470 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 201 488 MÉMOIRES DE L’ACA

470 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 201 488 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 201 Séance du 23 septembre 2017 Mémoire et patrimoine dans la haute-vallée de l’Héraul Représentations et valeurs contemporaines Par Michel Langlois Membre correspondant Pont charretier et béal sur l’Hérault ©Ctr Cette présentation s’appuie sur le travail entrepris par l’association Cultures et territoire rural1. C’est d’abord la spécificité de la contrée cévenole2 qui sera évoquée avec l’orographie, l’occupation agricole, l’implantation religieuse, la dynamique économique, les crises. Cette histoire a déposé partout sur le territoire les traces d’un patrimoine diversifié. Viendront ensuite la méthode, les concepts et les représen- tations permettant de cerner les enjeux d’un bien commun voué à dis- paraître. On abordera successivement : - l’identification des objets3 dans les documents et sur le terrain, et 1 L’association CTR traite du pays, du genre de vie et du capital mémoriel légué par les générations avec l’ambition de maintenir l’attachement de la population à sa culture et à son territoire. Deux brochures ont été éditées en 2016, « Mémoire et patrimoine en Cévennes » et «Richesse culturelle d’un territoire rural ». 2 Elle correspond à la haute-vallée de l’Hérault, ex canton des communes de Saint- André de Majencoules, Notre-Dame de la Rouvière et Valleraugue, avec respective- ment une surface disponible par habitant de 3.5, 3.8 et 7.5 hectares. 3 Éléments du patrimoine vernaculaire rural (bâti, construction, outillages, amé- nagement paysager...) relatif aux fonctions matérielles et culturelles de la société : gestion de l’eau, production et transformation agricole, vie domestique et religieuse, 489 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 2017 la constitution d’une base de données géo-localisées ; - l’interprétation des objets dans une continuité fonctionnelle rela- tive à la société et aux communautés rurales ; - la mise en regard des objets et des valeurs sociétales, complé- mentaires ou antagonistes, propres à donner un rôle contemporain au « petit patrimoine ». Une contrée et ses contraintes Vue du mas Miquel ©Ebrard 1880 Naissance et modelage de la montagne Comprendre le paysage cévenol1 suppose de faire référence aux transformations majeures de la croûte terrestre dans la région, entre le primaire et le quaternaire : le dépôt des argiles et leur transformation en schiste, les poussées magmatiques solidifiées en granite avec l’émer- gence des massifs (Aigoual, Lozère, Lingas), les fractures multiples dans des pentes remodelées à leur tour par l’érosion hydrique. Une forêt éclaircie par le passage des animaux Dans ce relief chaotique alternant serres et valats, pentes à l’adret et à l’ubac, substrat en schiste ou granit, l’homme contourne les contraintes physiques pour utiliser les atouts d’un pays très boisé, humide et doux. Premiers à traverser le territoire, les pasteurs nomades suivent les lignes déplacements, information (Hubert Delobette, 2007). 1 On peut l’admirer par exemple sur la départementale au col de la Cardonille, avant de descendre sur Saint-Bauzille de Putois. 490 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 201 de partage des eaux sur les crêtes pour tracer des chemins et étendre peu à peu les parcours des animaux sur les pentes. Des écarts apparaissent sur des promontoires, déjà utilisés pour le repos et la surveillance des troupeaux, et de proche en proche des hameaux s’installent sous l’im- pulsion de prieurés bénédictins proches comme ceux dépendants de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille. Hydrographie et gestion de l’eau L’homme commence alors à défricher sur les rives et les versants les mieux exposés pour les mettre en culture et bénéficier d’une eau saisonnière généreuse. Il comprend rapidement qu’il faut conserver un minimum d’arbres et de végétation naturelle sous peine de provo- quer un ruissellement incontrôlable et l’érosion du sol, d’autant plus accusés que la pente est forte. Certes les historiens des Cévennes ne s’accordent pas sur l’origine et l’époque de l’aménagement des collines en bancels (Philippe Blanchemanche, 1990). Cependant la pression démographique plaide, avec l’accroissement du nombre d’adultes au travail et l’augmentation des besoins alimentaires, pour une mise en culture étendue et plus intensive des pentes (exemptes de servitudes ou de prélèvements féodaux) dès le XIIe siècle au Moyen-Âge. Construction du paysage et polyculture familiale Avec la vulgarisation de la greffe du châtaignier à fruit dès le XIIIe siècle et l’impulsion d’un foncier innovant1, c’est un terroir agricole qui apparaît. Le paysage devient fonctionnel et sécurisé par le travail collectif d’édification et de maintenance de terrasses, d’ouvrages de soutènement, de sentiers pavés, de canaux de drainage et d’irrigation (Jean-Nöel Pelen et Daniel Travier, 1988). Un modèle productif se met en place, familial, pluri-actif, qui exploite toutes les potentialités du terroir avec la culture du seigle, l’élevage caprin avec l’alternance des parcours en vallée et sur les coteaux, le maraîchage et surtout la casta- néiculture, dominante dès le XVIe siècle (« l’arbre à pain ») avec comme témoins les arbres vieillissants, les séchoirs (clèdes) et les moulins à eau. 1 Le « bail à complant » octroie à l’exploitant fermier, après dix ans, la pleine proprié- té sur la moitié de la parcelle défrichée. 491 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 2017 Un bancel de pommes de terre ©Verdier 1993 Signes et symboles religieux Pour mémoire, la foi religieuse se traduit ici par l’exacerbation des croyances face à la brutalité et aux revirements de la politique éta- tique1. La littérature est généralement focalisée sur le protestantisme, mais les habitants des « terres blanches » ont affirmé ici une fidélité démonstrative au catholicisme. Des signes patents, croix, calvaires, etc. sont omniprésents sur les chemins, et les pratiques (offices, missions, jubilés au XIXe siècle, processions) toujours respectés. Expansion et effondrement Après le grand gel des fruitiers (1709) et les crises agricoles du XIXe siècle (maladies du châtaignier puis de la vigne), la sériciculture prend le relais du développement économique à la faveur des méca- niques à carder et à filer mues par l’énergie thermique et s’impose dans la société. Le mûrier blanc s’étend partout à proximité de l’habitat, et l’architecture même se transforme (apparition de la magnanerie en haut des fermes) pour accueillir « l’éducation à domicile ». Les filatures se multiplient (plus de 600 dans le Gard) dont les plus grosses, au Mazel et à Peyregrosse emploieront près de 200 ouvrières. 1 Édit de Nantes ; guerres du duc de Rohan (1621-1629); épisode camisard (1702-1704) avec l’affrontement entre milices catholiques et huguenots à Sumène, Saint-Martial et Saint-André de Majencoules; Edit de tolérance; loi de séparation des Églises et de l’État. 492 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 201 Décoconnage en famille ©Verdier 1996 À partir de 1846, à la faveur de la chute vertigineuse des livrai- sons de cocon1, la concurrence étrangère s’introduit et finit de ruiner « l’âge d’or » des Cévennes, donnant à la migration de travail une ampleur inédite. Boudé par sa population, exsangue après l’hécatombe de 1914, le territoire n’a plus désormais la capacité d’entretenir l’outil agricole : un capital productif qui repose sur la présence et le nombre des hommes valides. L’effondrement démographique: 1850-1950 ©Ctr, source Insee La reconstruction de l’Après-guerre impulsée par le plan Marshall et la marche des Trente Glorieuses vont pousser au progrès et à la modernisation en imposant -graduellement- le modèle productiviste dans les campagnes : recours aux machines, aux intrants chimiques (engrais et pesticides), et à l’endettement. Les matériaux exogènes et le moteur thermique (puis électrique) se vulgarisent, notamment dans 1 Les élevages, décimés par la pébrine et la flacherie, ne se relèveront pas malgré l’intervention décisive de Pasteur. 493 MÉMOIRES DE L’ACADÉMIE DES HAUTS CANTONS - 2016 - 2017 les pratiques culturales, la gestion de l’eau et la construction1. Nombre d’outillages, de bâtis et d’ouvrages encore utilisables sont délaissés, maintenant inadaptés à l’activité agricole, au transport et à la voirie. Les bancels, caractère identitaire du paysage cévenol, désormais en friches, disparaissent sous le recrû forestier et l’érosion. Dans ce qui ressemble fort, jusqu’aux années 1970, à une société et à un territoire en déshérence apparaît – en creux – l’importance d’un patrimoine matériel et culturel transmis malgré eux aux contemporains, habitants, élus et collectivités. Encore faudra-t-il en préciser la nature, l’importance, les contours et le sens. L’indispensable investigation de terrain Avant de s’interroger sur l’intérêt porté au patrimoine et sur les modalités de sa valorisation, il n’est pas inutile de souligner d’abord comment l’objet se dérobe ou résiste à l’investigation. Un patrimoine discret et silencieux Souvent invisible, partiellement ruiné et noyé dans la végétation, de taille très modeste en regard du patrimoine avec un grand P (encen- sé par la promotion touristique), le patrimoine vernaculaire « ne fait pas de bruit », il est là, immobile, et n’attire pas l’attention. Pour le rencontrer, il faut aller lentement sur la route, dans les chemins, dans les hameaux. Le marcheur -non averti- passera d’ailleurs à côté sans le remarquer, attentif plutôt à ses pieds sur le sol ou à bavarder avec ses voisins (comme dans un groupe de randonneurs). L’objet patrimonial est pourtant partout dans le paysage, au hasard des sentiers, sous la forme d’une uploads/Geographie/ memoire-et-patrimoine-de-la-haute-vallee-de-l-x27-herault-representations-et-valeurs-contemporaines-conference-ahc-2017.pdf

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