société en classes entraîne une « propriété privée de l’histoire» sous forme de

société en classes entraîne une « propriété privée de l’histoire» sous forme de sa mythifi- cation. « L’histoire universelle est née dans les villes», car «l’histoire de la ville est l’histoire de la liberté», alors que «la liquidation de la ville» 5/ est la négation de cette liberté. L’évé- nement libre disparaît alors avec l’histoire dans le spectacle, au profit des leurres, simu- lacres et autres rumeurs: «Dans le spectacle, une société de classes a voulu, très systémati- quement, éliminer l’histoire 6/». Ce que con - somme la rhétorique postmoderne: «avec la destruction de l’histoire, c’est l’événement contemporain qui s’éloigne dans une distance fabuleuse, parmi des récits invérifiables, des statistiques incontrôlables, des explications invraisemblables et des raisonnements inte- nables», sa dissolution dans le «spectacle inté - gré», où réalité et fiction se confondent 7/ . « Si l’histoire doit nous revenir après cette éclipse 8/», après avoir été vaincue par le spec- tacle et l’ontologie, le postmoderne et le néopla- tonisme, le structuralisme et le spiritualisme, le spectacle contre l’histoire et l’ontologie contre le spectacle, la boucle sera bouclée: «Un État dans la gestion duquel s’installe durablement un grand déficit de connaissances historiques ne peut être conduit stratégiquement 9/ .» Dans ce monde unifié, «on ne peut s’exiler». Amer plaisir qu’on tire du voyage… «La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres »… Mélan colie classique: «Nous tournons en rond dans la nuit et le feu nous dévore» (In Girum Imus Nocte 10/), «environnés d’une sombre mé- lancolie» dans un «temps hors de ses gonds», qui ne jointe plus, écrasé entre déjà plus et pas encore, dans des villes sans peuples et des cités sans citoyens (ou des citoyens sans cités). Dès Potlatch, souligne une manière de vivre qui ne tend à s’exercer que dans le provisoire. Paradigme de la modernité Des interventions qui sont moins l’archive d’une nouvelle avant-garde que celle de son désœuvrement, «les traces d’un âge devenu d’or avec le temps qui a passé» (Vincent Kauf- man). Écrits mélancoliques, d’une mélancolie classique, y compris dans le style. Le spectacle: ce à quoi Debord s’est efforcé de se soustraire. La Renaissance fut « une rupture joyeuse avec l’Éternité». Le XVIIIe siècle fut celui de «la fin de l’époque de la résignation»: «Le mo- dernisme, essentiellement, veut changer le monde», et non plus seulement notre manière de le percevoir et de le représenter (ou inter- préter – Marx). La victoire de la bourgeoisie fut celle du temps historique, qui est aussi celui de la production économique transfor- mant en permanence de fond en comble la société (la révolutionnant): c’est le temps irré - versible de l’économie bourgeoise mondiale- ment unifié, où l’histoire devient effectivement universelle car le «temps irréversible unifié est celui du marché mondial, et corollaire- ment du spectacle mondial *1/». De cette épo - que, on peut dire que «tant de choses ont été changées, dans la surprenante vitesse des catas trophes […] que presque tous les repères et mesures ont été soudainement emportés avec le terrain même où était édifiée l’an- cienne société 2/» cf. Valéry. « Tout ce qui était absolu devient histo- rique 3/» (cf. Marx, tout ce qui était stable et so- lide…). L’histoire certes a toujours existé, mais pas toujours sous sa forme historique, conscience de l’historicité, de faire date ou épo - que (Kracauer). Temporalisation de l’homme, et humanisation du temps: «Le mouvement inconscient du temps se manifeste et devient vrai dans la conscience historique 4/» (de Bos- suet à Lukacs, en passant par Kant et Hegel). L’appropriation sociale du temps dans une Daniel Bensaïd Notes Debord-Baudrillard Comme Carnaval I et II «La culture saisie par la marchandise» et «Les métamorphoses des formes», textes inédits à notre connaissance, ces notes étaient classées dans un dossier intitulé «Fétichisme et spectacle», sujet sur lequel Daniel Bensaïd a travaillé jusqu’à la fin de sa vie… bien que convaincu qu’il ne pourrait le mener à bien en raison de son état de santé. Nous publions par ailleurs les notes Marcuse-Pérec retrouvées dans le même dossier. Paradigme de la modernité Le spectacle contre l’art Le spectacle urbain contre la ville Le spectacle, contre l’histoire Le spectacle, stade suprême du fétichisme Le spectacle comme aliénation absolue Éclipse de l’histoire, mutisme de la raison stratégique Avant-gardes sans révolutions Debord au-delà de Marx? Spectres de Debord Le simulacre stade suprême du spectacle 1 * Les citations de Guy Debord sont extraites du recueil de ses Œuvres, publiées chez Quarto Gallimard, avril 2006. La majorité des citations de ces notes a pu être vérifiée. Les italiques relèvent des auteurs. 1/ Œuvres, p. 830. 2/ Ibid., p. 1658. 3/ Ibid., p. 792. 4/ Ibid. p. 820. 5/ Ibid. p. 840-841. 6/ Ibid., p. 1592. 7/ Citations non précisées. 8/ Œuvres, p. 1636. 9/ Ibid., p. 1804. 10/ Film réalisé par Guy Debord, 1978. principe admis par tous était que justement il ne pouvait plus y avoir de poésie ni d’art; et que l’on devait trouver mieux» 19/ . L’Art est devenu un fétiche spectaculaire, qui fuit «le langage commun de l’inaction sociale » dès qu’il se constitue, en se dégageant du religieux (perte d’aura) un art indépendant au sens mo- derne et «une production individuelle d’œuvres séparées» (et appropriables de façon privative par le marché de l’art): «Son affirmation indé- pendante est le commencement de sa dissolu- tion 20/». Époque des musées et de la muséi - fication.: «L’Art à son époque de dissolution […] est forcément d’avant-garde, et il n’est pas. Son avant-garde est sa disparition 21/ .» Voir le sort de Dada, du surréalisme, du lettrisme… et du situationnisme. Les avant-gardes elles- mêmes sont condamnées à dégénérer en spec- tacle, à l’instar du surréalisme devenu un «supplément à la poésie et à l’art liquidés par le dadaïsme ». Comment dès lors estimer la valeur de l’Art alors que, dans un monde réel- lement inversé, le vrai est devenu un moment du faux. La critique d’art comme «spectateur spécialisé». Debord définit la culture comme «un complexe de l’esthétique, des sentiments et des mœurs: la réaction d’une époque sur la vie quotidienne 22/». L’action révolutionnaire dans la culture ne doit pas alors avoir pour but de traduire ou d’expliquer la vie, mais de «l’élargir» (interpréter ou transformer). Avec l’exploitation supprime les passions, gratifica- tions, compensations qui en sont le produit. Mythe de la page blanche ou de la table rase: définir de «nouveaux désirs» en fonction des possibilités effectives d’aujourd’hui. Création de valeurs et nouveaux seigneurs. Il définit aussi «la culture comme l’ensem- ble des instruments par lesquels une société se pense et se montre à elle-même 23/»: «La culture est la sphère générale de la connais- modèle dans lequel sont simultanément pré- sents des temps indépendants fédérés 15/». Dis- cordance des temps. Dans la société du spectacle au contraire l’individu devra se renier en permanence, car cette société postule « une fidélité toujours changeante», «une suite d’adhésions constam- ment décevantes à des produits fallacieux» 16/ . Intermittence destructrice qui contredit l’éloge de la discontinuité défendue dans Potlatch. Le spectacle (la culture et la démocratie culturelle – cf. Brossat) contre l’art ? « Notre temps voit mourir l’esthétique 17/. » «L’Art Moderne pressent et réclame un au-delà de l’Esthétique», une «agonie esthétique faite de répétitions formelles». Il est devenu impos - sible à l’art de maintenir sa prétention à une activité supérieure, ou même à une fonction de compensation à laquelle on puisse s’adonner honorablement. Le reflux révolutionnaire des années vingt, trente – puis cinquante! – est le reflux «des mouvements qui ont essayé d’affir- mer des nouveautés libératrices dans la cul- ture et dans la vie quotidienne» (surréalisme, psychanalyse). Déperdition des formes moder - nes de l’art et de l’écriture et «rupture sans retour avec la division du travail artistique». L’esthétique consistait à arracher au pensa- ble des fragments d’éternité (Proust) alors que l’ambition situationniste participe directement à « une abondance passionnelle de la vie » à travers «le changement de moments périssa- bles délibérément aménagés» 18/ . Vise à une «vision unifiée de l’art et de la po- litique» (à une praxis unifiée ! contre la séparation généralisée). Tout est politique? Mais c’est différent de la subordination propa - gandiste (réalisme socialiste) de l’art à la poli - tique car il n’y a plus ni d’art moderne ni de po- litique révolutionnaire constitués : «le seul Sentiment de transit, de l’éphémère, du péris- sable: d’une «conception non continue de la vie», comme suite d’instants (surréalisme) ou de perpétuels présents (postmodernisme). Mais amour alors proclamé d’une époque «aussi dure qu’elle doive être» «pour ce qu’on peut en faire 11/». Mais les années passent, «et nous n’avons rien changé 12/ ». La situation perçue comme moment dans la «dissolution» du temps. On «met l’accent sur le présent […] dans la mesure où le marxisme a pu formuler le projet d’une société où ‹le présent domine le passé›», mais un «présent qui connaît son inévitable disparition» et «con court à son rem- placement», et non pas un présent immobile, uploads/Geographie/ notes-debord-baudrillard-pdf.pdf

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