/ . ' ' LE NOUVEAU COMMERCE \ CAHIER 75 TRIMESTRIEL - AUTOMNE 1989 Les cahiers

/ . ' ' LE NOUVEAU COMMERCE \ CAHIER 75 TRIMESTRIEL - AUTOMNE 1989 Les cahiers du nouveau COMMERCE sont publiés par les soins d'André Dalmas et de Marcelle Fonfreide Cahier publié avec le concours du Centre National des Lettres La revue n'est pas responsable des manuscrits qui lui sont adressés RÉDACTION, ABONNEMENTS, DIFFUSION Nouveau Quartier Latin 78, Boulevard St-Michel, PARIS ISSN : 0550-1326 SOMMAIRE ANDRÉ DALMAS La carte du Tendre Histoire d'une crise cardiaque suivi de Commentaires EMMANUEL LEVINAS Séjour de jeunesse auprès d'Husserl 1928-1929 HELGA SCHüTZ Préhistoriques ou Une belle région, Probstein (Traduit par Nicole Debrand) JEAN KELY PAULHAN La ligne S THOMAS CHRISTOPH HARLAN Introït JANE BOWLES Trois scènes (Traduit par Claude N. Thomas et Jean K. Paulhan) RUDOLF KASSNER L'image de la mort et mon père (Traduit par Yvonne Bollmann) Liste des sommaires des cahiers 1 à 75 20 COMMERCE Je ne sais quelle direction prendre. Voilà pourquoi je tente de profiter des circonstances actuelles. Aspect absurde du danger de mort. On le souhaite, il apaise - mais on veut - ou du moins, je veux - trouver le moyen de se dérober soi-même à la course au fantôme. 13 La nuit, je vois les rives du fleuve qui séparent les eaux de mon paysage. (1968) ANDRÉ DALMAS l me Séjour de jeunesse auprès d'Husserl 1928-1929 - Texte inédit en français, paru en traduction allemande dans «Edmond HUSSERL und die Phanoménologische Bewegung » (Karl ALBER Verlag- Freiburg/München 1988). !· 1 Mes souvenirs de Husserl remontent à mon séjour, à Fribourg- en-Brisgau pendant le semestre d'été 1928 et le semestre d'hiver 1928-1929, où, en vue d'une thèse que je devais soutenir à Stras- bourg sur la théorie de l'intention dans la phénoménologie de Husserl, j'allais puiser à la source. Période singulière d'exaltation. Elle me revient comme si la phénoménologie autour de Husserl en était l'événement unique ou total se déroulant dans les cours et les séminaires de Husserl, d'abord, de Heidegger ensuite - dans les lectures et les conversations, mais aussi dans l'approche des per- sonnes et des choses et la traversée des rues, dans l'être de cette ville badoise et de la Forêt Noire, restées presque inaperçues par elles-mêmes, et dans la « temporalisation » même de ce temps qui fut aussi le temps de ma jeunesse. J'arrivais à Fribourg armé de lectures : j'ai lu de très près, déjà à Strasbourg, les Logische Untersuchungen, la Philosophie als strenge Wissenschaft et les Ideen I qui, avec la Philosophie der Arithmetik - « reniée » depuis la réfutation du psychologisme - constituaient la courte bibliographie d'une longue carrière univer- sitaire, déjà sur le point d'atteindre l'honorariat. J'avais été impres- sionné par cette noble crainte de publier trop tôt, j'ai été sensible 24 COMMERCE au «mythe» - et à la réalité - de ses nombreux manuscrits attestant le travail discret, le secret quotidien, de Husserl, depuis de longues années. J'avais confiance. J'ai eu l'impression de trouver dans ses livres imprimés une nouvelle possibilité de penser, plutôt que des constructions spéculatives inédites. J'ai été enfin préparé à la phénoménologie par l'amicale fréquentation à Strasbourg de Jean Hering, professeur à la faculté de théologie protestante, auteur d'une thèse, alors récente, sur la Phénoménologie et la philosophie religieuse et qui, avant la guerre de 1914, à l'époque des premiers enthousiasmes pour la Wesenschau, était élève de Husserl à Güt- tingen, condisciple de Roman Ingarden, d'Alexandre Koyré, de Conrad et Hedwig Martius, d'Alexandre Pfünder et de tout un groupe de jeunes penseurs que la publication des Ideen I aurait étonnés par son retour à l'idéalisme transcendantal. Que ces noms, inséparables dans mes souvenirs du destin spirituel de Husserl, soient salués ici ! Comme la mémoire bénie de mes maîtres de Strasbourg : Maurice Halbwachs - mort en déportation - Charles Blondel, Maurice Pradines, Henri Carteron, Martial Guéroult dont les voies furent différentes, mais la pensée aussi élevée. Curieuse aventure intellectuelle que la recherche husserlienne, portée, dès son origine, par l'idéal de rigueur scientifique, mais toujours marquée par des ruptures : passages du psychologisme au réalisme quasi platonicien, du réalisme platonicien à l'idéalisme transcendantal. J'étais certain en quittant Strasbourg que j'arrivais chez Husserl à l'heure de ses aboutissements définitifs, que je le trouverais sur les fermes rivages du paisible travail enfin garanti " EMMANUEL LEVINAS 25 depuis Ideen I : règne de la conscience pure et absolue, établi par l'opération révolutionnaire de la réduction transcendantale. Toutes les notions et valeurs de l'Occident allaient enfin se laisser réviser, au Jugement dernier de l'Histoire de la philosophie ! Et voilà que je débarque à Fribourg pour apprendre la retraite du maître. En attendant son successeur - qui serait Heidegger - il limite le nombre de ses cours hebdomadaires. Et voici que, dès mes premiers contacts avec deux de ses étudiants d'élite - déjà ses collabora- teurs, sinon ses assistants : Heinrich Ropohl et Eugen Pink, mes interlocuteurs privilégiés pendant toute mon année fribourgeoise - j'ai l'impression que, dans la discussion qui se soulève autour des formules de la phénoménologie des Ideen, s'entend un bruit ou une tonalité venant d'ailleurs. Il y a déjà l'autorité d'Heidegger en l'air ! Il est souvent question, sinon de critique, du moins de confrontation entre l'orthodoxie husserlienne et ses modulations très neuves. Fidélité ou rumeurs dans la maison du maître? Ces accents nouveaux ne remontent-ils pas à Sein und Zeit ? Mais Sein und Zeit, ne vient-il pas d'être publié en 1927 dans le volume VIII du très fameux ]ahrbuch für Philosophie and phanomenologische Forschung, expression authentique de la recherche phénoménolo- gique depuis 1913 ? Ne sommes-nous pas à la veille d'une nouvelle rupture? Rien de tel pourtant, dès l'apparition du visage du maître. Présence publique en chaire, un peu majestueuse et comme dis- tante - dignité professorale ; mais aussitôt un discours se référant à la terminologie, bien familière à ses lecteurs et épousant le rythme 26 COMMERCE invariable de ses textes et, ainsi, d'emblée présence familière à travers les formes universelles, mode essentiel du moi husserlien. Où voici Husserl au numéro 40 de la Lorettostrasse, dans sa mai- son accoutumée à des visites des étudiants, des professeurs et des chercheurs venant de très loin - et des Etats-Unis, et du Japon, et de l'Australie - dans son bureau de travail ou sa bibliothèque où se dressent aussi des bustes (rassurants) des philosophes de l'an- tiquité ! Accueil cordial fait à un venu de France : venu de si près et pourtant si tard - mais élève impatient de s'instruire et qui a «lu tous les livres ». Et tout en me présentant, moi le nouveau venu, sous le surnom aimable de « philosophisches Schafchen », au Dr Ludwig Landgrebe, son excellent assistant, Husserl me confie une mission redoutable : initier aux complexités phénoménologi- ques - en me promenant avec lui - un professeur qui vient d'arriver de Melbourne ou de Sydney. Lequel se trouvera un jour le traducteur des Ideen en anglais ! Tout confirme cette universalité de la reconnaissance. De France arrive enfin l'invitation : des confé- rences à la Sorbonne. Naissance des Méditations cartésiennes de Husserl dont la version française précédera de vingt ans la publi- cation de l'original allemand et où Descartes aurait tracé, d'après Husserl, l'une des voies principales menant à la Réduction trans- cendantale et à la phénoménologie, déjà enfant légitime de la pensée française. A Fribourg depuis cet appel de Paris, préparatifs du voyage. Madame Husserl aurait l'intention de perfectionner son français en vue de ce séjour dans la patrie de tous les cartésiens ; ou, peut-être montrer sa gracieuse attention à un étudiant venu de EMMANUEL LEVINAS 27 là-bas. J'aurai l'honneur de lui consacrer des séances de conversa- tion, sans grammaire ni explications de textes. Séances qui ne s'achè- vent jamais par des entretiens philosophiques avec le maître, réservés à d'autres circonstances. Sauf une seule fois, où Husserl interrompit pendant quelques minutes la leçon : il m'apportait un exemplaire dédicacé à mon intention de ses « Vorlesungen zur Phanomenologie des inneren Zeitbewusstseins » de 1905, que Heidegger - encore très fidèlement husserlien - venait d'éditer. D'un ton solennel - un peu sentencieux - le maître m'a dit quelques mots qui souli- gnaient l'importance, en philosophie, du travail qui procède en alliant du « très bas » vers le haut et la vanité des entreprises qui se veulent « von oben - herab ». La minutie, mais aussi l'application, l'assiduité au travail - le Fleiss - devenaient des vertus philosophiques essentielles ! La phénoménologie semblait s'ouvrir à Husserl comme un champ illimité de tâches qui s'imposaient, et comme si la solidité du terrain où elles devaient s'entreprendre, était à jamais assurée par la Réduction transcendantale, et comme si le mode de questionne- ment de la problématique phénoménologique ne faisait plus ques- tion. Et pourtant, le thème de cette Réduction et de la méthodologie revenait sans cesse dans le discours du maître. Réduction inces- sante, serait-elle, elle aussi, encore inachevée ? Non pas qu'il eût fallu soupçonner sous les fondements de la doctrine, uploads/Geographie/ levinas-se-jour-de-jeunesse-aupre-s-de-husserl-1928-1929.pdf

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