Association Foi et Culture Scientifique Le 24 janvier 2015 Compte rendu de la s

Association Foi et Culture Scientifique Le 24 janvier 2015 Compte rendu de la soirée-débat du 7 janvier 2015 à l'Espace du Val de Gif CONFÉRENCE DE M. JEAN-LUC MARION : "CONNAÎTRE DES CHOSES, CONNAÎTRE DES OBJETS"1 Philippe LESTANG : Nous avons le grand honneur d'accueillir Monsieur Jean-Luc Marion dans le cadre d'une soirée commune à l'association « Foi et Culture Scientifique » et à l'association « Les vendredis de Gif ». M. Marion est philosophe, ancien élève de l’École Normale Supérieure, et membre de l'Académie française. Il est professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne et professeur à l'université de Chicago. Il donne également des cours dans différentes universités étrangères. Par ailleurs il est membre, au sein de l’Église catholique, du Conseil Pontifical de la Culture, où il a été nommé par le pape Benoît XVI. Ses travaux philosophiques portent principalement, en phénoménologie, sur la question de la donation et des divers types de phénomènes, à travers de nombreux ouvrages, dont "Réduction et Donation", "Étant donné", "De surcroît" et "Certitudes négatives". Beaucoup d'autres de ses livres se rattachent au même sujet. L'ensemble de sa réflexion, à partir d'une lecture de Descartes, monte jusqu'à Dieu. Dans un livre qu'il a consacré à son œuvre, un philosophe écrit : « Il y a dans la philosophie de Marion, et c'est en cela qu'elle est passionnante et qu'elle nous demeure proche, ce qui est la marque de toutes les grandes philosophies : l'adéquation, presque sous nos yeux et à portée de main, d'une virtuosité conceptuelle déroutante et redoutable, avec la sensation délicieuse que celle-ci s'incarne pourtant dans notre quotidien le plus banal.» (Stéphane Vinolo, dans son livre "Dieu n'a que faire de l'être - introduction à l’œuvre de Jean-Luc Marion"). Bernard SAUGIER : L’association « Foi et Culture Scientifique » a préparé cette soirée avec le soutien des « Vendredis de Gif ». Notre région compte beaucoup de scientifiques ; certains sont croyants, beaucoup sont incroyants, mais tous sont animés par un projet et partagent un désir de connaître qui suppose une forme de foi - j’emprunte ces mots à Dominique Grésillon, un des fondateurs de notre association. Science et foi ont plus en commun qu’il ne paraît, et nous étudions ces relations depuis plus de 20 ans au cours de réunions mensuelles ouvertes rassemblant entre 20 et 45 participants. Les comptes rendus sont diffusés aujourd'hui à plus de 170 personnes et nous éditons deux fois par an une revue appelée « Connaître ». De temps en temps nous élargissons notre cercle habituel, quand nous accueillons un hôte de marque comme ce soir, le philosophe Jean-Luc Marion. J’ai été élève à l’École Normale quelques années avant Jean-Luc Marion, dans la section des sciences. À l’époque il y avait peu de contacts entre littéraires et scientifiques, malgré de multiples occasions de rencontre notamment au Pot, comme on appelait alors la cantine. Les scientifiques affectaient de ne rien comprendre au beau parler des littéraires, et ceux-ci trouvaient trop terre- à-terre les préoccupations des scientifiques. Je regrette maintenant cette absence de dialogue, qui n’est bonne ni pour les uns ni pour les autres, et j’espère que Jean-Luc Marion va nous donner le goût de renouer le dialogue entre philosophes et scientifiques. 1 Ce compte rendu est le plus fidèle possible à l'enregistrement audio fait pendant la soirée, mais n'a pas été relu par Jean-Luc Marion. 1/17 Jacques AUGÉ : Cette conférence-débat a été initiée par l'Association Foi et Culture Scientifique, qui a demandé à l'Association des Vendredis de Gif si elle voulait s'y associer, ce que nous avons volontiers accepté. La philosophie des Vendredis de Gif est assez différente de celle de Foi et Culture Scientifique. En général les conférenciers qui sont invités sont des personnes qui portent des témoignages et qui sont en général fortement engagées. On peut dire que c'est aussi le cas de Jean-Luc Marion. Pour ceux qui ne connaissent pas les Vendredis de Gif, je peux rappeler son historique : l'association a été créée à la suite d'une conférence de l'abbé Pierre en 1982 ; et depuis, des conférences débats ont eu lieu régulièrement à Gif. J'ai pris la présidence de l'association en mars dernier, avec beaucoup de plaisir, en raison de l'ouverture extrêmement large de l'association, sur le monde économique, sur le monde social, religieux, scientifique, politique. On n'a absolument aucune censure, puisqu'on ne dépend de personne ; nous pouvons inviter qui nous voulons, mais il faut que ce soit des personnes de conviction, et non des cours universitaires. Ces derniers mois, nous avons invité la présidente de la Cimade sur les questions de l'immigration, puis une femme pasteur sur le rôle de son Église dans la reconnaissance de la place des femmes, et enfin un couple d'agriculteurs du plateau de Saclay qui milite pour l'agriculture biologique. Nous recevrons au cours des mois à venir d'abord un historien orthodoxe, puis la présidente des amitiés Charles Péguy, ensuite en mars un représentant du CCFD-Terre solidaire. EXPOSÉ DE M. MARION Vous êtes en majorité des scientifiques, je ne suis pas un scientifique. Les littéraires ne parlaient pas aux scientifiques à l'École Normale, donc je ne suis absolument pas capable de parler avec vous (rires). Pourtant c'est ce que je vais faire pendant trois quarts d'heure, puis je répondrai - mal - à des questions que je ne comprendrai pas. Le sujet dont nous étions convenus est le suivant : "Connaître des choses, connaître des objets". Je voudrais d'abord expliquer ce que l'on peut dire sur l'invention du concept d'objet, si on considère l'histoire de la philosophie et donc l'histoire des sciences, car elles sont difficilement séparables. Avec le concept d'objet, j'espère parler de quelque chose que je comprends un peu et que vous pratiquez beaucoup. Vous travaillez tous sur des objets, l'objet de votre travail de laboratoire, de vos manips diverses ou de votre programme : le physicien travaille sur les plasmas, le rayon laser, sur les terres rares... ; d'autre travaillent sur des questions d'économie, de chimie… Pendant des siècles, le terme d'objet n'a jamais été prononcé. Les Grecs n'avaient pas de mot pour dire "objet", ils ne savaient pas ce que c'était. Le terme d'objet est né en latin et s'est peu à peu imposé au Moyen-Âge, mais n'a pris véritablement son développement qu'aux 14e-15e siècles. Pourquoi ? Et qu'est-ce qu'un objet ? Le théoricien de l'objet est Descartes, il a imposé le terme. Descartes se pose la question de l'objet dès le début, dans le contexte suivant : faisant la revue de l'état des sciences de son époque, il constate - et ce n'est pas très original - qu'il y a de très nombreuses sciences, mais que deux seulement permettent d'accéder à de la certitude : l'arithmétique et la géométrie. L'arithmétique et la géométrie - avec leurs dérivations, la musique qui dépend de l'arithmétique et l'astronomie, qui dépend de la géométrie - ne se trompent jamais dans leurs résultats, qu'on peut toujours vérifier. Les Grecs l'avaient déjà constaté. Ils avaient remarqué que ces deux sciences avaient le privilège d'avoir des démonstrations répétables, vérifiables par n'importe qui ayant l'esprit à peu près normal. Les autres sciences savent des tas de choses, mais c'est toujours par des "on dit", par des expériences qu'on ne peut pas répéter, donc elles ne donnent pas de science, de certitude. 2/17 Descartes dit en substance : « Cela suffit comme cela ! Ou bien, il n'y a pas d'autre science que les mathématiques, ou bien il faut utiliser les recettes des mathématiques dans d'autres domaines si on veut atteindre des résultats certains.», parce qu'il définit une science comme une "connaissance certaine" ; non pas une "connaissance" - sinon l'histoire, la mythologie, la littérature, l'astrologie seraient des sciences, - mais une "connaissance certaine". Cette connaissance certaine a pour modèle les mathématiques, mais elle n'est pas une répétition des mathématiques. La caractéristique des mathématiques est qu'elles ne portent pas sur de la matière, mais seulement sur des formes. Forme et matière. La distinction « matière-forme » était fondamentale chez les Grecs. Aristote l'avait thématisée en disant : « Il y a des sciences certaines, les mathématiques et la logique formelle (dont les syllogismes sont un exemple) ; mais elles ne sont vraies que si on fait abstraction de ce qui produit l'erreur et l'incertitude, à savoir la matière.» Prenons un exemple simple. Je vois ce verre, il a une forme et une matière. Il est facile de connaître la forme du verre qui permet de contenir, et de voir pourquoi il contient de l'eau sans fuite : il faut un espace clos sur les côtés. Quant à la matière, elle peut être tout, éventuellement n'importe quoi, poreuse ou non poreuse. On peut partir de la terre, mais laquelle, dans quelles conditions ? ; il faut la cuire, pendant un temps à définir, c'est fragile, etc. La matière, c'est le facteur d'incertitude. Ce qui nous donne la certitude, c'est la forme, et ce qui nous donne l'incertitude, c'est la matière. D'où le problème, devenu capital, en mécanique moderne, de la uploads/Geographie/ jean-luc-marion-connaitre-des-choses-connaitre-des-objets-conferencia-de-marion.pdf

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