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Tous droits réservés © Cahiers de géographie du Québec, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 24 juil. 2022 16:07 Cahiers de géographie du Québec Articles Les idéologies spatiales Paul Claval Volume 29, numéro 77, 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/021722ar DOI : https://doi.org/10.7202/021722ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département de géographie de l'Université Laval ISSN 0007-9766 (imprimé) 1708-8968 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Claval, P. (1985). Les idéologies spatiales. Cahiers de géographie du Québec, 29(77), 261–269. https://doi.org/10.7202/021722ar Résumé de l'article De nombreuses idéologies, même modernes, contiennent une charge spatiale. Elle est très évidente au sein des sociétés traditionnelles alors que des liens particuliers s'établissent entre les représentations mythiques et religieuses et les espaces profanes. Certaines idéologies tendent à accentuer l'appartenance territoriale à un groupe, à fractionner l'espace, à encourager les régionalismes. À l'opposé, les idéologies universalistes tendent à la mise en place d'ensembles territoriaux plus vastes. Tout en cherchant leurs fondements dans une démarche scientifique, les idéologies spatiales sont tout aussi florissantes de nos jours. En témoignent les théories urbanistiques. CAHIERS DE GÉOGRAPHIE DU QUÉBEC Vol. 29, no 77, septembre 1985, 261-269 LES IDÉOLOGIES SPATIALES par Paul CLAVAL Institut de géographie, Université de Paris-Sorbonne, Paris, France RÉSUMÉ De nombreuses idéologies, même modernes, contiennent une charge spatiale. Elle est très évidente au sein des sociétés traditionnelles alors que des liens particuliers s'établissent entre les représentations mythiques et religieuses et les espaces profanes. Certaines idéologies tendent à accentuer l'appartenance territoriale à un groupe, à fractionner l'espace, à encourager les régionalismes. À l'opposé, les idéologies universalistes tendent à la mise en place d'ensembles territoriaux plus vastes. Tout en cherchant leurs fondements dans une démarche scientifique, les idéologies spatiales sont tout aussi florissantes de nos jours. En témoignent les théories urbanistiques. MOTS-CLÉS : Espace sacré, espace profane, territorialité, utopie, mythes fondateurs. ABSTRACT Spatial Idéologies Numerous idéologies, including modem ones, hâve a spatial component. This is particularly évident among traditional societies, where there exist particular relations between mythical and religious représentations and secular space. Some idéologies tend to emphasize the territorial characteristics of a group thereby contributing to further division of space and to regionalisms. On the other hand, universalistic idéologies tend towards wider territorial constructions. Although they now seek for a more scientific approach, spatial idéologies are blooming. Such is the case with urbanistic théories. KEY WORDS: Sacred space, secular space, territoriality, utopia, founding myths. L'espace ne tient apparemment que peu de place dans les grandes idéologies du monde moderne. En dehors des doctrines de l'enracinement, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, les philosophies sociales qui arment nos civilisations ne proposent généralement pas de modèle géométrique explicite. Cela tient sans doute à la nature des grandes idées-forces qui se sont imposées depuis le début du XVIIe siècle: elles sont de nature abstraite et ignorent les formes concrètes des grands mythes fondateurs d'antan. Il n'y a pas de place pour la distance ou pour l'environne- ment dans le récit des contrats sociaux, dans l'énoncé de la loi des trois états, dans la 262 CAHIERS DE GÉOGRAPHIE DU QUÉBEC, Vol. 29, no 77, septembre 1985 narration de la genèse de la forme marchande et de la forme monnaie ou dans le drame d'Œdipe. À la réflexion, cependant, on prend conscience de l'importance des idéologies spatiales. ESPACE SACRÉ ET ESPACE PROFANE Les idéologies spatiales sont très visibles dans beaucoup des systèmes de représentation à fondement mythique ou religieux des sociétés traditionnelles ou archaïques. L'histoire qui donne aux hommes la clef de la signification du monde est celle des héros ou des divinités qui ont créé le ciel et la terre, engendré la vie, les plantes, les animaux et les hommes et ont révélé à ceux-ci les secrets de la civilisation — le feu, les espèces cultivées, l'art de la cuisson, tout ce qui sépare l'état de nature de l'état social. Le récit prend généralement la forme d'une cosmogonie, et contient donc une interprétation de la terre, de sa forme, de ses paysages, comme des caprices du climat et de ceux de la nature. Très souvent, le récit fondateur est localisé : la trace de l'action transcendante demeure perceptible là où les héros ont vécu et là où les dieux se sont manifestés. Les idéologies primitives instaurent donc une division spatiale fondamentale entre ce qui est sacré et ce qui ne l'est pas : on la lit dans les civilisations déjà avancées de l'Extrême-Orient ou du monde méditerranéen, comme elle est présente dans les groupes apparemment les plus démunis : les aborigènes australiens sont enracinés dans l'espace qu'ont marqué pour eux les héros fondateurs ; au Mali, les Dogon reconstituent soigneusement, dans la trame de leurs villages, la structure du Cosmos qui donne sens à leur vie. Les oppositions entre espaces sacrés et espaces profanes prennent souvent une dimension géographique particulière avec le progrès des civilisations. Paul Wheatley (1971) a justement insisté sur la signification religieuse des villes chinoises archaïques et il a trouvé suffisamment d'exemples de structures analogues dans le monde méditerranéen classique et dans l'Amérique précolombienne — le cas des centres culturels mayas est très clair — pour pouvoir affirmer que la phase de la ville à fonction sacrificielle est générale dans le développement de l'humanité. Comme l'indique Paul Mus (1977), elle correspond à un stade où le départ entre le sacré et le profane commence à se faire plus clair que dans les civilisations les plus archaïques : ce que l'on attend du roi dont les fonctions sont alors religieuses, c'est de renouer le contact avec la divinité et de conjurer les forces maléfiques qu'elle est capable de déchaîner lorsqu'elle est mécontente des cultes qui lui sont dédiés: le prince crée ainsi, dans l'intervalle des cérémonies dont il est le grand ordonnateur, les conditions d'une activité normale en supprimant les angoisses qui paralysent les individus et les groupes. Cette conception des relations tissées par le pouvoir entre le monde et les puissances surnaturelles privilégie souvent les situations centrales : les contacts avec les puissances supérieures y passent pour plus aisés. Ainsi, dès cette époque, la centrante peut s'imposer comme un des thèmes majeurs de l'organisation de l'espace à travers des idéologies qui sont purement cosmologiques dans leur apparence. LA VALORISATION DES MILIEUX ET DES GENRES DE VIE Les aspects spatiaux de l'idéologie sont généralement plus indirects. Les récits fondateurs, qu'ils soient mythiques ou religieux, valorisent certains aspects du milieu, confèrent un statut à la nature, aux plantes, aux animaux comme aux choses LES IDÉOLOGIES SPATIALES 263 inanimées et privilégient certains genres de vie aux dépens des autres. Les recherches récentes sur les attitudes chrétiennes à l'égard de la nature sont trop connues pour qu'il soit nécessaire de les rappeler ici. Yi-Fu Tuan (1968) a justement montré combien elles contrastent avec les attitudes dominantes dans les philosophies orientales. Si ces idéologies commandaient directement la mise en valeur du monde et la géographie qui en résulte, les paysages devraient en porter clairement la marque: la nature chinoise devrait être mieux conservée que celle des pays chrétiens. Il n'en est rien : Yi-Fu Tuan remarque avec malice que les composantes idéologiques du comportement sont impuissantes à effacer les contraintes écologiques : la surpopulation fait oublier les préceptes sacrés. De la même manière, David Sopher (1967) observe que les prescriptions religieuses de l'hindouisme n'empêchent pas, dans une bonne partie de l'Inde, les agriculteurs de gérer leurs troupeaux de bovins selon des principes qui ne sont pas très différents de ceux des pays où le bétail est élevé pour sa viande et non pour sa valeur mystique. La valorisation des genres de vie joue pourtant, comme celle de tel ou tel élément de l'environnement, un rôle évident dans l'évolution et dans l'organisation des paysages et des établissements humains. Xavier de Planhol (1957, 1968) reprend, à propos de l'Islam, les distinctions que le Coran établit entre la vie urbaine, qui facilite la prière en commun, et la vie rurale, qui ne permet pas d'accéder à ces formes supérieures de la foi. Le nomade est plus favorisé: ses déplacements le conduisent périodiquement dans les centres où il peut se mêler aux citadins le vendredi. Mais la valorisation du genre de vie nomade n'est pas tout entière liée à l'Islam. Le premier conflit social dont parle l'histoire sainte, c'est celui qui conduit au meurtre d'Abel par Caïn : l'agriculteur, le sédentaire a été jaloux du pasteur, du nomade et l'a tué. Que peut-il donc lui envier? La richesse? Certainement pas: la vie de celui qui suit ses troupeaux est faite d'épreuves ; elle est frugale, inconfortable. Mais elle échappe aux étroites déterminations de l'existence sédentaire. Elle est synonyme de liberté, uploads/Geographie/ langue 2 .pdf

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