OCTAVE, CÔTÉ JARDIN (suite) Aux jardins de l’imaginaire mirbellien Les facéties
OCTAVE, CÔTÉ JARDIN (suite) Aux jardins de l’imaginaire mirbellien Les facéties de jardiniers que Mirbeau aime nous raconter et l’exubérance florale exprimée aussi bien à propos du jardin de Monet que dans son Jardin des supplices, nous entraînent, progressivement mais inéluctablement vers ses rapports affectifs conjugaux. Le jardin mirbellien est à la fois reflet du Moi intérieur, mais aussi source d’inspiration. Nourrie par son expérience sensible et l’autodérision, sa création littéraire autour et alentour de ses jardins impressionnistes se singularise par son art inégalé de la « composition florale » savamment mêlé à l’expression de son mal-être. Ce paradigme de la création mirbellienne peut être assimilé à une des figures du Décadentisme. Tel est le fil conducteur que nous allons suivre au long de cette thématique. La lecture et l’étude des contes fantaisistes « Le Concombre fugitif » et « Explosif et baladeur », parus dans Le Journal en 1894, nous apportent, un condensé (non exhaustif) des regards que porte Mirbeau sur le jardin, l’univers floral et de son imaginaire. Une suite de contes qui expriment la conception mirbellienne des jardins Au delà de l’aspect facétieux de la série de contes qu’initie Mirbeau avec le « Concombre » ont peut y lire un véritable manifeste de l’amour de Mirbeau pour les fleurs et les jardins. Presque toute sa pensée florale y est contenue : les fleurs lui sont des amies « silencieuses et violentes », et fidèles. Mirbeau affirme haut et fort qu’il déteste les fleurs bêtes ou, plus exactement, les fleurs à qui les horticulteurs ont communiqué leur bêtise contagieuse, tel le bégonia, pour simple exemple. Dans l’ordre des espèces sur terre, Mirbeau accorde aux végétaux, tout comme aux animaux, un statut qui n’est pas inférieur à celui de l’homme1 ; il peut recourir pour cela à des métaphores anthropomorphes, et dans ce sens, comme les individus, les fleurs peuvent être aussi bien intelligentes que stupides par l’usage qu’on veut bien leur attribuer. Elles ont en elles une « personnalité mystérieuse » riche « de symboles émouvants et de délicieuses analogies ». Les fleurs que Mirbeau aime ne sont ni asservies par un sécateur ravageur, ni sujettes à de détestables et vulgaires modes bourgeoises : ce sont par exemple les fleurs qui ont été peintes par son ami Monet dans les environs de Vetheuil (les champs de coquelicots) ou de Giverny : « Les fleurs que j'aime sont les fleurs de nos prairies, de nos forêts, de nos montagnes », qu'elles soient de l'Amérique septentrionale, du Japon ou de Suisse2. Son ami Maurice Maeterlinck, à la notoriété littéraire duquel il a fortement contribué, donnera également sa préférence aux « Fleurs des champs3 », malheureusement de plus en plus pourchassées : « Le paysan les craint, la charrue les poursuit ; le jardinier les hait et s'est armé contre elles d'armes retentissantes : la bêche et le râteau, la houe et le racloir, le sarcloir, la binette. Le long des chemins, leur suprême refuge, le passant les écrase et le chariot les broie. [...] N'importe, elles sont là : permanentes, assurées, pullulantes, tranquilles, et pas une ne manque à l'appel du soleil. Le sol leur 1 Dans une lettre à Claude Monet, Mirbeau utilise la métaphore d’une douce personne à propos d’un veau né dans la petite bergerie d’Alice Regnault. L’abbé Jules préconisait, pour sa part, de s’éloigner « le plus possible des hommes » et de se rapprocher « des bêtes, des plantes, des fleurs ». 2 Octave Mirbeau, probablement sur les conseils d’Alexandre Godefroy-Lebeuf et d’Henri Correvon, aménage au Clos Saint-Blaise, entre les printemps 1895 et 1896, un jardin alpestre avec des rocailles (cf. lettres 1343, 1344, 1472-1474, O. Mirbeau, Correspondance générale, tome III). 3 Maurice Maeterlinck, « Fleurs sauvages », Le Figaro, 11 septembre 1902 (paru ensuite dans Double jardin et L’Intelligence des fleurs) (téléchargeable sur Gallica et, en version texte, sur : http://www.jardinsduloriot.fr/joomla/index.php?option=com_content&view=article&id=544:maurice- maeterlinck-fleurs-des-champs&catid=127:langage-des-fleurs&lang=fr&Itemid=229). Page 1/1 appartient depuis son origine. Elles représentent, en somme, une pensée invariable, un désir obstiné, un sourire essentiel de la Terre. » Si on les interroge, elles ont quelque chose à nous dire et « elles apprirent à nos pères qu'il y a sur ce globe des choses inutiles et belles... » Cette vision symboliste de Maeterlinck s'inscrit dans le prolongement de la pensée agreste impressionniste développée et mise en œuvre par Monet et Mirbeau. On peut voir aussi dans ce choix un mouvement de pensée anarchique et écologique : comme les gouvernants, les jardiniers doivent limiter leur action dans leur territoire au minimum de nuisance possible, car « les fleurs sont bonnes et généreuses pour qui sait les chérir ». Cette forme de jardinage a été diffusée, à l’époque de Mirbeau, par William Robinson, qui prône le jardin sauvage ou naturel ; ils sont l’écho fin de siècle des jardins anglo-chinois initiés et pratiqués par les Anglais, tel William Temple à Moor-Park, au XVIIe et au XVIIIe siècle . Elles tournent le dos aux formes architecturales et symétriques des jardins français de Le Nôtre. Plus récemment, l’architecte paysagiste et écrivain engagé Gilles Clément, avec ses formes paysagères de « jardins en mouvement4 » et de « jardin planétaire » est assez proche de celle du jardiniste Mirbeau. Toutefois, l’écrivain normand, plus que le paysagiste-écrivain limousin, apprécie le métissage ou la cohabitation de la flore exotique avec la flore endémique et indigène de grand espaces naturels : « Quel plaisir de rassembler, en un jardin, tous ces êtres de miracle et de leur donner la terre qu’ils aiment, l’air dont se vivifient leurs délicats organes, l’abri dont ils ont besoin, et de les laisser se développer librement, s’épanouir selon leur fantaisie admirable et dans la norme de leur bonté ; car les fleurs sont bonnes pour qui sait les chérir5. » Ainsi, lors de son séjour à Menton au printemps 89, dans une lettre à son ami Gustave Geffroy l’invitant à venir le rejoindre sur la Côte d’Azur, Mirbeau lui donne une description enchanteresse d’un immense parc existant à Mortola, prés de sa résidence, et qui a été aménagé en 1867, par Thomas Hanbury, un Anglais ayant fait fortune aux Indes : « Là, il a réuni tout ce que la flore exotique possède de merveilles, et de beautés étranges – arbres et fleurs – arrangé avec un goût étonnant et une âme de grand artiste… » Il va jusqu’à imaginer, en prenant à témoin Geffroy, que le grand artiste, créateur de ce coin édénique où chaque couleur ou forme s’harmonise avec celle d’à côté, doit entrer dans le temple des deux dieux de son cœur, Rodin et Monet : « Ne croyez-vous pas même qu’il soit plus grand qu’eux tous6 ? » Un mois plus tard, Mirbeau publiera dans Le Figaro un article intitulé « Embellissement », en contre exemple des jardins d’Hanbury, dans lequel il stigmatise « l’horticulture moderne » et toutes les formes d’embellissement qui s’acharnent, au nom d’un soi-disant progrès, contre la beauté des fleurs sauvages, les jeunes arbustes et les vieux arbres. Un olivier, « macrobite vénérable, instruit par l’expérience de six siècles » et symbole de la paix, est la victime de l’aménagement d’un grand espace végétal du Cap Martin, à l’initiative d’un autre Anglais, qui a l’idée, en quelques mois, de le « raser, niveler, peigner, encasinoter, débarrasser de sa 4 Le concept de jardin en mouvement, développé et pratiqué par Gilles Clément, prend appui sur l’idée que le jardinier peut faire confiance aux lois de la nature en laissant aux plantes la liberté de mouvement. Ainsi les plantes vont s’essaimer selon des facteurs contingents naturels, combinant des facteurs pédologiques et phytosociologiques. Les contours des jardins « naturels » se redessinent au fil des années en dehors des limites cadastrales dans le tiers-paysage, zones libres où la flore et la faune s'organisent selon des lois qui ne subissent pas l’influence directe de l’homme. 5 Octave Mirbeau, « Le Concombre fugitif », 3e paragraphe. 6 Lettre 624, à Gustave Geffroy, Menton 27 mars 1889, Correspondance générale, tome II, p. 66. Page 2/2 Figure 1 – Dans The parks and gardens of Paris, le « wild gardener » William Robinson en 1878 est particulièrement séduit par les formes libres des scènes paysagères du Parc Monceau. végétation glorieuse, fantasque et libre ». On peut sans hésiter rapprocher la vision qu’a Mirbeau de la nature, de celle de la vision poétique et écologique du grand géographe Elisée Reclus (L’Histoire d’un ruisseau, L’Histoire d’une montagne…) ou de celle d’Émile Verhaeren (Les Villes tentaculaires). La dénonciation qu’il fait de cet aménagement destructeur est, certes, relayée aujourd’hui dans toute l’Europe par des mouvements de défense de la nature, et de façon minimaliste par des textes de lois tels que la Loi littoral. Il est toutefois important de souligner le radicalisme de la critique de Mirbeau, en son temps, à l’ égard d’un progrès moderne et de l’aménagement du territoire soutenu par les spéculateurs et créateurs de « plaisirs stupides », et qui se fait au détriment de « la beauté vierge uploads/Geographie/ jacques-chaplain-octave-cote-jardins-suite-aux-jardins-de-l-x27-imaginaire-mirbellien.pdf
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- Publié le Jui 25, 2021
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