Savoirs et patrimoines locaux. Des atouts pour le développement des arrière-pay

Savoirs et patrimoines locaux. Des atouts pour le développement des arrière-pays au Maroc ? Une contribution au débat sur la question du développement au Maroc Direction : Pr. Mohamed Berriane Préface : Pr. Omar Fassi-Fehri Académie Hassan II des Sciences et Techniques Km 4, Avenue Mohammed VI (ex Route des Zaers) Rabat, Royaume du Maroc © Hassan II Academy Press Dépôt légal : • ISBN : Réalisation : AGRI-BYS S.A.R.L. Achevé d’imprimer : octobre 2020 Imprimerie Lawne : 11, rue Dakar, Océan, 10040-Rabat, Maroc «Penser le développement» Les opinions exprimées dans cette publication n’engagent que leur auteur et ne représentent pas nécessairement celles de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques 3 Sommaire Préface……………………………………………………………………..........….......… Omar FASSI-FEHRI Introduction Quelle réponse peut apporter le terroir aux débats en cours sur le développement?……………………………………………...............… Mohamed BERRIANE, Geneviève MICHON Chapitre 1 Modèle de développement : La carte et le territoire……………………………....… Noureddine EL AOUFI Chapitre 2 Le terroir, la pluralité d’un concept porteur……………………………................… Grigori LAZAREV, Chapitre 3 La territorialisation de l’agriculture. Le nouvel ordre agraire du Plan Maroc Vert…………………………………….....… Mohamed AÏT KADI Chapitre 4 Dualisme agraire et produits de terroir……………………………………………...… Mohamed NACIRI Chapitre 5 Les produits de terroir ont-ils rempli leur rôle dans le développement des arrière-pays au Maroc ? Un bilan d’étape…………………………….............… Geneviève MICHON Chapitre 6 Les montagnes du Maroc central : Territoires en recomposition et offre publique de développement……………………………………………........… Mohammed ADERGHAL 5 7 23 33 43 57 69 95 4 Chapitre 7 Tourisme, disparités territoriales et transition touristique au Maroc : La nécessité d’un rééquilibrage par les arrière-pays et par un tourisme territorial……………………………………......................……… Mohamed BERRIANE Chapitre 8 Populations locales et développement du tourisme rural : L’appropriation des innovations, (Cas des oasis du Draa)…………................…… Nada OUSSOULOUS, Mohamed BERRIANE Chapitre 9 Nomades, oasiens et agrobusiness dans le Guir marocain. Dynamiques socio-territoriales d’un bassin à la marge………………..................... Abdelouahad OUFKIR, Mohamed BERRIANE Chapitre 10 Les limites d’une expérience de régulation de l’accès à une ressource communautaire. Le romarin dans le pays de Talsint, Haut Atlas Oriental……………………………………………................… Mohammed ADERGHAL, Bouchra KARROUD, Geneviève MICHON 125 157 185 219 185 Moulay Abdelouahad OUFKIR, Mohamed BERRIANE Introduction Le bassin du Guir est situé à l’extrême Sud-Est marocain (Figure 1), c’est une vaste marqueterie d’espaces en situation d’interface, une périphérie, ou, plutôt, un ensemble de périphéries par rapport à des centres divers. Il s’agit de marges, de confins, d’horizons, d’une aire de démarcation et d’interrelations poreuses aux extensions élastiques. Il s’agit aussi – en particulier aujourd’hui – d’une limite, d’un compartiment fermé vers l’étranger, cadenassé, verrouillé, muré. C’est un territoire frontalier, périphérique, marginal, fragile et dépendant, un des plus pauvres du Maroc, délaissé depuis longtemps. Sa marginalisation fut accentuée par les contraintes géopolitiques, mais aussi géographiques d’un milieu aride, présaharien, qualifié souvent de «fragile» voire de «non productif», c’est-à-dire faiblement générateur de surplus, et d’autosuffisance. L’aridité du climat y est intensifiée par la continentalité et les faibles potentialités hydrauliques accessibles. Au début du XXe siècle, la sédentarisation forcée des populations de la région, longtemps nomades, a intensifié son caractère «répulsif». Dans ces espaces vivent des populations qui aspirent, comme partout, au développement et au respect de leurs identités, fussent- elles composites (Pascon, 1971) et à géométrie variable (Oufkir et Miossec, 2019). Ce bassin a compté dans l’histoire contemporaine du Maroc, même si l’histoire ne s’en inquiète pas. Et il en va de même ainsi pour les villes, les villages, les ksour et les populations qui y vivent, et qui tinrent une place honorable dans les vieilles chroniques. Les Chapitre 9 Nomades, oasiens et agrobusiness dans le Guir marocain : Dynamiques socio-territoriales d’un bassin à la marge 186 Savoirs et patrimoines locaux. Des atouts pour le développement des arrière-pays au Maroc ? travaux de géographie régionale sont plus rares encore, quelques monographies coloniales incomplètes, redondantes, dépassées et sans intérêt scientifique. Jusqu’à maintenant, ce bassin est absent et peu connu aussi bien dans les médias que chez les scientifiques en raison de son éloignement et de sa marginalisation111. Cependant, des mutations récentes et brutales en cours dans ce territoire interpellent le chercheur et font émerger subitement la région, notamment suite au processus de déblocage des terres collectives. Figure 1 : Situation et limites géographiques du bassin versant du Guir En fait ce déblocage révèle des enjeux complexes et déclenche d’autres dynamiques socio-territoriales. Bien qu’à la marge, ce territoire est en pleines mutations. Il connait un certain regain d’intérêt, suscité par les avantages accordés par l’Etat à l’investissement agricole qui est exclusivement basé sur l’arboriculture et plus précisément celle du palmier dattier et de l’olivier. Ce développement agricole est un puissant stimulateur utilisé par l’Etat (pilier I et II du Plan Maroc Vert : PMV) pour attirer les investisseurs et inciter les populations oasiennes à se maintenir sur place. Mais la vie agricole de ce bassin désertique semi-aride voire aride et saharien par endroits, reposant sur l’activité agricole traditionnelle, combinée au nomadisme, constitue son fondement, et la culture oasienne (surtout du palmier dattier) est la base de sa vie économique. Cette vie agricole et nomade se trouve confrontée à un nouveau mode de production qui la bouscule et la questionne. La libéralisation du foncier collectif nous interroge sur le devenir de ce bassin qui vivait auparavant en «autarcie» et recroquevillé sur lui-même au moment où la mondialisation le culbute. Comment cette course effrénée à la production du profit et de 111- Sauf quelques mises au point rapides dans des travaux de synthèse à l’échelle de tout le territoire national (voir Troin et al, 2002). Chapitre 9 : Nomades, oasiens et... Moulay Abdelouahad OUFKIR, Mohamed BERRIANE 187 la «croissance» se nourrit-elle du déclin des structures ancestrales des oasis que sont la jmâa, la paysannerie oasienne et le nomadisme? Et puis ces changements étant profonds et brutaux qui profite réellement de ces mutations et à quel prix? Dans ce contexte, notre analyse ambitionne de partir du modèle de fonctionnement d’une société plus ou moins fermée sur elle-même et autarcique (première partie), pour ensuite suivre pas à pas l’ouverture brutale sur l’extérieur et l’arrivée des innovations, de la «modernité» et différents acteurs externes forçant le pays du Guir à s’engager dans des mutations supposées bénéfiques (deuxième partie). L’analyse des effets de ces mutations (troisième partie) montre qu’en fait la croissance enclenchée grâce à cette ouverture, si elle profite aux uns, s’accompagne du déclin pour les autres, alors que la modernité, le capitalisme et la diffusion de l’innovation sécrètent de nombreux laissés-pour-compte. Ce modèle de fonctionnement qui, partant de très bonnes intentions pour des mises en valeurs agricoles génératrices de revenus et de développement, aboutit à des situations de non-développement inattendues pour certains, interpelle l’observateur, alors que le Maroc est en pleins débats pour imaginer un nouveau modèle de développement. Notre analyse est conçue comme une modeste contribution à cette réflexion. 1. A l’origine une civilisation hydraulique, mais un équilibre précaire Le Guir est un élément de vie qui, grâce à ses eaux et aux limons qu’il dépose, a permis la fixation de populations depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Sur son parcours, un chapelet d’oasis de montagnes et de plaines verdoyantes agrémente le paysage et casse par endroits la monotonie de cette étendue semi-aride à saharienne. Le long de ce bassin, s’est développée au fil du temps une civilisation saharo-oasienne qui a pu s’adapter aux aléas de la nature pour survivre. Planche photo 1 : Oasis Ksar Aamer de Takoumit le long de l’oued Bouanane, affluent du Guir © A. Oufkir 188 Savoirs et patrimoines locaux. Des atouts pour le développement des arrière-pays au Maroc ? Une maîtrise de l’eau par diverses techniques et une symbiose avec la nature Le bassin du Guir a toujours fait coexister deux genres de vie : les oasiens sédentaires et les pasteurs nomades. Comme dans d’autres oasis, les premiers font preuve d’une maîtrise de l’eau pour créer les oasis, alors qu’à l’extérieur de ces dernières, les seconds se font remarquer par une adaptation remarquable aux contraintes de la nature. Dans les oasis, en général, et dans celles du Guir, en particulier, les paysans cultivateurs pratiquent une agriculture intensive localisée qui nécessite des disponibilités permanentes et suffisantes en eau. Cette ressource était, à l’origine, partagée équitablement entre les familles qui forment la tribu, mais aussi proportionnellement aux superficies cultivées et surtout en fonction du travail collectif fourni pour le creusement des ouvrages d’adduction et leur entretien. Depuis longtemps, les populations du bassin utilisent une judicieuse variété de systèmes traditionnels d’irrigation. Parmi les plus anciens systèmes utilisés il y a celui de la collecte des eaux du ruissellement superficiel par drainage à ciel ouvert. «Cette technique reste aléatoire et sa désaffection est synonyme d’une péjoration climatique» (Morel, 2008). En revanche, la technique de conservation saisonnière de l’eau dans des réservoirs aménagés dans le lit de l’oued afin de stocker les eaux de crues, parait plus évoluée. Celle-ci a cependant ses limites car à chaque forte crue, ces réservoirs sont emportés. C’est le cas aussi des barrages réservoirs. A l’inverse de ces derniers, les barrages de dérivations qui sont une technique des régions montagneuses et de uploads/Geographie/ nomades-oasiens-et-agrobusiness-dans-le 1 .pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager