration italienne en France de

Publications de l'École française de Rome L'immigration italienne en France de 1920 à 1939: aspects démographiques et sociaux Pierre George Résumé L'immigration italienne a été le plus fort apport de population étrangère en France au cours de la période intermédiaire entre les deux guerres mondiales. Trois mouvements se juxtaposent : l'osmose traditionnelle à travers la frontière des Alpes et de la Provence, l'immigration de travailleurs du bâtiment et de l'industrie appelée par la reconstruction et le développement économique, le repeuplement des campagnes du Sud- Ouest, démographiquement appauvries par un exode rural chronique. Malgré les restrictions apportées à l'émigration par le gouvernement italien de l'époque, la zone de recrutement des emigrants s'étend. Tandis que les réserves piémontaises s'épuisent, les populations montagnardes de la Vénétie (Monte Grappa) s'ébranlent; l'Apennin central est égale ment touché par le mouvement. Mais les cas les plus curieux sont ceux de « binômes » tels que ceux de Corato et de Grenoble, de Pesaro et de la région d'Avignon, de la Ciociaria et de celle de Lyon-Saint-Étienne. Établis en France, les Italiens constituent des collectivités d'abord très solidaires qui se fondent vite dans la population des régions d'accueil, outre le Midi, la région parisienne et l'Est industriel. Citer ce document / Cite this document : George Pierre. L'immigration italienne en France de 1920 à 1939: aspects démographiques et sociaux. In: Les Italiens en France de 1914 à 1940. Sous la direction de Pierre Milza. Rome : École Française de Rome, 1986. pp. 45-67. (Publications de l'École française de Rome, 94); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1986_mon_94_1_3149 Fichier pdf généré le 26/03/2019 PIERRE GEORGE L'IMMIGRATION ITALIENNE EN FRANCE DE 1920 À 1939: ASPECTS DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIAUX Les migrations entre l'Italie et la France au cours de la période intermédiaire entre les deux guerres mondiales, mesurable à partir des résultats des recensements de population pour les intervalles censitaires 1921-1936, ne sont qu'un épisode d'un phénomène d'osmose de longue durée. Une partie des régions françaises les plus massivement intéressées, les Alpes maritimes et la Savoie, était sous souveraineté italienne deux générations plus tôt. La montagne alpine a toujours été perméable à des déplacements de plus ou moins longue durée, à des alliances matrimoniales. Le statut juridique de la frontière fait figure d'abstraction par rapport à la mobilité de fait de la population et à ses relations avec l'espace. L'implantation de longue date d'Italiens, surtout dans le Sud-Est, a créé un pôle d'attraction permanent par le jeu des liens familiaux et des rapports de collectivités de villages. Il s'agit donc de saisir un moment de cette circulation entre les deux pays voisins et d'en préciser les caractères propres, tant du fait des politiques d'immigration et d'émigration des deux États concernés, qu'en considération des circonstances économiques et des modifications dans le tracé de la mouvance migratoire. Le bilan démographique de la France en 1918 est alarmant. Les classes d'adultes jeunes, qui représentent l'essentiel de la population active, ont été amputées d'une partie importante de leurs effectifs : 1 325 000 morts au front ou des suites de leurs blessures, 1 100 000 invalides dont 130 000 mutilés, sur une population d'âge actif de l'ordre de 2p millions (les deux sexes confondus). À terme s'ajouteront, à partir de 1935, les effets du déficit des naissances de la période de la guerre, approximativement 250 000 à 300 000 par an (recul de 35 à 50% du nombre moyen des naissances par rapport à la période antérieure à 1914) impliquant une réduction correspondante de la tranche d'âge arrivant à l'âge actif entre 1931 et 1936, dont, il est vrai, l'effet a été 46 PIERRE GEORGE atténué sur le marché du travail par la crise de la décennie 1930. C'est donc surtout l'impact de l'hécatombe de la guerre qui a pesé sur l'économie nationale au cours de la décennie 1920. Plus de 10% de la population d'âge actif manque à l'appel au lendemain de l'armistice, près d'un cinquième des hommes. Une partie des rescapés ne peut exercer que des activités marginales accessibles à des personnes diminuées physiquement - les «emplois réservés». Au traumatisme démographique - et à ses conséquences propres sur la vie nationale ou régionale - s'ajoute un bilan très lourd de pertes matérielles et des retards économiques et techniques : destruction d'immeubles, d'ouvrages d'art, d'entreprises de tous ordres, vieillissement du patrimoine national dans toutes ses formes. Malgré les progrès réalisés à l'occasion de la guerre dans le domaine des moyens et des méthodes de travail et de production, la main-d'œuvre reste le facteur principal de remise en marche de l'économie et de restauration des travaux d'intérêt public. La décennie 1920 est donc une période d'appel massif à l'immigration de force de travail. Les processus peuvent être complexes et faire jouer des effets indirects : l'industrie, l'économie urbaine ponctionnent la population des campagnes françaises en même temps qu'elles font appel à l'immigration. Celle-ci est donc appelée, suivant les cas, à répondre directement à une demande de main-d'œuvre ou à combler les vides créés par des migrations internes ou par des déficits locaux dus directement à la guerre. Les méthodes de mise en route des flux migratoires diffèrent aussi suivant la nature des besoins et suivant les moments. La localisation des appels à une main-d'œuvre extérieure découle de celle des dommages de guerre, des choix régionaux d'investissements industriels et de l'accélération du rôle centralisateur de la région parisienne. Elle privilégie donc la moitié nord de la France, les «régions dévastées», les pays miniers du Nord et de l'Est, la Lorraine industrielle, reconstituée par le retour à la France des provinces aliénées en 1871, et la région parisienne, tandis que l'aire traditionnelle de l'immigration italienne couvrait essentiellement le Sud-Est et l'actuelle région «Rhône- Alpes», c'est-à-dire la Savoie, la région lyonnaise et stéphanoise et l'agglomération de Grenoble. Les politiques d'appel à l'immigration, la création accessoire de filières économiques et sociales vont modifier la carte des flux migratoires telle qu'elle pouvait être tracée à la veille de la guerre et ouvrir de nouveaux espaces à l'installation et à l'intégration des Italiens. Ceux- ci constituent une part à peu près constante de l'immigration, malgré L'IMMIGRATION ITALIENNE EN FRANCE DE 1920 À 1939 47 les appels croissants des organismes industriels français aux immigrés issus d'Europe centrale: 419 000 sur 1 160 000 en 1911, 35%, 760 000 sur 2 500 000 en 1926, 30%. Compte tenu du fait que les naturalisations sont plus fréquentes que pour les immigrés provenant d'autres souches nationales, la proportion reste à peu près inchangée1. Face à cette demande de population nouvelle, quelle est la situation et quelle est la politique de l'Italie? «Seule elle était sortie de la guerre avec une population accrue grâce à une très forte natalité et à l'afflux de réfugiés»2. En effet, le redécoupage territorial effectué à la fin de la guerre à refoulé environ un million de «rapatriés», la situation économique est médiocre, le malaise agraire constant, les débouchés transocéaniques à l'émigration de la misère se ferment. La période 1920-1936 est une période de report de l'émigration italienne vers l'Europe, mais aussi de variations de la politique du gouvernement à l'égard de la sortie de ses nationaux, qui ne sont pas sans incidence sur la localisation des flux, toute restriction apportée à l'émigration légale privilégiant les mouvements traditionnels indifférents aux contraintes réglementaires, au préjudice des migrations «officielles». La France, pays voisin aux frontières perméables, liée à l'Italie par des filières de migrations familiales et professionnelles, est devenu le premier pays européen d'établissement de migrants italiens : près d'un million en 1927 : 963 000 sur 1 300 000 dans l'ensemble des pays européens et sur 9 millions d'Italiens résidant à l'étranger (fig. 1 à 4). Pourtant, plus que d'un transfert de l'émigration transocéanique contrariée, qui était une émigration «méridionale», c'est d'une intensification des flux relativement traditionnels issus de l'Italie du Nord et de l'Italie centrale qu'il s'agit. La localisation des flux migratoires est inséparable des modalités de la migration. Celle-ci se projette sur deux schémas de structure et de stratégie démographique : le schéma de migration spontanée suivant des lignes de forces établies depuis longtemps, celui de la migration organisée soit de façon bilatérale sur la base d'accords internationaux assurant des garanties aux immigrés de la part de l'administration du pays d'accueil, soit sous la simple forme d'appel à main-d'œuvre par octroi d'un contrat de travail. La distinction des deux styles migratoires 1 14 000 naturalisations d'Italiens de 1921 à 1929. 2 G. Mauco, Les étrangers en France, Paris, 1932, p. 91. 48 PIERRE GEORGE dépasse le cadre d'une simple classification. Elle oppose deux dimensions chronologiques : celle de l'imprégnation constante par effet de voisinage, associant des mouvements saisonniers, l'appui de relations familiales préétablies, à des migrations qui se coulent dans un moule tout préparé d'itinéraires, de points d'accueil et de certitude d'emploi, et, d'autre part, la mobilisation organique relevant de l'initiative, des gros employeurs et du contrôle des appareils administratifs d'État qui déplace des cohortes de la misère vers un faux eldorado de travaux ingrats, dangereux, dans un environnement d'indifférence, sinon d'hostilité. La première forme uploads/Geographie/ immigration-italiens-1920-1939.pdf

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