Pour un dictionnaire bilingue français - berbère K. NAIT-ZERRAD Inalco, Lacnad-

Pour un dictionnaire bilingue français - berbère K. NAIT-ZERRAD Inalco, Lacnad-CRB, Paris 1 Introduction Les dictionnaires de berbère publiés sont tous « bilingues » berbère - français. Hors, la promotion et la visibilité de la langue berbère passent aussi par la traduction d’œuvres universelles ou classiques dans toutes les disciplines, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques. Pour ce qui est de la littérature française par exemple, un certain nombre d’auteurs doivent impérativement être traduits en berbère et on comprendra aisément que la conception d’un dictionnaire français-berbère à l’usage en particulier des traducteurs est indispensable. Cela passe – pour une aire régionale donnée - par une description aussi exhaustive que possible des parlers locaux, le dictionnaire devant intégrer la variation diatopique non pas seulement lexicale et sémantique mais également morphologique, syntaxique et culturelle. Des enquêtes sur les parlers non ou peu documentés seront donc nécessaires. Ce dictionnaire doit indiquer la forme standardisée si elle existe (ou si elle est proposée) avec les formes attestées (entre crochet ou autre) et indication de leur localisation. Il s’agit en effet d’un dictionnaire intégrant la variation et sa localisation mais pas d’un dictionnaire normatif, en tout cas pas dans un premier temps. On tentera de cerner les éléments constitutifs de la microstructure et de la macrostructure pour l’établissement du dictionnaire français-berbère en prenant comme exemple l’aire kabyle. 2 Types de dictionnaires Classiquement, on distingue deux types de dictionnaires : le dictionnaire de thème et le dictionnaire de version. Idéalement, pour chaque paire de langue, il faudrait quatre dictionnaires pour la traduction : pour les berbérophones, un dictionnaire berbère – français pour le thème (BFT, actif) et un dictionnaire français – berbère pour la version (FBV, passif) et mutatis mutandis, la même chose pour les francophones (FBT et BFV). Les dictionnaires berbères publiés récemment (à partir de la seconde moitié du XXe siècle) sont tous berbère – français (kabyle, touareg, tamazight, mozabite, ouargli, ghadamsi, zénaga,…) et plutôt des BFT puisque la langue des articles est le français. Leur organisation n’est cependant pas conforme à ce que devrait être un dictionnaire de ce type. Il leur manque la systématicité : en réalité, les différents sens ne sont qu’illustrés et cela se ressent dans la présentation de la microstructure. En outre, comme l’indique bien le titre de ces dictionnaires, il s’agit de l’ensemble du vocabulaire attesté dans ces parlers, ce qui représente en français moins de 9000 mots par exemple pour le Dallet (1982). Si le dictionnaire de Miloud Taïfi (1991) intègre plusieurs parlers du Maroc central, ceux de Jean-Marie Dallet (1982) et de Charles de Foucauld (1951-1952) ne relèvent respectivement que d’un parler kabyle et d’un parler touareg. Pour le kabyle, par exemple, des enquêtes sont nécessaires, concernant en premier lieu les parlers aux limites de l’aire régionale (surtout orientale et occidentale). Comme il est question de traduction du français vers le berbère, on comprendra qu’une des tâches dans la réalisation du dictionnaire français-berbère est la production de néologismes. 3 Microstructure 3.1 Métalangage La langue cible du dictionnaire étant le berbère, il est indispensable de disposer d’une métalangue et d’un appareil d’abréviations. Il s’agit bien entendu d’abord de la terminologie grammaticale ou linguistique mais également des terminologies spécialisées (technique, juridique, médical, économique,…). Certains éléments de métalangue sont disponibles, il faudra éventuellement les vérifier et les valider. Pour le reste, il faut établir une nomenclature par spécialité pour les besoins du dictionnaire et créer les néologismes (ou faire appel à des emprunts) nécessaires. La conception des abréviations est classique : d’abord, envisager une liste de termes dont l’abréviation sera utile dans le corps de la microstructure, ensuite la créer à partir des premières lettres du mot, avec ou sans la marque initiale ou bien la voyelle initiale pour le nom… Il faudra faire en sorte que l’abréviation soit la plus courte possible en évitant les ambigüités : Amyag (= verbe) : on peut proposer par exemple amy. ou my. Tazelɣa (= particule) : on peut proposer taz. ou tz. ou encore zl. 3.2 Présentation Dans un dictionnaire, la présentation est très importante pour la lecture et l’assimilation des informations, aussi la typographie, la ponctuation, le système de numérotation et l’étiquetage, ne sont-ils pas anodins. Il faudra apporter un soin particulier aux subdivisions hiérarchiques et à la cohérence de la ponctuation. D’un point de vue typographique, la chasse, la graisse, le corps, etc. de la police de caractères devront être utilisés à bon escient en se limitant à 3 ou 4 effets (par exemple : italique pour abréviations et illustrations, gras pour entrées (vedettes), etc.). 3.3 Langue Le dictionnaire français-berbère ne peut être d’abord que régional étant donné l’ampleur de la matière lexicographique. Le pré-requis pour un éventuel dictionnaire national ou supranational est l’existence des dictionnaires régionaux dont il sera la somme recomposée. La variation linguistique – qui est plus ou moins importante selon les aires régionales – doit être prise en compte, pour rassembler toute la richesse de la langue. 3.4 Variation Le dictionnaire bilingue ne pose pas le problème de la définition mais plutôt celui de l’équivalence. Le dictionnaire doit non seulement fournir un équivalent pour un mot mais également pour les expressions, locutions et autres tournures intégrant ce mot. Or, l’extension sémantique des termes équivalents peut être différente dans les deux langues. Il est indispensable d’en tenir compte dans le dictionnaire et de le mentionner. Il existe une double variation : celle qui est interne au berbère (au niveau régional ou supérieur) et celle du français au berbère. Dans la microstructure, une entrée française peut avoir plusieurs équivalents dans une aire régionale (correspondant à des parlers différents), ainsi : Pluie : agffur / lgerra / lehwa / anẓar / aɣebbar / ... Les correspondances sont parfois sans intersection entre les groupes d’une aire régionale. En outre, un même mot peut avoir des sens différents entre ces groupes : tamtunt : levain / galette levée / … aɣebbar : pluie / poussière / … ou une extension sémantique différente : ombre : tili / amalu / … La variation n’est pas uniquement lexicale ou sémantique mais également phonétique (en dehors des formes déjà standardisées comme la réalisation de la tendue ww). Pour les verbes, elle s’accompagne en général d’un changement de type de conjugaison. Ail : tiskert / ticcert /… Epais : azuran / azewran / azehran / … Creuser : A eɣz P eɣz PN ɣiz AI qqaz / A ɣiz P ɣaz PN ɣaz AI ttɣiz(i)/ … (A aoriste, P prétérit=accompli, PN prétérit négatif, AI aoriste intensif = inaccompli) 3.5 Indications grammaticales En dehors des indications obligatoires comme les marques des nominaux : nombre et état (le genre est donné automatiquement par la marque initiale, sauf exception) ou la conjugaison (spécifiée par un numéro se référant aux différents groupes, par exemple), d’autres éléments liés à la variation sont à noter. a/ Nominaux : Par exemple, noter les pluriels différents selon les groupes de parlers. Vache : tafunast, pl. tifunasin / tistan / … b/ Verbes : On pourrait avoir ce type de structure dans le dictionnaire, ici avec l’entrée « venir », exposée de manière très détaillée : A Venir (intransitif) 1- Avec idée de mouvement 2- Sans idée de mouvement 3- Surgir, se manifester B Venir (impersonnel) C Venir (+ préposition) Venir à Venir chez Venir dans D Verbe auxiliaire Venir = se rendre quelque part pour Venir à = exprime un hasard Venir de = avoir fini de E Verbe pronominal intransitif S’en venir F Locution adjectivale A venir Il faut ajouter les expressions idiomatiques en essayant de trouver des équivalents ou à défaut, en traduire le sens. Pour chaque sous-entrée, des équivalents seront fournis avec un exemple d’utilisation. L’équivalent des verbes auxiliaires : Certains verbes utilisés comme auxiliaires sont communs à tous les parlers d’une aire régionale, par exemple : kker, nker = se lever, etc. (sens plein) / se mettre à, se préparer (sens auxiliaire), d’autres sont limités à certains groupes ou même à certains parlers (ddem = prendre, kel = passer son temps à, …). L’équivalent d’adverbes / connecteurs : certains sont issus de formes verbales grammaticalisées : yerna / yernu = pourtant, en outre, … / yuɣal = finalement, … 3.6 Culture Le dictionnaire exprime les divergences culturelles et les réalités différentes entre les langues (Rey 1991) : plus celles-ci sont éloignées et plus les écarts sont importants. 1. Les langues véhiculent les faits culturels et le dictionnaire doit rendre les divergences éventuelles : par exemple, pour ce qui concerne les croyances, les coutumes, la nourriture, l’habillement, le logement… Le dictionnaire a comme langue source le français : il s’agit donc de donner l’équivalent en berbère d’un fait culturel français. Dans ce cas, et en général, d’une part, une définition assez précise doit être fournie et d’autre part, un néologisme équivalent sera proposé. Ce dernier n’est pas indispensable dans une première version qui doit d’abord rassembler le lexique régional existant, attesté. Exemples : (les définitions sont tirées du Centre National de Ressources textuelles et lexicales : http://www.cnrtl.fr/) Choucroute uploads/Geographie/ k-nait-zerrad-dictionnaire-francais-amazigh.pdf

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