Un Premier ministre de Bourguiba témoigne Mohamed Mzali Un Premier ministre de

Un Premier ministre de Bourguiba témoigne Mohamed Mzali Un Premier ministre de Bourguiba témoigne Sud Editions - Tunis © Jean Picollec Editeur, Paris 2004 © Sud Editions - Tunis 2010 sud.edition@planet.tn Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation sont réservés pour toutes les langues et tous les pays Que les diatribes de certaines gens ne vous induisent pas en tentation de manquer d'équité à leur égard. Soyez équitables, voilà qui est plus conforme à la piété. Sourate 5 - verset 8 du Coran Il n 'est pas de plus grand malheur quand la vie vous malmène que de se souvenir des jours heureux. Pétrarque Quels livres valent la peine d'être écrits, hormis les Mémoires ? André Malraux INTRODUCTION Pourquoi ces mémoires ? De plus loin qu'il m'en souvienne, j'ai toujours aimé écrire. Au fond, avec la politique, l'écriture aura été ma seconde vocation. Pour moi, écrire n'a jamais constitué un pensum lourd à porter ou pénible à réaliser. C'est pourquoi j'y ai toujours consenti sans efforts. J'ai écrit des ouvrages sur la démocratie, sur l'olympisme, sur de grands débats culturels, en plus de centaines d'articles ou d'éditoriaux que j'ai parsemés sur le chemin de ma vie, avec le geste du semeur fécondant les labours de l'esprit. De plus, je crois, malgré la toute puissance de la machine audiovisuelle, à la pérennité de ce que le penseur canadien Mac Luhan appelait joliment « la galaxie Gutenberg ». Je crois que les paroles s'envolent et que seuls les écrits restent, selon une formule célèbre. Le témoignage le moins sujet à caution est celui que l'on fait par écrit, car il impose à son auteur une attention redoublée et une exigence avivée. Or, je pense que tout homme politique est redevable, devant sa société et devant l'Histoire, d'un témoignage sur son itinéraire public. Il se doit d'établir à un moment de sa vie une sorte de bilan, le plus sincère et le plus objectif possible, de son action au service de la Res Publica. Ce témoignage s'avère, dans certaines circonstances, d'autant plus indispensable que d'aucuns auront essayé de distordre la réalité et de dénaturer les faits. L'Histoire, dit-on, est souvent écrite, plus exactement réécrite, par les vainqueurs. Le récit historique subit alors de fortes anamorphoses qui en travestissent la vérité ! Cependant l'histoire, en politique, n'est jamais définitivement écrite. Mieux : en politique, il n'y a pas de jugement dernier ! Ceux qui ont tramé un complot contre moi et réussi à m'exclure de la scène politique n'ont pas failli à cette règle. 9 Après mon exil forcé, ce fut un déluge d'inexactitudes, d'accusations fallacieuses et de contre-vérités patentes qui se déversa sur moi, en mon absence. Il est juste que je puisse réfuter, comme il convient, ces falsifications et rétablir certaines vérités dûment attestées. Bien sûr, il faut savoir tourner la page ; mais cette page doit être lue et connue. Cette « part de vérité », je la dois à mes concitoyens et aussi aux historiens qui, demain, se proposeront de restituer l'histoire de la Tunisie depuis l'indépendance. Je voudrais leur léguer ce livre comme un matériau, parmi d'autres, qu'ils pourront utiliser dans leurs recherches. D'autres ont rédigé des articles ou des ouvrages qui présentent leurs versions - pas toujours objectives - des faits et des événements qui ont constitué la Tunisie contemporaine. Que les historiens de demain consultent la totalité de ces témoignages et qu'ils les confrontent aux faits avérés. Ils feront, j'en suis convaincu, le choix qui s'impose et sauront séparer le bon grain de l'ivraie. C'est donc sans esprit polémique que j'ai écrit ces pages. Bien sûr, il a fallu, à un moment ou à un autre, dénoncer des contre-vérités trop criantes ou des travestissements trop ostentatoires. Mais laissons aux historiens et à leurs méthodes scientifiques de consultation des archives et de vérification minutieuse, le soin de trancher entre tel et tel compte-rendu véridique et telle affirmation hasardeuse, voire telle fanfaronnade infantile. Certes, en m'attelant à la rédaction de cet ouvrage, j'avais conscience de l'importance du défi à relever. Ne disposant pas, dans mon exil, de moyens humains et matériels appropriés, je ne pouvais bénéficier d'aucune aide technique mettant à ma disposition archives, documents et textes de référence qui m'auraient grandement aidé à restituer tel ou tel moment, telle ou telle action, avec leurs références et leurs circonstances exactes. Je ne pouvais compter que sur ma mémoire et une documentation minimale que j'ai pu amasser ou retrouver durant mes longues années de solitude. Je sais qu'il n'y a jamais assez de mémoire fidèle et exacte. Même si certains détails factuels de mon témoignage peuvent être complétés, il n'en demeure pas moins que sur l'essentiel, à savoir le sens d'un engagement et la rectitude d'un itinéraire, j'ai essayé de restituer avec le maximum de fidélité les étapes qui ont jalonné ma vie de militant au service de la politique et du développement de mon pays. Bien sûr, tout n'est pas dit dans ce livre. D'abord parce que l'espace attribué n'y aurait pas suffi. Mais surtout parce qu'il se peut qu'il soit trop tôt pour divulguer certains secrets d'État ou des faits mettant en cause certaines personnalités. Les générations futures compléteront ce qui est en suspens derrière les lignes. 10 L'essentiel n'est pas là. Il est dans la sincérité mise à rassembler les feuillets épars de la mémoire pour restituer l'itinéraire d'un patriote et d'un militant qui, après avoir contribué à l'indépendance de son pays, s'est engagé, à divers postes de responsabilités, à assurer son développement et à lutter pour l'avènement d'une démocratie ouverte sur les exigences du temps présent. Ce livre s'inscrit dans la continuité de mon œuvre politique. Il est comme l'aboutissement mais aussi, je l'espère, un sémaphore qui indique à celui qui sait le déchiffrer, les raisons de continuer à espérer, malgré tous les récifs de la vie et les incertitudes de la condition humaine. PREMIÈRE PARTIE La braise et la cendre CHAPITRE I La Roche Tarpéienne Je définis la cour, un pays où les gens tristes, gais, prêts à tout, à tous, indifférents, sont ce qu 'il plait au Prince, ou s'ils ne peuvent l'être, tâchent au moins de le paraître, peuple caméléon, peuple singe du maître, on dirait qu 'un esprit anime mille corps ; c'est bien là que les gens sont de simples ressorts.[...] Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges, quelque indignation dont leur cœur soit rempli, ils goberont l'appât, vous serez leur ami. La Fontaine L'histoire de mon limogeage, mardi 8 juillet 1986, illustre de manière tragico-burlesque le vieil adage romain qui assure que la Roche Tarpéienne d'où l'on précipitait les condamnés n'était pas loin du Capitole, lieu emblématique de l'exercice du pouvoir. Ce jour-là, de retour de mon travail, j'étais installé devant le poste de télévision pour regarder, comme d'habitude, le journal télévisé de 20 heures. J'étais seul à la maison, mon épouse et mes enfants s'étant rendus chez mon beau-frère Férid Mokhtar dont on commémorait le quarantième jour du décès, dans un accident de la circulation. Le journal télévisé s'ouvre par une annonce lue d'une voix monocorde, par une speakerine impassible : « Le président Bourguiba a décidé de décharger M. Mohamed Mzali de ses fonctions de Premier ministre et de nommer M. Rachid Sfar au poste de Premier ministre ». Sans autre commentaire ! Bien sûr, j'étais ébahi de constater que Habib Bourguiba n'avait pas eu l'élégance de me convoquer pour me communiquer sa décision avant d'en autoriser la diffusion. Mais, à part la manière brutale et grossière adoptée, ce n'était pas à vrai dire une réelle surprise. Beaucoup de signes avant-coureurs avaient annoncé 15 ce revirement et prédit ce reniement pour que ce fait du prince constituât pour moi un motif de grand étonnement. Mon sens du fair-play, acquis tout au long d'une pratique sportive assidue, me poussa à téléphoner sans plus attendre à Rachid Sfar pour lui adresser mes félicitations, lui souhaiter de réussir dans sa nouvelle mission et fixer, avec lui, la cérémonie de passation des pouvoirs au lendemain, à dix heures. Mercredi matin, en quittant ma maison, j'eus la surprise de constater que les agents normalement affectés à la surveillance de la demeure du Premier ministre, avaient curieusement disparu au cours de la nuit. Ce manquement aux usages allait inaugurer toute une série de mesquineries indignes que l'on n'hésita pas à multiplier à mon encontre, par pure petitesse d'âme. Rachid Sfar, d'habitude si chaleureux et démonstratif lorsqu'il faisait partie de mon gouvernement - il était ministre de l'Économie -, fut glacial, presque hostile, allant jusqu'à me demander si les livres et le courrier personnels que je me proposai de reprendre avec moi, étaient bien à moi ou à l'État ! ! Je dus exciper les dédicaces de certains livres et la provenance de certaines lettres : Comité international olympique (CIO), Union des écrivains tunisiens, etc., pour rassurer ce cerbère ridiculement vigilant ! N'ayant pas eu de nouvelles de Bourguiba et désirant prendre congé de celui dont je fus un disciple proche et un compagnon d'une fidélité filiale uploads/Geographie/ mzali-un-premier-ministre-de-bourguiba-temoigne.pdf

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