463 Article 1. Les caractéristiques du sous-développement 12.1 DÉFINIR LE DÉVEL
463 Article 1. Les caractéristiques du sous-développement 12.1 DÉFINIR LE DÉVELOPPEMENT ET LE SOUS-DÉVELOPPEMENT 12.1.1 Le développement Défi nir le développement Pour défi nir le développement* , on se réfère souvent à la défi nition devenue classique proposée par l’économiste français François Perroux en 1961 : c’est « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et dura- blement son produit réel et global ». Cette défi nition implique deux faits principaux : si la crois- sance peut se réaliser sans forcément entraîner le développement (partage très inégalitaire des richesses, captation des fruits de la croissance par une élite au détriment du reste de la popula- tion), il y a tout de même une forte interdépendance entre croissance et développement (le déve- loppement est source de croissance et nécessite une accumulation initiale). Enfi n, le développement est un processus de long terme, qui a des effets durables. Une période brève de croissance écono- mique ne peut ainsi être assimilée au développement. Le contresens à éviter : ne pas confondre croissance économique et développement Le développement englobe des bouleversements plus grands (valeurs et normes sociales, struc- ture sociale, etc.) que le simple processus de croissance économique : le développement est par nature un phénomène qualitatif de transformation sociétale (éducation, santé, libertés civiles et politiques…) alors que la croissance économique est seulement un phénomène quantitatif d’ accumulation de richesses. Ainsi le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) défi nit le développement comme le fait d’« élargir l’éventail des possibilités offertes aux hommes ». Cette défi nition est inspi- rée de la théorie des « besoins essentiels (ou élémentaires) » créée dans les années 1970 au sein du Bureau international du travail (BIT). Le développement y est caractérisé par la disponibilité d’un Article 1 Les caractéristiques du sous-développement Les stratégies de développement 12 © 2008 Pearson Education France – Analyse économique et historique des sociétés contemporaines – Philippe Deubel Chapitre 12 Les stratégies de développement 464 minimum de biens pour assurer la survie (alimentation, habillement, etc.) et de services de base comme la santé ou l’éducation. Les besoins essentiels sont défi nis par le fait qu’ils sont quantifi a- bles, universels et facteurs de croissance économique. Le PNUD propose ainsi quatre critères pour mesurer le niveau de développement d’un pays : • la productivité qui permet d’enclencher un processus d’accumulation ; • la justice sociale : les richesses doivent être partagées au profi t de tous ; • la durabilité : les générations futures doivent être prises en compte (dimension à long terme du développement) ; • le développement doit être engendré par la population elle-même et non par une aide exté- rieure. Le développement, une notion ethnocentrique ? Une question se pose alors : ce que nous entendons par développement n’est-il qu’une certaine conception de ce que doit être le progrès humain, conception héritée des Lumières du XVIIIe siècle et propre au monde occidental ? Derrière la notion de développement se cacherait le modèle économique de production capitaliste. Ainsi, le souhait de voir se développer les pays pauvres participerait d’un projet de normalisation capitaliste et libérale du monde. C’est la thèse défendue par un courant de pensée anti-développement, proche du mouvement de la décroissance, et représenté en France par Serge Latouche ou Gilbert Rist. Ce dernier assimile même le développe- ment à une religion, une croyance imposée à tous et encadrée par des rites (mode de production capitaliste, rapports marchands, discours mettant en avant la notion de progrès et de modernité sans les défi nir, etc.). Cette conception critique du développement s’appuie sur les travaux d’anthropologues comme l’Américain Marshall Sahlins , qui défend dans son ouvrage Âge de pierre, âge d’abondance. Écono- mie des sociétés primitives (1970) la thèse que les sociétés primitives, sous-développées au sens occidental, ne connaissent pas la pénurie mais l’abondance du fait du peu de besoins à satisfaire. On voit alors émerger la critique du capitalisme : c’est le fait que le système capitaliste crée de nouveaux besoins qui crée alors le sous-développement*. Une vie heureuse et accomplie serait donc possible en dehors du développement. Néanmoins, des variables comme la forte mortalité ou la sous-alimentation dans plusieurs pays pauvres montrent que le développement peut avoir une portée universelle d’amélioration des conditions de vie et que le sous-développement réduit le champ des possibles de l’humanité. De plus, l’accumulation de richesses est un préalable nécessaire à l’amélioration des conditions de vie. Ensuite, le courant précité oublie qu’une grande partie de l’économie du développement* et des stratégies de développement s’est construite contre le modèle capitaliste de marché comme nous le verrons par la suite. Enfi n, ce mouvement intellectuel a tendance à idéaliser le mode de vie des sociétés primitives en modèle alternatif au capitalisme. Ces approches critiques du développement sont cependant présentes pour questionner ce que l’on entend par « besoin », « progrès » et « retard de développement ». Elles permettent ainsi de remettre en cause les théories simplistes du retard que les pays pauvres auraient vis-à-vis des pays développés, qui proposent un modèle unique de développement applicable à tous et prenant pour modèle la réussite européenne et américaine des décennies précédentes. © 2008 Pearson Education France – Analyse économique et historique des sociétés contemporaines – Philippe Deubel 465 12.1.2 Défi nir le sous-développement Les différentes appellations du sous-développement La notion de « pays sous-développé » est utilisée pour la première fois par le président américain Harry Truman en 1949, lors de son discours sur l’état de l’Union (« point IV »). Il y justifi e l’aide que doivent apporter les pays riches aux pays pauvres afi n d’endiguer la montée du communisme. C’est donc dans un contexte de guerre froide que se forge le débat sur les appellations des pays les plus pauvres. Par la suite, plusieurs dénominations vont se succéder. En 1952, le démographe et économiste fran- çais Alfred Sauvy utilise la notion de « tiers-monde* » pour qualifi er les pays sous-développés. En faisant référence au tiers état de l’Ancien Régime, il entend dénoncer la marginalité dans laquelle se trouve ce troisième monde à côté des deux blocs en confl it et annoncer son émergence imminente en force politique mondiale : « Car enfi n ce tiers-monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut, lui aussi, quelque chose. » C’est l’époque où les pays pauvres s’allient dans un but commun : dénoncer la logique des blocs et revendiquer leur voix dans le concert mondial des nations. Ainsi, en 1955, la conférence de Bandoeng voit naître le tiers-monde comme mouvement politique : c’est le début du mouvement des « non-alignés », voie médiane entre les deux blocs américain et russe, qui revendique un « nouvel ordre économique international » (NOEI ). Cette revendication amènera l’émergence du « groupe des 77 » et la création de la CNUCED (conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) en 1964 au sein de l’ONU, qui se fait le porte-voix des revendications du tiers-monde pour un commerce plus équitable. Le vote en 1974 d’une résolution à l’ONU qui entérine la notion de NOEI en promouvant l’ouverture des marchés des pays riches aux produits des pays pauvres, l’accroissement de l’aide publique et privée au développement et la stabilisation des prix des produits primaires exportés par les pays du tiers-monde s’inscrit également dans cette lignée. Dans les années 1970, à côté de la notion politique de tiers-monde, l’ONU avance la notion de « pays en voie de développement » (PVD), la notion de pays sous-développé étant considérée comme trop stigmatisante. Puis, dans les années 1980, s’impose l’appellation « pays en dévelop- pement » (PED ) qui est censée traduire le processus de progrès économique et social dans lequel sont engagés les pays pauvres. Elle traduit la volonté d’une approche optimiste et positive du développement. La notion de PED cohabite aujourd’hui avec celle du « Sud », qui insiste sur la localisation géographique des PED en opposition avec le Nord, ou bien encore avec la notion de « pays émergent » qui insiste sur le caractère imminent de leur développement, en particulier pour les pays les plus avancés dans leur développement. La dénomination du sous-développement a donc suivi une voie qui réduit de plus en plus la vision confl ictuelle qui le caractérisait dans les années 1950 et 1960. Certains critiquent même le caractère euphémisant de ces nouvelles appellations, qui masquerait les causes du sous-dévelop- pement et le fait qu’une partie des PED n’en sorte pas. Cette notion de PED est en tout cas très fl oue, comme le montre l’initiative de l’Organisation mondiale du commerce (OMC ) de laisser les PED s’autodésigner comme tels en son sein ! Défi nir le sous-développement Le développement est un phénomène très récent. Il n’a concerné qu’un petit nombre de pays à partir du XVIIIe siècle lors de la révolution industrielle des pays d’Europe de l’Ouest. L’état qualifi é aujourd’hui de « sous-développement » était donc la situation normale du monde avant uploads/Geographie/ les-strategies-de-developpement 1 .pdf
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- Publié le Mai 15, 2021
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