« Une synergie de savoirs et d'expertises multiculturelles issue des femmes ori
« Une synergie de savoirs et d'expertises multiculturelles issue des femmes originaires de l'Outre-mer et au-delà pour un éclairage diversifié de notre société » Isabelle HOARAU-JOLY « Ré-enchanter le monde » Entretien et portrait réalisés par Jean-François Samlong et Vanessa Gally Tour à tour auteure, conteuse, ethnobotaniste, voyageuse… Isabelle Hoarau-Joly navigue d’une mer à l’autre sans jamais oublier sa Réunion natale. Dans chacune de ses aventures, elle se questionne et nous questionne sur notre rapport à la nature, à la culture et à notre identité. Dans ce triptyque existentiel, le conte, les légendes et les savoirs ancestraux apparaissent comme le juste chemin vers le savoir et la sagesse. Telle le colibri, « je fais seulement ma part », dit-elle, et volant d’une fleur à l’autre elle nous invite à dépasser nos préconceptions, à explorer le monde et à goûter aux sucs des rencontres. Une Îlienne dans l’âme Née à la Réunion en 1955, Isabelle Hoarau grandit dans un quartier des hauts de la ville de Petite Ile dans le Sud de l’Ile de la Réunion. Son père agriculteur et sa mère directrice d’école lui lèguent l’amour de la terre et des lettres. Dès son plus tendre âge, elle est qualifiée d’enfant « sauvage » tant elle est submergée par la nature et la lecture. Les femmes de sa famille lui enseignent les traditions du jardinage tandis qu’elle recueille et écoute leurs histoires, les contes et l’histoire de son Île qui la passionnent. Elle reconstitue ces récits « comme un « tapis mendiant », véritable patchwork issu des origines métissées de l’Ile de la Réunion ». C’est pourtant bien plus tard, que l’écriture lui apparaîtra comme un moyen de panser ses maux, de s’ouvrir au monde et d’ « apporter un regard nouveau sur la culture de mon île en participant au chant du monde à travers les contes traditionnels ». L’Exil, une souffrance poétique A 17ans, elle quitte son île natale pour l’Hexagone suite à une grossesse précoce. C’est là que pour la première fois, elle est confrontée à « l’exil, au froid et à la froideur des gens qui l’entourent ». De cette souffrance, de ces frustrations jaillissent soudain les mots comme un moyen de crier son besoin de reconnaissance et de partage avec le monde. Dès 20 ans, elle écrit ses premiers poèmes et contes, et fréquente, dans les années 80, la vie littéraire parisienne. « Ce qui est important pour moi et une des raisons pour lesquelles j’écris, c’est que chacun est unique, a sa place et une raison d’exister. Chacun porte un rêve en lui, et a envie d’un monde où l’on peut s’épanouir, en puisant dans la connaissance de ses racines, en étant fier de ses origines, en se basant sur l’humanité et la générosité, sans penser uniquement au profit. » L’écriture apparaît comme un moyen d’affirmer son identité d’ « îlienne », de retourner le regard posé sur les femmes issues de ces territoires. Ce travail de questionnement identitaire participe finalement à une réflexion plus générale sur notre société au travers d’un regard proprement féminin. Isabelle Hoarau-Joly cherche à « ré-enchanter le monde » grâce à la fantaisie et à l’imaginaire procurés par l’écriture tout en se saisissant de questions tout à fait actuelles : alerter sur les violences faites aux femmes, sensibiliser sur la relation homme- nature, construire un regard positif du passé afin de mieux préparer l’avenir… Esquisser la beauté du monde Son écriture et ses contes s’inspirent directement de son Île et de son parcours personnel, c’est pourquoi, les voyages lui procurent une source d’inspiration inédite. Elle mène une vie de bohème à travers l’Europe et parcourt le Danemark, l’Espagne, l’Angleterre et la France. De ces rencontres, de ces cultures qui se croisent et se mêlent émergent une force de création littéraire puissante. Elle y puise la volonté de nourrir l’imaginaire des adultes et des enfants pour les aider à surmonter leurs épreuves et « les initier au mystérieux par la fenêtre des possibles. » La Réunion en trame de fond En 1983, Isabelle Hoarau-Joly retourne à la Réunion et s’implique dans la vie culturelle et artistique de l’Ile : elle anime des cafés littéraires et des rencontres autour du livre et du conte. Dès lors, si la Réunion reste sa trame de fond, elle voyage entre l’Hexagone et son Ile, comme en 1986 où elle entreprend une formation comme conteuse avec Agnès Chavanon, créatrice de Paroles en festival dans la région lyonnaise. Elle poursuit ensuite des études d’ethnologie et d’anthropologie à la Réunion jusqu’au doctorat. Parallèlement, son premier recueil de poèmes est édité en 1987, suivi de l’édition de plusieurs contes (1989, 1990, 2012). A partir de 1988, elle lance des soirées-contes, des ateliers d’écriture et d’oralité : autant de moyens d’éveiller à la construction de l’identité, à la transmission des savoirs, à la sauvegarde du patrimoine en marchant « dans les pas des conteurs et des poètes pour semer le chemin de graines de sagesse. » Elle s’impose comme l’une des principales auteures de littérature de jeunesse réunionnaise grâce à la qualité et au nombre d’albums et de recueils de contes qui la mène à intervenir dans les écoles notamment dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme. Depuis 1995, elle participe aux journées du patrimoine afin de mobiliser et de sensibiliser sur la sauvegarde des jardins créoles, espaces de savoirs féminins. Le voyage comme éveil de conscience De 1998 à 2001, elle entreprend un voyage en famille autour du monde en voilier. Elle en gardera des souvenirs marquants : comme la traversée du Canal de Panama, la découverte d’Henri Hiro, poète tahitien éveilleur de la conscience de son peuple, ou encore le festival des Marquises de l’An 2000. Son récit de voyage écrit à deux mains avec le capitaine de bord, son mari, est à la mesure de son œuvre : onirique et ilienne tout en cultivant la rencontre des hommes, de la nature et de soi. Depuis 2008, Isabelle Hoarau-Joly s’engage encore plus explicitement en faveur des femmes en soutenant les Journées pour l’Egalité et la lutte contre les violences faites aux femmes : chaque année elle publie à cette date un texte engagé. Elle a également rédigé une charte pour les droits des femmes de la Réunion et a publié – toujours en 2008 – un roman, Les chants du silence, sur la grossesse précoce. Durant la même période, elle écrit et produit une pièce de théâtre en créole « Tapkal » sur la violence subie par les femmes. Auteure, conteuse, dramaturge affirmée, Isabelle Hoarau-Joly met désormais son savoir au profit de parents et d’étudiants éducateurs de jeunes enfants, elle forme sur le conte et ses enjeux et intervient durant des conférences sur les jardins créoles, lieux d’harmonie, de savoirs et d’identité. Bien que, comme elle le commente elle-même, le conte reste le meilleur moyen pour réinventer l’avenir. Extraits de l’interview d’Isabelle Hoarau-Joly par Jean-François Samlong : Comment voyez-vous le rôle de la femme d’Outre-mer et son implication dans la société ? Les femmes doivent prendre toute leur place dans la société afin d’apporter leurs valeurs de tolérance et de solidarité, du respect de l’autre et de la nature, leur implication dans l’écologie et une vision humaniste du futur, dans l’épanouissement de chacun. Les femmes portent sur leurs épaules l’éducation de leurs enfants et la transmission des valeurs familiales. Elles sont les racines de la culture, qu’elles portent dans leur ventre et dans leur mémoire. Beaucoup élèvent seules leurs enfants et vivent difficilement cette situation qui est supportable grâce à la solidarité familiale et les rencontres avec les autres femmes. Que pouvez-vous dire de la place de ces femmes à la Réunion ? Les femmes de la Réunion sont très actives, elles s’impliquent dans les associations où elles peuvent faire entendre leurs voix et apporter leur idées, dans les conseils d’école ou de quartiers, elles portent à bout de bras les souffrances de la jeunesse déboussolée, de la crise économique où elles luttent pour faire vivre leur famille, gérer l’alcoolisme qui touchent les adolescents et leurs compagnons, et souffrent de la violence familiale. Elles sont aussi là sur le développement durable en créant des fermes pédagogiques, en devenant chefs d’exploitation agricole… Parlez-nous d’un objet que vous affectionnez particulièrement et qui symbolise selon vous un héritage ou vos racines ? C’est « le van » qui est pour moi le lien. Cet outil féminin est utilisé pour la cuisine, trier les bons grains et les mauvais, vanner le riz pour chasser la poussière, écosser les haricots, préparer les plantes pour les tisanes, faire sécher les herbes, refroidir le café grillé à plusieurs mains et à plusieurs voix. Car c’est aussi le moment de la rencontre sous la tonnelle de chouchoux, l’échange et le partage des secrets, des douleurs et des bonheurs, lieu de transmission de grand-mère à mère et de mère en fille. Il fait le lien entre le dehors, le jardin ou le champ et l’intime, la préparation de la cuisine remplie des gestes d’amour pour uploads/Geographie/ isabelle-hoarau.pdf
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- Publié le Jui 16, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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