Le tort d’être noir dans l’autre République de Kiskéia. Le Nouvelliste | Publié

Le tort d’être noir dans l’autre République de Kiskéia. Le Nouvelliste | Publié le : 19 décembre 2013 Makòn d’enfants. Miroirs de notre société. Zone frontalière de Savanette. Quel avenir leur prépare toutes les élites et classes possédantes haïtiennes ? Par Savannah SAVARY Si l’histoire des peuples et des nations est transmise par la connaissance universelle acquise grâce à la mémoire collective et l’écriture, il demeure qu’elle devient souvent biaisée et désinformatrice au fil du temps, suite à une pitoyable passation des élites en charge de sa rédaction et de sa diffusion. Une écriture juste et vraie de l’histoire d’Haïti s’impose chaque jour un peu plus sur l’isle de tous les paradoxes. Les filles et fils de notre terre seraient alors mieux pourvus pour apprécier notre passé à sa vraie valeur, aussi comprendre les raisons de l’inimitié latente existant entre les peuples des républiques dominicaine et haïtienne. Une séparation géographique et une approche banalisée, superficielle de leur histoire, ne suffit pas pour dégager les destins des peuples de Kiskéia et dire la complexité de leur évolution parallèle. Nous semblons avoir des torts immenses que le voisin n’arrive pas à pardonner. Une liste exhaustive inclurait l’envahissement de l’espace international à grand renfort d’histoires puissantes, notre caractère quasi unique dans les annales de conquête de liberté, nos importants brassages ethniques, un héritage culturel immense, un patrimoine historique exceptionnel, un talent créateur qui émerveille, des bouleversements sociopolitiques interminables. Nous sommes la moitié forte et dominatrice par notre résistance et le refus coriace de s’aligner sur une conformité imposée par la grande famille des nations. Haïti, d’une manière ou d’une autre, continue à occuper le devant de la scène caribéenne. Par la complexité de son tissu social, sa structure étatique non conformiste, ses malheurs, sa pauvreté économique, ses richesses cachées et non exploitées. Si les Haïtiens dans la grande majorité ne connaissent l’histoire liant les deux républiques que de manière assez floue, les Dominicains, eux, sont bien imbus de notre passé commun. Ce parcours de deux peuples foncièrement différents n’est pas jonché de fleurs mais certainement d’épines. 1605. Sous les instructions du roi d’Espagne, ses sujets de l’isle Hispaniola, pour éviter le contact des catholiques avec les contrebandiers hollandais protestants, ont dépeuplé de force les parties ouest et nord. Des aventuriers Français arrivèrent en 1635 et profitèrent du vide pour s’installer sur la partie ouest sans administration et garnisons militaires espagnoles, sur un territoire retourné à l’état sauvage foisonnant de bœufs et de porcs. Les anciens propriétaires tentèrent de chasser les français intéressés par les régions côtières et après soixante ans de luttes durent reconnaître leur présence dans le tiers occidental de l’isle. La rivière du Massacre prit son nom par un massacre perpétré sur les colons français en 1691. Le traité de Ryswick de 1697, terminant la Guerre de la Ligue d’Augsbourg, reconnut la possession française sans délimiter la frontière et consacrera la division politique de l’isle. Les deux puissances arrêtèrent les limites de leurs possessions dans l’isle par le traité d’Aranjuez du 3 juin 1777 au palais royal d’Aranjuez en d'Espagne. De cette situation particulière sont nés deux États, la République dominicaine à l’est succédant à sa colonie espagnole et la République d’Haïti à l’Ouest issue de la colonisation française. Deux États souverains issus d’une domination coloniale avec des peuples différents vivant une situation unique au monde. Les Espagnols tentèrent de limiter les dégâts dans les années 1700 et récupérèrent le Plateau central. Ils mirent trois archanges sur la frontière pour surveiller les « méchants Français de l’Ouest, voleurs de terre » comme pour exorciser l’engouement des sujets de sa Majesté Louis XIV de s’installer chez eux. San Rafael de Las Angustias (des passages) au Nord. San Miguel de Atalaya (de la Tour de garde) le patron des archanges / Saint-Michel de l’Attalaye à l’ouest, point extrême du territoire espagnol et San Gabriel de Lascahobas au centre. Par le traité de Bâle de 1795, la cour d’Espagne cède à la France la partie espagnole plutôt que la Louisiane réclamée par les négociateurs, et cette mesure contre nature déplaît foncièrement à ses sujets. Suite à ce traité, les Haïtiens développèrent la conviction profonde d’avoir des droits sur l’ancienne partie espagnole. Toussaint Louverture l’applique en 1800 et le général Ferrand commande la partie orientale alors que les Français sont chassés de la partie occidentale indépendante en 1804. L’année d’après, les troupes haïtiennes tentent de chasser entièrement les Français de l’isle et commet moult exactions sur la population espagnole et ses biens. Pendant les guerres napoléoniennes, en 1809, l’Est redevient Espagnole par la conquête d’espagnols débarqués de Porto Rico avec Santiago Ramirez. La population vivant au nord, zone du Cibao, chassent en 1821 les représentants de l’Espagne qui faisaient affaire avec Haïti. L’unification politique se fera sous Jean-Pierre Boyer et Charles Hérard de 1822 à 1844. Elle a été possible par la demande des commerçants du Cibao en particulier et des Dominicains de manière générale. L’historien haïtien Thomas Madiou rapporte que seulement quelques mois après l’annexion, certains des plus ardents Dominicains partisans de l’union l’ont amèrement regretté. Grâce à Juan Pablo Duarte, ils vont combattre le régime autoritaire de Boyer mais aussi pour leur indépendance. Pendant 22 années, ils ont connu les affres inhérentes à l’envahissement d’un espace par l’étranger. Imposition de la rigueur de l’administration militaire colonisatrice héritée de la France alors que les colonies espagnoles étaient gouvernées démocratiquement par le système de cabildo, réunion de citoyens et notables qui, de concert avec le gouverneur dirigeait la colonie. Persécution de leurs intellectuels et clergé. L’archevêque de Saint-Domingue Pedro Valero a dû s’exiler à La Havane, Cuba. Fermeture de leur université. Abus sociaux. L’inimitié entre les deux peuples différents composant alors la nation haïtienne est telle que Rivière Hérard, président du gouvernement provisoire d’Haïti en 1843, est obligé de parler espagnol et recourir aux services d’un traducteur aussitôt qu’il traverse la rivière du Massacre. Il trouve la ville de Santo Domingo quasi fermée. Les familles haïtiennes ont laissé portes et fenêtres ouvertes alors que les familles dominicaines les gardent closes pendant tout son séjour. L’inimitié entre les deux peuples est palpable, le divorce kiskéien consumé et l’indépendance dominicaine déclarée le 27 février 1844.Nous devons mentionner l’essor économique sans précédent de la République dominicaine pendant l’occupation haïtienne. Les historiens dominicains, pour la plupart, se chargent de relater l’horreur liée aux guerres haïtiano-dominicaines, en exagérant les récits pouvant transmettre et entretenir la haine de leur peuple pour l’Haïtien. Les rapports entre les deux États furent conflictuels, résultat d’une amertume accumulée et alimentée par quatre guerres qui vinrent obscurcir le ciel de Kiskéia. La reconquête du territoire de l’Est n’intéressait pas certains secteurs haïtiens et les dominicains étaient décidés à défendre leur acquis. 1844. Tentative de Charles Hérard de reprendre possession.1845. 1849. 1855. Faustin Soulouque, deuxième tentative sans succès. Nous gardons certains territoires espagnols. Les villes de Saint-Michel, Hinche et Saint-Raphaël. Les controverses des frontières sont rouvertes avec l’armistice de 1856. L’Espagne se réinstalle en 1861 pour 4 ans, car le général Pédro Santana souhaite que son pays redevienne une colonie. L’attitude haïtienne change, car nous y percevons une menace et le président Fabre Nicolas Geffrard soutient les patriotes dominicains dans la lutte pour chasser les Espagnols de leur territoire. Il s’attire ainsi les courroux de l’Espagne qui le somma sous la menace d’un canonnier dans la rade de Port-au-Prince de ne pas s’immiscer dans le conflit. Le 16 août 1865, le général Gregorio Luperóng (déformation de Duperron) rétablit le statu quo ante. Puis, en 1868, le président Andrew Johnson tenta d’annexer la République dominicaine dans un premier temps et la République d’Haïti viendrait ensuite. Dans ce contexte, les présidents Michel Domingue et Ignacio González signèrent le traité du 9 novembre 1874, dit document de la Très Sainte-Trinité, traité d’amitié, de paix, frontières, commerce, navigation et extradition. Ce traité exceptionnel, l’un des premiers traités d’intégration entre deux pays souverains, marquant le début de relations normales, a été révoqué par le gouvernement de Boisrond Canal. La reconnaissance de l’État dominicain a cependant demeuré et une négociation menée pour fixer les frontières. L’incident des Pédernales survint en 1910 pour des territoires contestés à l’est de la rivière des Pédernales et faillit dégénérer en choc militaire. A l’instigation des États kiskéyens recourant à l’arbitrage des États-Unis, une carte utilisée dans la US Navy est déployée en 1912 et Papa Mériken impose une frontière. Les interventions militaires des États-Unis de 1915 en Haïti et 1916 en République dominicaine virent Haïtiens et Dominicains liés par une fratrie, repoussant l’occupant par les armes, mais ayant surtout recours à la politique. Les Dominicains surent rejeter en bloc les promesses, trompeuses alors que nous assistions l’envahisseur avec un gouvernement guignol et subordonné. De 1916 à 1922 la République dominicaine connut la soumission au régime administratif militaire direct. L’occupation fut plus dure pour les Dominicains mais aussi plus désagréable pour les Américains à cause du refus de collaborer des nationaux. Ils furent unanimes, sous la conduite de monseigneur Adolfo Nouel, à réfuter l’occupation et obtinrent en 1922 uploads/Geographie/ le-tort-detre-noir-dans-lautre-republiqu.pdf

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