1 Les circulations internationales en Europe années 1680-années 1780 Pierre-Yve

1 Les circulations internationales en Europe années 1680-années 1780 Pierre-Yves Beaurepaire Professeur d’histoire moderne à l’Université de Nice-Sophia Antipolis Membre de l’Institut Universitaire de France pybeaurepaire@gmail.com 2 Sommaire Chapitre introductif : Penser les circulations internationales en Europe années 1680-années 1780 Chapitre II : L’information périodique au cœur des circulations internationales en Europe Chapitre III : La République universelle des francs-maçons : modèle et laboratoire de circulations internationales harmonieuses en Europe Chapitre IV : Voyages et culture de la mobilité Chapitre V : Les acteurs des circulations internationales Chapitre VI : Les migrations internationales de travail Chapitre VII : Guerre continentale et circulations internationales en Europe Chapitre VIII : Penser les circulations économiques internationales et la globalisation Chapitre IX : Les circulations internationales culturelles et artistiques 3 Chapitre introductif Penser les circulations internationales en Europe années 1680-années 1780 Des bornes spatio-temporelles originales pour une autre Europe Seules les circulations qui ont donné lieu à un franchissement de frontière seront ici considérées. Les colonies, extra-européennes, ne seront pas directement abordées, mais les volumes d’échanges connaissent une telle croissance pendant la période, que les circulations qui les unissent à leurs ports métropolitains dans le cadre de l’Exclusif colonial, et plus encore les échanges de réexportation en direction de tout l’espace européen, sont essentiels. A titre d’exemple, les réexportations du port de Bordeaux –premier port français avec Marseille pour le commerce international- sont en majorité effectuées par des navires étrangers. Dans la ville, des Allemands originaires de la Mer du Nord et de la Baltique ont établi d’importantes maisons de commerce. Ils ne se contentent pas d’exporter vers Brême ou Hambourg les vins bordelais et le sucre de Saint-Domingue raffiné en métropole, ils voyagent, envoient leurs enfants se former chez leurs correspondants des grandes places européennes, se marient, entretiennent une correspondance, créent des loges maçonniques comme l’Amitié allemande, future Amitié, reconnue par la Franc- maçonnerie française. Bref, ils initient et s’insèrent dans des circulations multiples qui intègrent les jeux de l’échange, mais aussi de la paix et de la guerre navale dans l’Atlantique. Les listes des membres de la loge de l’Amitié témoignent de l’interaction des circulations négociantes, intra- et extracommunautaires, culturelles et sociables qui s’opèrent parmi les « Allemands de Bordeaux » à l’heure du grand commerce colonial. Parmi beaucoup d’autres, on y lit notamment les noms de Jean-Georges Streckeisen, originaire de Bâle, qui devient franc-maçon en 1746, alors qu’il vient 4 d’arriver à Bordeaux. Sa maison de commerce devait devenir l’une des plus puissantes de la place, faire de lui le consul de Prusse, choisi parmi les négociants importants et respectables dont le crédit local doit permettre de régler différends commerciaux, et impressionner l’auteur Sophie von La Roche lors de son voyage. Négociant en vins, vice-consul puis consul de Prusse de 1788 à 1792, Jacob Jacques Henry Wüstenberg rejoint également l’Amitié en 1769, imité en 1772 par Daniel Christophe Meyer, originaire de Hambourg, et futur consul des villes hanséates de Hambourg, Brême et Lübeck. Le choix des années 1680-années 1780 vise à s’affranchir des bornes de l’histoire politique, type 1715-1789. L’essentiel est bien dans la prise en compte de circulations qui non seulement transcendent les frontières politiques, mobilisent l’espace, mais aussi s’affranchissent d’une chronologie politique et surtout française –de la mort de Louis XV à la Révolution. Des circulations aussi importantes que celles qui mènent les réformés français jusqu’au Refuge huguenot, avec les différentes étapes qu’ils ont pu faire –certaines devenant parfois définitives-, celles des jacobites, ces partisans de Jacques II Stuart et de ses héritiers –le prétendant Jacques III et le jeune prétendant Charles Edouard- enjambent précisément les XVIIe et XVIIIe siècles. Pas plus que la mort des souverains, la guerre ne stoppe les circulations internationales. Le phénomène est d’autant plus important à considérer que la période intègre tous les grands conflits européens –et par extension coloniale, mondiaux- que l’Europe a connus depuis la guerre de Trente Ans. On se bat plus de trois années sur quatre au cours des années 1680-1780, avec d’importants « pics de bellicité ». La prégnance de la guerre est donc essentielle pour une lecture fine et pertinente du sujet. Sans elle, pas de ces multiples projets de paix perpétuelle qui sous-tendent la période. On aurait tort de les balayer d’un revers de main en les taxant d’utopies. Il s’agit bien d’utopies –mais comme en architecture ou en urbanisme- mais destinées à modéliser de nouveaux équilibres européens, et pas seulement dans le champ diplomatique (Balance of power). Alors que s’affirme l’économie politique, que les travaux sur la « science du commerce » sont largement diffusés à travers le continent, traduits, commentés, contestés aussi, Jean-François Melon et Montesquieu pensent l’Europe à partir du « doux commerce » et de ces 5 circulations. Il ne s’agit pas seulement d’imaginer que le commerce préserve de la guerre entre puissances, ou entre confessions comme l’imagine Voltaire dans l’article « Tolérance » de son Dictionnaire philosophique (1764) : « Qu’à la bourse d’Amsterdam, de Londres, ou de Surate, ou de Bassora, le guèbre, le banian, le juif, le mahométan, le déicole chinois, le bramin, le chrétien grec, le chrétien romain, le chrétien protestant, le chrétien quaker trafiquent ensemble : ils ne lèveront pas le poignard les uns sur les autres pour gagner des âmes à leur religion. Pourquoi donc nous sommes-nous égorgés presque sans interruption depuis le premier concile de Nicée ? ». Chez Montesquieu, le « doux commerce » fait de l’Europe par-delà ses frontières et ses clivages l’espace de la civilisation. L’exclusif colonial devient une « loi fondamentale » de l’Europe. Pour l’auteur de L’Esprit des lois, « il importe peu que l’Europe soit la plus petite des quatre parties du monde par l’étendue de son terrain, puisqu’elle est la plus considérable de toutes par son commerce, par sa navigation, par sa fertilité, par les lumières & l’industrie de ses peuples, par la connaissance des Arts, des Sciences, des Métiers, & ce qui est le plus important, par le Christianisme, dont la morale bienfaisante ne tend qu’au bonheur de la société. Nous devons à cette religion dans le gouvernement un certain droit politique, & dans la guerre un certain droit des gens que la nature humaine ne saurait assez reconnaître, en paraissant n’avoir d’objet que la félicité d’une autre vie, elle fait encore notre bonheur dans celle-ci ». D’autres observateurs nettement moins connus mais essentiels pour notre propos ont poussé plus loin l’analyse, en proposant une typologie des puissances européennes. C’est le cas à l’Université luthérienne de Strasbourg –surnommée l’Université des princes, elle attire des étudiants de tout l’espace germanique, mais aussi de France, de Grande-Bretagne, de Russie et des provinces baltes aux élites germanophones de l’Empire russe (voir les chapitres sur les voyages et sur les circulations culturelles et scientifiques)- de Christophe Guillaume de Koch. Auteur du Tableau des révolutions de l’Europe depuis le bouleversement de l’Empire d’Occident jusqu’à nos jours (1771), il est l’héritier du célèbre Jean-Daniel Schöpflin (1694-1771), remarquable intermédiaire culturel franco-allemand sur les plans diplomatique –il est chargé de missions de confiance- culturel –membre de 6 nombreuses compagnies savantes : Royal Society, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris, de Cortone, Saint-Pétersbourg et Göttingen-, il crée une académie à Mannheim à la demande du prince-électeur du Palatinat, où l’étude de l’histoire s’épanouit tout particulièrement, et entretient des circulations érudites dans la tradition de la Frühaufklärung, dont la traduction par pré-Lumières ne rend pas la richesse- et bien sûr éducatif en fondant l’« école diplomatique » associée à son nom. Dans sa typologie des puissances européennes, Koch isole tout d’abord la France et la Grande-Bretagne qui ont les moyens de mener une guerre sans conclure d’alliance –ce qui est discutable pour la deuxième, concernant le théâtre d’opérations continental. Autriche, Russie, Prusse, Espagne, Danemark forment un second groupe d’Etats qui pour mener une guerre sont obligés de conclure une alliance, surtout si cette guerre se prolonge dans le temps ou se déroule sur mer. Un troisième groupe d’Etats qui, en temps de guerre, ne peuvent qu’apporter une concours à d’autres Etats en fournissant des troupes aux principaux belligérants est formé du Portugal, du royaume de Piémont-Sardaigne, de la Suède, des Provinces- Unies et des Etats de l’Empire. La typologie se termine par les Etats qui n’ont aucune puissance effective en Europe. Koch n’hésite pas non plus à étudier les conflits les plus contemporains. Cette présentation de l’Europe et donc du cadre des circulations à étudier, si elle présente comme toute typologie ses faiblesses, mérite cependant d’être gardée en mémoire, car elle est l’œuvre d’un contemporain et surtout parce qu’elle a été enseignée à de futurs diplomates qui ont circulé ensuite de poste en poste et ont profondément remodelé l’Europe : le français Rayneval, dont le nom est associé au traité de libre-échange franco-britannique de 1786 a été formé à l’Ecole diplomatique, comme les frères Brühl (Saxe et Pologne), à Ludwig von Cobenzl (Autriche), les deux fils du président de l’Académie des sciences de Saint- Pétersbourg comte Rasoumovski, les fils du duc d’Aremberg mais aussi Metternich ou Maximilian uploads/Geographie/ les-circulations-internationales-en-europe.pdf

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