LA COLONISATION, SIMPLE FAIT HISTORIQUE OU VÉRITABLE FAIT JURIDIQUE ? La coloni

LA COLONISATION, SIMPLE FAIT HISTORIQUE OU VÉRITABLE FAIT JURIDIQUE ? La colonisation fut un événement historique qui désola la vie des peuples qui ont eu à la subir. Elle s’est caractérisée par l’annexion, l’assujettissement et l’exploitation de ces peuples par les puissances colonisatrices. Le continent africain fut l’épicentre de cet événement pendant près d’un siècle. Si pour les uns, elle est un crime contre l’humanité. Pour les autres, une telle qualification rime mal avec les textes en vigueur notamment au niveau international. Au-delà de cette divergence de vue sur le plan juridique, le débat sur la colonisation s’est exporté sur le terrain politique en cette année électorale en France. La dernière sortie médiatique d’Emmanuel Macron en Algérie en est une récente manifestation. Ecouter l'article De l’Asie en passant par l’Afrique jusqu’en Amérique, plusieurs nations ont connu la colonisation, certes, à des proportions différentes. En Afrique, elle aura été un événement particulier qui marquera à jamais la vie des peuples. En effet, ce continent fut partagé comme un gâteau entre les puissances européennes au sortir de la conférence de Berlin (1884-1885). Un partage suscité par la richesse humaine et naturelle d’un continent jugé d’être sans maître et sans civilisation. Bafoué dans sa dignité, le continent-berceau de l’humanité recouvrera sa liberté par la lutte militaire et pacifique entre fin 1950 et début 1960. Plusieurs décennies après, à l’aune d’une société internationale qui se veut respectueuse des droits des peuples et de l’homme, la barbarie perpétrée en Afrique et ailleurs à travers le fait colonial peine à recevoir une qualification juridique adéquate. Vérité juridique ou démagogie politico-juridique, il faudrait, nous semble t-il, pour comprendre cet imbroglio, retracer l’histoire (I) et confronter les faits aux textes (II), avant d’évoquer le débat politique dont il fait objet en cette période électorale en France (III). I. Rappel historique Les désirs colonialistes de l’Europe se manifestèrent de façon factuelle au tournant de 1880. En effet, entre 1870 et 1880, les Européens découvrirent de la richesse sur le continent noir : l’or et le diamant en Afrique du Sud, le cuivre en Rhodésie (actuel Zimbabwe) et des populations laborieuses. Au départ, la conquête coloniale européenne se situe au Congo que Belges, Français et Portugais se disputèrent pour y commercer. En 1884, la conférence de Berlin est appelée sur initiative de Bismarck (chancelier allemand de 1871 à 1890) afin de trouver une entente pour le commerce dans le bassin du Congo. Cette conférence consacre un accord sur le malentendu sans opérer de partage du continent, du moins dans les textes. Car dans les faits, au sortir de la conférence, les puissances participantes se lanceront dans une course de vitesse pour l’occupation du continent. C’est ainsi que la France va ratisser large de la Méditerranée à l’Afrique occidentale ; l’Angleterre du Cap au Caire ; l’Italie, la Belgique et le Portugal vont se partager le reste. Des mésententes entre ces forces envahisseuses dans la cohabitation allaient conduire plus tard à la fixation des frontières (elles ne changeront pas même après la fin de la colonisation). Cela causa la "balkanisation" politique et la déstructuration ethnique, culturelle et sociale du continent qui en gardera les séquelles. Si seulement 1/10 du continent était occupé au départ, vingt ans plus tard, seuls le Libéria, le Maroc (non colonisé mais qui était sous protectorat) et l’Éthiopie feront exception. Les causes de la conquête coloniale furent essentiellement économiques et géopolitiques. En effet, la France (discours de Léon Gambetta en 1872) et l’Angleterre (discours de Benjamin Disraeli en 1872) voulaient avoir chacun un empire colonial. A cela s’ajoute la mécanisation de l’industrie qui avait besoin de matières premières. Pour certains, la colonisation ne saurait être qualifiée autrement que crime contre l’humanité. Cependant, pour d’autres, elle ne peut être ainsi qualifiée. Que disent les textes et pourquoi tant de commentaires divergents ? II. La qualification juridique de la colonisation La simple évocation du terme « colonisation » ne devrait pas à elle seule prévaloir pour sa qualification juridique ; le mot n’est que contenant de sorte que seuls le contenu, le contexte et les conséquences doivent être pris en compte. Afin d’illustrer notre raisonnement, nous partirons de l’exemple du continent africain. Les faits ayant symbolisé la colonisation en Afrique ont pour noms : l’extermination systématique, l’expropriation, l’assujettissement, l’exploitation et par-dessus tout, la négation de la dignité humaine. Les chiffres sont atrocement affligeants : environ 30.000 victimes pour la confection du chemin de fer Brazzaville-Pointe noire au Congo (Antoine Madounou, historien Congolais), 80.000 victimes lors de la répression des populations malgaches par l’armée coloniale française en 1947 (Jacque Tronchon, insurrection malgache de 1947, éd. François Maspéro), environ 8.000 victimes à Sétif en Algérie en 1945 (selon la commission d’enquête), plus de 60.000 victimes au Cameroun entre 1950 et 1960 sans oublier le massacre de Thiaroye (Sénégal) en 1944, etc. A l’opposé de ce bilan macabre et inhumain, certains avantages sont évoqués : la construction des routes, des hôpitaux, des écoles et des centres de santé, etc. On évoque même une mission de civilisation et d’émancipation à l’image de ce discours d’Emmanuel Macron en novembre passé dans le journal Le Point : « oui, en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un Etat, la richesse, les classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation… ». Le législateur français est même allé jusqu’à évoquer le rôle positif de la colonisation (article 4 de la loi n°2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés). La comparaison choque plusieurs mentalités à l’image de l’historienne Sylvie Thénault qui s’indigne en la qualifiant d’« indécente » (le Monde, 16/02/2016). Mais Aimé Césaire n’avait-il pas anticipé tout ce débat quand il affirmait : « On me parle de progrès, de réalisations, de maladies guéries, de niveaux de vie élevé au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées (…). Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, (…) » (discours sur le colonialisme) ? En droit international, les mots comme torture, exécution, massacre et autres sont significatifs de crime et, surtout, de crime contre l’humanité sous réserve, bien entendu, de certaines conditions. Ce droit international cerne-t-il le phénomène colonial ? Rappelons quelques résolutions des Nations unies ayant condamné les faits coloniaux. En 1967, l’ONU condamnait la guerre coloniale et la politique colonialiste de l’État portugais sur les peuples africains administrés et qualifiait le fait de crime contre l’humanité (résolution 2270). En 1970, à travers une session spéciale (1560e, 5 décembre 1970), elle condamnait également l’agression de la Guinée par le même Portugal en estimant que cela constituait une démarche colonialiste visant à empêcher cet Etat de servir de base arrière à la lutte d’indépendance des colonies portugaises d’Afrique. En 2001, la sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme de l’ONU condamnait et suggérait « la reconnaissance de la responsabilité et les réparations pour les violations flagrantes et massives des droits de l’homme en tant que crime contre l’humanité qui se sont produites pendant la période de l’esclavage, du colonialisme et des guerres de conquêtes ». En 2016, elle condamnait « toutes les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem Est, notamment la construction et l’expansion de colonie de peuplement, le transfert de colons israéliens, la confiscation des terres, la destruction des maisons et le déplacement des civils palestiniens » (résolution 2334). Mais pour que la colonisation soit un crime contre l’humanité, il faut qu’elle en constitue un des actes prévus par les textes. A cet égard, que dit la Cour pénale internationale (CPI) à propos de la notion de crime contre l’humanité ? En l’état actuel des statuts de la CPI, les déportations de population, les meurtres, les emprisonnements, la réduction en esclavage sont potentiellement constitutifs de crime contre l’humanité sous réserve toutefois que ces actes aient été menés dans le cadre d’une attaque perpétrée de façon systématique et généralisée contre une population civile (article 7 des statuts de la CPI). Au regard de cette définition, la conquête de l’Algérie, celle de l’Indochine, la guerre sanglante au Cameroun dans les années 1950, la répression mortelle des peuples malgaches, pour ne citer que ces quelques faits coloniaux, remplissent à notre avis les critères posés, ne serait-ce qu’en ne tenant compte que des meurtres. Toutefois, les crimes de l’armée française commis pendant la guerre d’indépendance d’Algérie de 1954 à 1962 ayant été amnistiés, il en résulte que ces crimes sont inattaquables. Mais d’autres ne voient pas la question sous cet angle. Pour eux, les conditions posées par les textes (l’article 212-1 du Code pénal français et l’article 7 des statuts de la CPI) empêchent de qualifier la colonisation de crime contre l’humanité. Selon Gilles Maceron, (historien uploads/Geographie/ la-colonisation-simple-fait-historique-ou-veritable-fait-juridique.pdf

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