Nouvelle revue d'onomastique Éléments de toponymie berbère dans l'Atlas marocai

Nouvelle revue d'onomastique Éléments de toponymie berbère dans l'Atlas marocain Jeannine Drouin Citer ce document / Cite this document : Drouin Jeannine. Éléments de toponymie berbère dans l'Atlas marocain. In: Nouvelle revue d'onomastique, n°41-42, 2003. pp. 197-219; doi : https://doi.org/10.3406/onoma.2003.1451 https://www.persee.fr/doc/onoma_0755-7752_2003_num_41_1_1451 Fichier pdf généré le 30/04/2018 ÉLÉMENTS DE TOPONYMIE BERBÈRE DANS L'ATLAS MAROCAIN L'objectif de cette recherche est de montrer que les toponymes atlasiens rendent compte non seulement de la topographie mais aussi de l'histoire sociale. La montagne, les piémonts et les vallées sont désignés pour ce qu'ils sont dans la réalité physique. Les sommets montagneux - le plus haut est le Toubkal à 4165 m. - capitalisent neige et pluie, alimentent torrents et sources qui irriguent pâturages, terrasses et jardins producteurs de légumes et de fruits. On peut distinguer sommairement trois chaînes montagneuses parallèles, orientées sud-ouest nord-est traversant tout le Maroc : le Haut Atlas qui culmine au Toubkal, dont le versant nord est plus boisé que le versant sud ; le Moyen Atlas moins élevé qui constitue une chaîne transversale au nord du Haut Atlas ; l'Anti-Atlas commençant au sud-ouest près de la côte atlantique et finissant dans le Maroc oriental. Ces chaînes sont séparées par de grands cours d'eau et communiquent par de nombreux cols. La montagne a été généralement considérée comme le lieu de refuge des populations berbères anciennes progressivement islamisées et partiellement arabisées. Les croyances préislamiques, ancrées dans un substrat animiste allant de pair avec les aléas climatiques enjeux de l'agriculture et de la vie humaine, étaient florissantes. Ce sentiment du sacré immanent s'est intégré en partie aux pratiques de l'islam dans ses aspects les plus populaires pour accréditer le pouvoir de saints personnages protecteurs et médiateurs ; leurs sanctuaires, devenus lieux de pèlerinages, sont des lieux-dits remarquables ou des centres économiques indissociables de la vie quotidienne. 11 y a aussi les lieux témoins de l'histoire "historienne" ou panie du répertoire oral traditionnel, mémorable et mémorisé, parce qu'ils ont marqué la vie conflictuelle de la population, particulièrement à partir du XVIIe s. C'est à cette époque que le sultan Moulay Ismail - contemporain de Louis XIV en France et comme lui autocrate - entreprit l'unification du royaume compartimenté en principautés indépendantes, principalement berbères. Il n'est pas question de faire une recension de tous les "marqueurs" de l'espace considéré mais de montrer, autour de toponymes les plus caractéristiques, comment s'articulent les enjeux évoqués comme autant de mécanismes socioculturels inséparables d'un contexte physique et spirituel spécifique. En somme, cet exercice est à la croisée de la toponymie, de l'ethnographie et de l'anthropologie culturelle. La démarche serait évidemment différente dans d'autres contrées berbères, sous d'autres latitudes et dans d'autres situations, au Sahel par exemple ou dans les régions subsahariennes. I. Origine et morphologie des toponymes Le toponyme peut se présenter sous la forme d'un seul ou de plusieurs éléments. Il peut aussi avoir une structure qui en fait un nom masculin ou féminin, le féminin pouvant avoir également la valeur de diminutif, au singulier ou au pluriel. Ces caractéristiques de genre et de nombre sont le fait de tous les noms communs dont ils font partie avant de devenir des noms propres de lieux. On ne retiendra pas ici les cas particuliers de structures anciennes et de noms composés dont l'étymologie est difficile à retrouver et quelquefois hasardeuse, recherche qui mobilise les linguistes. D'un point de vue général, les noms masculins commencent le plus souvent par une voyelle, a-, u-, et les noms féminins par t-précédant ces voyelles. Le pluriel masculin est généralement marqué 197 Nouvelle Revue d'Onomastique n' 41-42 — 2003 par un /-initial et le pluriel féminin par ti-, 11 existe, par ailleurs, des noms qui commencent par une consonne. D'une région à l'autre, le vocalisme d'un même nom peut changer ainsi que sa signification, par exemple "plateau" ici et "plaine" là. Ces faits, quelquefois signalés, n'ont pas été relevés systématiquement pour ne pas alourdir le développement, le propos étant, quelle que soit la signification particulière régionalement, de montrer le fonctionnement social de la toponymie dans un espace déterminé. Prenons quelques exemples1: aghabala désigne la "source" et un lieu-dit. La caractéristique de ce lieu-dit est si fréquente en montagne qu'il faut le déterminer pour qu'il soit exactement identifié. D'où plusieurs composés où le déterminé aghbala ou aghbalu est suivi d'un déterminant introduit ou non par la préposition de détermination n "de" : Aghbalu n serdan "source des mulets" ; Aghbalu n ayt drip' source des Ayt-Drif ' ; Azru fullus "rocher du coq" (déterminant (ajfullus sans préposition). Un même déterminant précise et individualise un déterminé : Tizi n serdan "col des mulets" ; Afud n serdan "colline des mulets". La même analyse concerne beaucoup d'autres noms, déterminés ou déterminants, tels que azru "pierre, rocher", tizi "col", targa "séguia, rigole d'irrigation", zawiya "centre religieux", qui peuvent être déterminés par un anthroponyme ou un ethnonyme, nom de groupe, ou par un participe pouvant avoir la valeur d'un adjectif : Targa n ayt zbayr "rigole des Ayt-Zbayr" ; Zawiya ihansalen "centre religieux des Ihansalen" ; Zawiya n lalla aziza "zawiya de Lalla Aziza" ; Azru igheran "rocher répondant (à l'écho)" ; Adrar zegzawn "montagne verte". L' anthroponyme peut être en même temps un toponyme : ayt wagenna "les Ayt-Wagenna" et lieu-dit ; ayt mohand"\zs Ayt-Mohand" et lieu-dit. Un cours d'eau, asif (arabe wad), peut prendre le nom de l'espace qu'il traverse et avoir ainsi plusieurs noms tout au long de son parcours : asif n ayt lahsen "rivière des Ayt-Lahsen". 11 existe des catégories de toponymes, simples ou composés, qui sont initialement des référents géographiques et agraires c'est-à-dire se rapportant à l'activité économique. Les noms communs à une seule unité, aux connotations suffisamment connues, deviennent des noms propres, comme Azru "rocher" désignant une ville du Moyen Atlas. IL Référents géographiques et agraires L'ouvrage d'E. Laoust (Contr . 1942)2 a servi de base à la réflexion sur les traits culturels des toponymes. Les quelques 641 entrées ont été classées par l'auteur selon des catégories qui mettent en évidence les mots-clés renvoyant à la terre, feau, l'habitat, les parties du corps, les animaux, les plantes, certains objets. 198 Éléments de toponymie berbère dans 1 ' Atlas marocain On a repris certaines de ces données regroupées en "référents géographiques et agraires" en ne relevant que les exemples qui semblaient les plus significatifs à ce propos, sans retenir les très nombreuses informations que l'auteur développe - géographiques, ethnologiques linguistiques, étymologiques - dont la recherche dépasse le cadre de ce travail. Les localisations des toponymes donnés en exemples peuvent être retrouvées facilement en se reportant aux numéros mentionnés qui sont ceux des entrées de l'ouvrage. On a considéré que cette exploration de la "toponymie du Haut Atlas" correspondait globalement à ce qu'on peut trouver dans les mécanismes de composition et de signification renvoyant aux sites et aux sociétés dans tout l'Atlas - compte tenu des variantes lexicales qui ne changent rien au propos que l'on développe. On a été amenée à moderniser certaines notations mais à respecter certains énoncés de l'auteur même si, dans certains cas, la notation peut paraître incertaine, mais invérifiable dans l'immédiat. Comme confirmation et amplification de l'usage toponymique des référents évoqués, il a semblé du plus grand intérêt de rappeler l'étude de J. Berque (Structures 1955) pour le territoire limité mais exemplaire des Seksawa. L'auteur a montré la systématisation des dénominations des plus petites parcelles appartenant aux différents groupes qui constituent cette population, caractérisées par une microtoponymie ; les dénominations descriptives viennent à l'appui des caractéristiques de la vie socio-économique de populations vivant d'agriculture et d'élevage, dans un environnement tributaire du climat contrasté et de la topographie montagneuse. IT.1. Vocabulaire topographique Ce vocabulaire de base est très abondant et complexe. On en retiendra ce qui paraît essentiel pour décrire la géographie physique de la montagne telle que la société la perçoit et la nomme. Il concerne les caractéristiques morphologiques, la perception de la couleur en rapport avec les étages du couvert végétal ainsi que la présence animale. La dénomination morphologique a rapport avec le vocabulaire anatomique (v. § III.l.) qui sera mentionné ici seulement pour mémoire. n° 1 . adrar / idraren "montagne" ; ce générique est toujours accompagné d'un déterminant ; adrar afensu "montagne du rocher'' ; adrar tawukt "montagne du hibou" ; adrar f uzaghar "montagne dominant la plaine". n°9 1 . tin "col" ; tizi n tiqqi "col du genévrier" ; tizi n adad "col du mouflon" ; tizi n tugurramt "col de la sainte femme". n°24. tawrirt "colline, crête" ; toponyme très fréquent, souvent employé sans déterminant ; tawrirt n imitar "colline des signaux d'alerte" ; tawrirt umzil "colline du forgeron" ; tawrirt, village sur une élévation de la vallée de l'Aghbar (situé sur une eminence), village proche de Ouarzazate... n°25. ighil "bras, crête" ; toponyme assez fréquent ; tighilt / tighallin (fém. et dim.) ; ighil n imanaren "crête des vigies" ; tizi n tghallin "col des petites crêtes". n°2 6. afud "genou, coteau" ; afud aluggu "coteau couvert de genêt". n°33. aguni "ravin assez uploads/Geographie/ jeannine-drouin-elements-de-toponymie-berbere-dans-l-x27-atlas-marocain-cairn.pdf

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