LES ARBRES DE L'AM E L'AM E DES ARBRES par Joanny G U I LLARD "Que fût le bois,

LES ARBRES DE L'AM E L'AM E DES ARBRES par Joanny G U I LLARD "Que fût le bois, que fût l'arbre Avec lesquels terre et ciel furent formés Sages, que votre esprit cherche à comprendre. " Chants d u Rig Veda, 1.0.81 .4. De la fenêtre de mon bureau, le bronze rouge d'un liquidambar se détache sur le vert som­ bre d'un chamaecyparis qui penche sous le vent d'automne. Magie des couleurs, magie de la vie, dont l'arbre est un symbole perma­ nent de durée et de renaissance et un fais­ ceau de mythes. Alors que notre rapport au réel tend à s'artifi­ cialiser dans les villes et que notre relation avec la forêt n'a cessé de s'intellectualiser depuis u n siècle, l'amour des arbres est le signe perd u rable de la longue relation des hommes et de la nature. Si la vision de tous est à la fois synthétique et u niforme, comme le souvenir de l'espèce, l'arbre toujours pré­ sent traverse les mythes et les cultes. Aménagement et Nature n° 83 Arbre protecteur, arbre sacré, arbre de vie et de mort, témoin du fond des âges et des âmes, l'arbre est, comme dirait A. Malraux, "une image naïve, simple, usée, mais image initiale et indestructible. Elle appartient à l'in­ destructible bazar des vieilleries de l'imagi­ nation humaine". A travers les siècles et sous tous les cieux, les hommes ont aimé et craint les arbres et l'Arbre est un de ces archétypes, de ces transcendants psychologiques qui i mprègne l'inconscient universel. Plus que la représen­ tation d'une vision, il est l'expression de valeurs ; en même temps q u'être vivant, que végétal superbe et pérenne, porteur d'une profusion de formes, i l est profusion de sign i ­ fications jusqu'à, dans nos esprits encom­ brés, parfois ne plus signifier rien parce qu'il signifie tout. Contraire de l'impatience, il est l'arbre histo­ rique, témoignage vivant des événements du passé par la famille comme par le village, au - 1 - même titre que les pierres dressées. Mais dans cette cosmicité complice, il est aussi l'arbre sacré. Il est curieux de voir qu'aussi bien en pays Bamoun (Cameroun) que dans la région des g rands lacs de l'Est Africain, le Ficus au large feuillage est à la fois limite de la cour du chef abri des palabres, à la limite entre la puissance et la glèbe. En Inde, l'arbre sacré du village aswatha (Ficus religiosa ?) est vêtu et traité comme un être humain, paré de couronnes, ondoyé d'eau parfumée. Sur le Forum, où la vie romaine exaltait ses héros et ses d ieux, le figuier sacré, consacré à Romulus, fut adoré jusque sous l'Empire et sa santé était l'objet de considération et de dis­ cours dans toute la ville. Et l'entrée des Enfers n'était-elle pas marquée par un figuier, planté là par Dyonisos surnommé, en Béotie, dendrites ? Arbre sacré, consacré, objet d'amour, de respect et de crainte. Grimm (Deutsch Recht Alterthümer) évoque la férocité des Ger- mains envers les audacieux qui auraient enlevé l'écorce d'un arbre non encore abattu. On arrachait le nombril du coupable pour le clouer à l'arbre à l'endroit où man­ quait l'écorce, puis en faisant fai re à l'homme le tour de l'arbre, on enroulait ses i ntestins autour du tronc. Le chêne était chez les Grecs consacré à Zeus, comme chez les Slaves au puissant Perun. Seul celui qui avait été consacré pouvait tou­ cher aux arbres saints. Les Druides pou­ vaient seuls cueillir le gui sacré. Mais, vice versa, dans le culte de Diane d'Aricie, seul pouvait devenir prêtre celui qui avait l'au­ dace de couper des branches dans le bois sacré de la déesse. Mais il faut aller plus loin, plus profondément dans le temps et les esprits pour tenter d'in­ terۛréter cette l iaison étroitement profonde de l'arbre et de l'homme, qui résulte d'une anthropomorphisation permanente de l'ar­ bre. Henri Vincenot ("La Billebaude") raconte qu'en Bourgogne, le contact étroit d'un arbre était censé redonner force et vigueur et que lui -même en avait bénéficié ; un autre amou­ reux de la nature, D.H. Thoreau, écrit, en 1 858, dans "Un philosophe dans les bois" : << Oui, j'ai senti ce soir un véritable désir pour certain arbuste. Une compagne m 'a été enfin trouvée. Je suis amoureux d'un jeune chêne. » Et si, dans la forêt des mythes, dans le fonds culturel quasi-universel, l'Homme et l'Arbre sont étroitement l iés, c'est le plus souvent dans des termes ambivalents, voire ambigus. En face de ces liens anciens, difficilement sensibles aujourd'hui, la pensée moderne accueille et ordonne le foisonnement et la métamorphose. Certains voient dans l'arbre un symbole phal­ lique. L'arbor philosophica sort du ventre d'Adam à la place de la verge et l'arbre généalogique se dresse turgescent sur le corps de Jessé. Penthéus espionnant les orgies des Ménades est abattu en même temps que le pin sur lequel il s'était hissé et la synonymie émasculer-abattre est fréquente. L'arbre devient pilier de bois, lingam sacré ­ cf. aussi l'étymologie de Pfahl, en allemand, ou le sens de arbre, en mécanique üusqu'à l'usage argotique de shaft, en anglais). Mais souvent l'arbre est symbole de féminité, voir de maternité. Vigvakarman, dans le Rig­ Véda Indien, g rand créateur de tout, fait sortir le monde d'un arbre inconnu. C.J. Jung (les métamorphoses de l'âme et ses sym boles) rappelle que Junon de Thespis est représen­ tée par une branche d'arbre, celle de Samos par une planche, Diane de Carie par un mor­ ceau de bois mal dégrossi et, s'appuyant sur Tertullien, il signale que l'effigie de Cérès de Pharos, "rudis palus et informe lignum ", ne le cède en rien à la Pallas attique dont la primi­ tive effigie était un pieu en forme de mât ou de croix. Dans la période du Moyen Age l'arbre reçoit parfois le titre honorifique de fem me. Mais l'enlacement, que ce soit l'arbre qui englobe ou l'arbre enlacé par le serpent ou le lierre, est interprété par C.J. Jung comme le symbole de la mère qui enfante et qui est protégée par l'angoisse de l'inceste. Aménagement et Nature no 83 Dans la légende scandinave, c'est dans le frêne cosmique, autour duquel tourne le monde, Yggdrasill, que se cache un couple humain dont ensuite descendent les races du monde nouveau. Le Bundedesh indien fait sortir les premiers hommes - Meschia et Meschiane - de l'arbre Reivas, tandis qu'en Égypte, Râ, né de l'arbre, s'élève vers le haut. Mais à la suite des spécialistes des mythes et de l'inconscient, il faut soul igner l'ambiva­ lence sexuelle attachable à l'arbre. (Pourquoi la plupart des noms d'arbres sont-ils du genre fémi n i n en latin et masculin en fran­ çais ?). L'évocation du mythe d'Attis, métamorphosé en pin, est à cet égard assez édifiante. Les traditions de la Phrygie, comme celles de nombreux peuples anciens d'Asie, reposent sur une divinité principale, complète dans son essence qui réunissait en elle les deux sexes. D'après Pausanias, Jupiter pendant son sommeil féconda la terre, d'où avec le temps naquit un être divin, qui avait à la fois le sexe de l'homme et celui· de la femme nom­ mé(e) Agdistis (la plupart des espèces tem pé­ rées d'arbres ne sont-elles pas monoïques - individus bisexués et fleurs unisexuées ­ ou hermaphrodites à fleurs bisexuées ?). Sai ­ sis d'effroi devant ce monstre, les dieux l u i coupèrent les parties viriles q u i , tom bant sur le sol, don nèrent naissance à un amandier. - 2 - Une nymphe passant par là s'éprend des fruits et les cache en son sein. Il en naît un garçon d'une merveilleuse beauté, Attis, dont tom be amoureuse la contre-partie femelle Agdistis, encore appelée Cybèle. Alors que le berger Athis al lait épouser la fille du roi de Pessinonte, Cybèle jalouse égare son esprit. Il s'émascule sous un pin (c'est une manie dans cette fam ille !) et meurt. Cybèle déses­ pérée se repend et obtient de Jupiter que le corps de son amant soit i ncorruptible. Du sang d'Attis naissent des violettes pourpres et le pin devient un arbre sacré dans lequel s'incarna le culte de Cybèle et d'Attis réunis. A l'époque d 'Auguste en Phrygie, à l'équi­ noxe du printemps, au cours de fêtes mou­ vementées, on coupait l'arbre sacré, le pin, dont le tronc était entouré de tian delettes. Le soin de porter l'arbre sacré était confié aux dendrophores. De nombreux monuments, stèles, bronzes nous ont transmis cette légende. Jeune homme vêtu en berger, à la grâce alanguie, dont la puissance entretient la fécondité de la nature, Attis est associé au pin, voire, dit Ovide dans les Métamorphoses Livre X, métamorphosé en pin. J.G. Frazer (Le Rameau d'Or, p. 1 63, tome Ill, édition 1 91 1 ) dont on connaît l'imagination, écrit : << Ce qui prouve nettement qu'à J'origine Attis était un esprit des arbres >>, c'est le rôle que le pin joue dans sa légende et dans les rites de uploads/Geographie/ les-arbres-d-x27-ame-l-x27-ame-des-arbres.pdf

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