L'Impensable Hasard Nicolas Gisin L'Impensable Hasard Non-localité, téléportati

L'Impensable Hasard Nicolas Gisin L'Impensable Hasard Non-localité, téléportation et autres merveilles quantiques Préface d'Alain Aspect © ÜDILE JACOB, SEPTEMBRE 2012 15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS 1 www.odilejacob.fr 1 ISBN: 978-2-7381-7869-5 Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2" et 3• a), d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction inté- grale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. PRÉFACE «Un coup de foudre!» Quand j'ai entendu Nicolas Gisin décrire ainsi son émotion lorsqu'il a pris connaissance du théorème de Bell, j'ai immédiate- ment revécu ce jour d'automne 197 4 où je me suis plongé dans une copie de l'article de John Bell, peu connu à l'époque, et où j'ai compris qu'il était possible d'apporter une réponse expérimentale au débat fondamental qui avait opposé Bohr et Einstein sur l'inter- prétation du formalisme quantique. Si quelques physiciens connais- saient le problème d'Einstein, Podolsky et Rosen (EPR), bien peu avaient entendu parler des inégalités de Bell, et guère plus nom- breux étaient ceux qui pensaient que les questions relatives aux fon- dements conceptuels de la mécanique quantique étaient dignes d'attention. L'article EPR, publié en 1935 dans la Physical Review, était facilement accessible dans les grandes bibliothèques, mais il n'en était pas de même de l'article de John Bell, paru dans une obscure revue nouvelle qui allait disparaître après seulement quatre numéros. À l'époque, pas d'Internet ni de bibliothèque en ligne, et la diffusion d'articles publiés ailleurs que dans les grandes revues reposait sur des photocopies. Je tenais la mienne d'un dos- sier qu'avait constitué un jeune professeur de l'Institut d'optique, Christian Imbert. Tombé sous le charme de l'article de Bell, je déci- dai que ma thèse porterait sur les tests expérimentaux des iné- galités de Bell, et Christian Imbert accepta de m'accueillir dans son laboratoire. 8 L'IMPENSABLE HASARD Dans l'article de Bell, d'une clarté impressionnante, j'identifiai ce qui constituait le défi ultime pour les expérimentateurs : modifier les orientations des appareils de mesure pendant que les particules « intriquées » se propageaient de la source aux zones de mesure, afin d'interdire par le principe de causalité relativiste - qui interdit aux effets physiques de se propager plus vite que la lumière - toute possibilité d'une influence de chacune de ces orientations sur le mécanisme d'émission, ou sur la mesure éloignée. Avec une telle expérience, on aurait la quintessence du conflit entre, d'une part, la mécanique quantique et, d'autre part, la conception du monde défendue par Einstein, le réalisme local : selon ce point de vue, on peut parler de la réalité physique d'un système localisé dans une zone finie d'espace-temps, et cette réalité physique ne peut pas être influencée (localité) par ce qui arrive à un deuxième système séparé du premier par un intervalle de l'espace-temps «du genre espace», situation dans laquelle les deux systèmes ne peuvent communiquer sauf à admettre l'existence d'influences se propageant plus vite que la lumière. Si l'expérience confirmait les prédictions de la mécanique quantique, il faudrait renoncer au réalisme local, vision du monde défendue de façon convaincante par Einstein. TI serait alors tentant de se demander s'il faudrait renoncer au réalisme ou à la localité. La remise en cause de la notion même de réalité physique ne me convainc pas, car il me semble que le rôle du physicien est de décrire la réalité du monde, et pas seulement d'être capable de pré- dire les résultats que donnent les appareils de mesure. Mais alors, si la mécanique quantique est confirmée - comme nous devons aujourd'hui l'accepter -, faut-il admettre l'existence d'interactions non locales, en violation apparente du principe de causalité relati- viste d'Einstein ? Et peut-on rêver d'utiliser cette non-localité quan- tique pour transmettre un signal utilisable (allumer une lampe, passer un ordre de bourse) plus vite que la lumière? C'est ici qu'entre en jeu une autre caractéristique spécifique de la mécanique quantique: l'existence d'un indéterminisme quantique fondamental, l'impossibilité absolue d'orienter le résultat d'une expérience parti- culière lorsque la mécanique quantique prédit que plusieurs résul- tats sont possibles. Certes la mécanique quantique permet de PRÉFACE 9 calculer avec précision les probabilités de ces divers résultats, mais elles n'ont de signification que statistique, l'expérience étant répétée un grand nombre de fois, et ne nous disent rien sur le résultat d'une expérience particulière. C'est le hasard quantique fondamental qui interdit la possibilité d'une communication plus rapide que la lumière. Parmi les nombreux livres ayant pour but d'expliquer au grand public les progrès récents en physique quantique, le livre de Nicolas Gisin tranche en mettant l'accent sur le rôle majeur de ce hasard quantique fondamental, sans lequel on pourrait imaginer un télé- graphe supraluminique. S'il devenait réalité, ce mythe de science- fiction exigerait une révision radicale de la physique que nous connaissons. Loin de moi l'idée qu'il y ait des lois physiques à tout jamais intouchables - bien au contraire, je suis intimement convaincu que toute théorie physique sera tôt ou tard supplantée par une théorie embrassant un champ plus vaste. Mais certaines d'entre elles sont si fondamentales que leur mise en cause deman- dera une révolution conceptuelle d'une ampleur inouïe, dont nous avons eu quelques exemples dans l'histoire de l'humanité mais dont on sait bien qu'elles sont tellement exceptionnelles qu'on ne peut les envisager sans souligner leur caractère extrême. Dans ce contexte, expliquer pourquoi la non-localité quantique, si extraordinaire soit- elle, ne permet pas de renverser la causalité relativiste qui interdit la communication supraluminique, me semble un point particuliè- rement important dans le livre de Nicolas Gisin. Que ce livre tranche, par rapport à d'autres ouvrages de vul- garisation, ne doit pas nous étonner puisque Nicolas Gisin a été un acteur majeur de la nouvelle révolution quantique qui s'est produite dans le dernier quart du xx< siècle. La première révolu- tion quantique, qui a bouleversé la physique au début du xx" siècle, était basée sur la dualité onde/particule. Elle a permis de décrire avec précision le comportement statistique des milliards de milliards d'atomes qui composent la matière, des nuées d'élec- trons qui conduisent le courant électrique dans un métal ou un semi-conducteur, du nombre tout aussi impressionnant de photons qui constituent un faisceau lumineux. Elle a fourni les outils de 10 L'IMPENSABLE HASARD compréhension des propriétés mécaniques des solides, alors que la physique classique était incapable d'expliquer pourquoi la matière, constituée de charges positives et négatives qui s'attirent, ne s'effondre pas sur elle-même. Elle a aussi donné une description quantitative précise des propriétés électriques et optiques des matériaux, et offert le cadre conceptuel pour décrire des phénomènes aussi surprenants que la supraconductivité ou les propriétés étranges de certaines par- ticules élémentaires. C'est encore dans le contexte de cette première révolution quantique que les physiciens ont inventé de nouveaux dispositifs - le transistor, le laser, les circuits intégrés - qui ont conduit à la société de l'information. Mais vers les années 1960, ils ont commencé à se poser deux nouvelles questions laissées de côté par la première révolution quantique : (1) Comment appliquer la physique quantique, dont les prévisions sont de nature statistique, à des objets microscopiques individuels ? (2) Les propriétés surpre- nantes des paires d'objets quantiques intriqués, décrites dans l'article EPR de 1935 mais jamais observées, correspondent-elles véritable- ment au comportement de la nature, ou se pourrait-il que l'on ait atteint une des limites de la mécanique quantique ? C'est la réponse à ces questions, d'abord donnée par les expérimentateurs, puis approfondie par les théoriciens, qui a lancé la nouvelle révolution quantique que nous sommes en train de vivre'. La question du comportement des objets quantiques indivi- duels a été l'objet de controverses toujours animées, et parfois vio- lentes, entre physiciens. Pendant longtemps, une majorité d'entre eux, et non des moindres, pensa que la question n'avait guère de sens, et en tout cas pas d'importance, car il n'était pas concevable d'observer un objet quantique individuel, et encore moins de le contrôler, de le manipuler. Citons par exemple Erwin Schrôdinger: « [ ... ] il faut dire que nous ne faisons pas plus d'expériences avec des particules uniques que nous ne pouvons élever des ichtyosaures dans un zoo2• »Mais, à partir des années 1970, les expérimentateurs sont devenus capables d'observer, de manipuler et de contrôler des 1. Les notes sont regroupées en fin d'ouvrage, p. 151 et suivantes. PRÉFACE 11 objets microscopiques individuels: électrons, atomes, ions. J'ai un souvenir toujours vif de l'enthousiasme des participants de la confé- rence internationale de physique atomique de Boston en 1980, lorsque Peter Toschek présenta la première photo d'un ion unique piégé, observable directement grâce aux photons de fluorescence qu'il réémettait uploads/Geographie/ nicolas-gisin-l-x27-impensable-hasard-non-localite-teleportation-et-autres-merveilles-quantiques-odile-jacob-2012 1 .pdf

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