MENU Où en sommes-nous ? Une esquisse de l'Histoire humaine Affaires de famille

MENU Où en sommes-nous ? Une esquisse de l'Histoire humaine Affaires de familles... En librairie le 31 août 2017, cet essai très dense de 500 pages d'Emmanuel Todd aurait aussi bien pu s'intituler Où en suis-je ?. L'historien tire en effet le bilan de quatre décennies de recherches et montre de façon magistrale tout ce qui nous rattache à notre très lointain passé. Pour comprendre le néolibéralisme, l'islamisme, Trump et le Brexit, cherchez le chasseur-cueilleur ou le paysan du Néolithique qui sommeille en nous ! Dans cette course de fond à laquelle nous invite Emmanuel Todd, l'historien démarre très fort avec une centaine de pages sur le coeur de ses recherches : les structures familiales. Après cette excursion himalayenne, il nous ramène vers des paysages plus familiers et nous parle de la religion, du mariage et des femmes, du village, de l'école et même de l'Amérique de Trump. Qu'il nous soit donc permis d'exposer en premier lieu un résumé très sommaire de ses recherches sur les structures familiales. Nous présenterons ensuite quelques aspects de son analyse du monde actuel, par exemple sur le sort fait aux femmes selon la structure familiale dont elles ressortent et sur les conséquences heureuses et malheureuses de l'éducation. Pour ne pas gâcher votre plaisir, nous vous laisserons découvrir par vous-mêmes d'autres paradoxes et contre-intuitions d'Emmanuel Todd, par exemple sur les rapports entre la démocratie américaine et la question noire ou encore entre le triomphe du libéralisme et la violence carcérale aux États-Unis. André Larané Au commencement, Adam chassait et Ève cousait. Du moins le suppose-t-on. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs se partageaient les tâches dans une relative équité. Ils se devaient d'être très mobiles et, pour assurer la survie de l'espèce, s'en tenaient à une monogamie et une hétérosexualité modérées et non exclusives. Ils pratiquaient l'exogamie et se mariaient si possible hors de leur clan. Les enfants, sitôt qu'ils le pouvaient, quittaient leurs parents et allaient s'établir sur un territoire libre avec leur moitié. Cette famille nucléaire primitive a survécu à l'apparition de l'agriculture aussi longtemps que l'a permis l'environnement écologique. Puis, au IIIe millénaire avant notre ère, l'agriculture et la sédentarisation entraînant une rapide poussée démographique, certaines régions ont été saturées d'hommes et il a fallu apprendre à gérer la pénurie. Alors, de la Mésopotamie à la Chine, se sont mis en place des systèmes familiaux plus complexes. On vit d'abord émerger la famille-souche : l'aîné des garçons reste au foyer avec son épouse, entretient ses vieux parents et reçoit leur domaine en héritage (primogéniture). Les autres enfants reçoivent une maigre compensation et vont chercher fortune ailleurs. Dans le Sud-Ouest de la France, la prime à l'aîné - caractéristique de la famille-souche - déboucha au XVIIe siècle sur le phénomène bien connu des « cadets de Gascogne », illustré par d'Artagnan et les Trois Mousquetaires. Enfin, sous l'effet notamment d'invasions par des peuples nomades, on arriva à la famille communautaire : tous les garçons demeurent au foyer et se partagent à égalité l'héritage. Certains systèmes communautaires sont parfaitement exogames. D'autres sont farouchement endogames, les filles épousant dans la mesure du possible un cousin du premier degré. Loin de ces simplismes, Emmanuel Todd montre derrière ces trois catégories une multitude de sous-catégories et de cas d'espèce... La patrilinéarité, qui place les garçons au-dessus des filles et l'aîné au-dessus des cadets, retient tout particulièrement son attention car elle est associée au mépris des femmes. On la retrouve dans certaines sociétés de famille-souche et surtout dans les sociétés de type communautaire. Ayant étudié à Cambridge les systèmes familiaux paysans à travers les compte-rendus des anthropologues et des voyageurs, le chercheur a découvert fortuitement une « coïncidence entre la carte du communisme et la carte de la famille communautaire exogame - incluant la Russie, la Serbie, l'Albanie, la Chine, le Vietnam, l'Italie centrale et la Finlande intérieure. » Il en a déduit en 1983 « l'hypothèse d'une relation générale entre les systèmes familiaux paysans et les idéologies apparues durant le processus d'alphabétisation de masse des sociétés » (p. 444). C'est comme cela qu'au fil de ses publications, il a pu associer le communisme à la famille communautaire exogame Où en sommes-nous ? - Une esquisse de l'Histoire humaine - Herodote.net 1 sur 5 ... mais pas seulement - la religion : et les idéologies autoritaires non-égalitaires (fascisme, nazisme) à la famille-souche (Allemagne, Italie, Japon...). Quant à la famille nucléaire, elle s'est maintenue aux extrémités de l'Eurasie, dans les régions les plus tardivement atteintes par l'agriculture et l'écriture, aux Philippines comme dans le Bassin parisien, l'Angleterre et l'Amérique du nord. - L'anglosphère (Angleterre, Amérique du Nord, Australasie) se caractérise par la famille nucléaire absolue et non-égalitaire (les parents distribuent leur héritage selon leur bon vouloir) : Emmanuel Todd lui associe la démocratie libérale. - La famille nucléaire du Bassin parisien est quant à elle égalitaire (chaque enfant a la même part de l'héritage). Emmanuel Tood lui associe la « croyance en la liberté et l'égalité, culminant dans la notion d'homme universel », une croyance donc pas si universelle que cela, spécifique au Bassin parisien (p. 207). « La famille nucléaire absolue, libérale mais non-égalitaire, est commune à toutes les nations de l'anglosphère. (...) Elle n'est pas, comme la famille nucléaire égalitaire française, ou la famille communautaire russe ou chinoise, obsédée par un idéal d'égalité a priori et l'on comprend donc qu'une certaine montée des inégalités économiques [à partir des années 1980] n'ait pas affolé l'Amérique. Mais la famille nucléaire absolue ne définit pas non plus les hommes comme inégaux, à la manière de la famille-souche allemande ou japonaise » (p. 309). Emmanuel Todd montre que ces structures familiales, héritées pour la plupart d'un très lointain passé, continuent de marquer les comportements sociaux-culturels dominants. Dans le monde musulman, fortement marqué par un modèle communautaire endogame, on observe encore la prévalence du mariage entre cousins (jusqu'à 50% de mariages entre cousins du premier degré au Pakistan) (*). On peut être légitimement surpris par la résilience de ces comportements alors que les structures familiales correspondantes ont depuis longtemps disparu (il n'y a pas de famille communautaire à Moscou, Pékin ou au Caire) et que les populations ont beaucoup changé du fait des migrations, au cours des derniers millénaires. Mais Emmanuel Todd s'en explique en opposant les « valeurs individuelles faibles » aux « valeurs collectives fortes » : chacun de nous peut en privé émettre une opinion dissidente mais rares sont ceux qui la maintiendront en public au risque de s'exclure de la communauté. Difficile de résister à la pression du groupe. Par conformisme et nécessité, la plupart des gens s'ajustent à leur environnement... L'historien convient aussi que les systèmes familiaux hérités du Néolithique ancien peuvent évoluer lentement, en s'approfondissant ou en s'atténuant sous l'effet de différents facteurs. À côté de la famille, il distingue deux autres déterminants historiques majeurs : la religion et l'éducation. Les religions actuelles, apparues pour les plus anciennes au premier millénaire av. J.-C., ont beaucoup contribué à formater les sociétés, avec une vocation commune : relier les hommes du groupe auquel elles s'adressent, les sortir de leur solitude, les réconforter par la mise en commun des épreuves. Provocateur et peu avare de paradoxes, Emmanuel Todd suggère en se référant à l'historien Rodney Stark que « la loyauté interne du groupe est la vraie récompense de l'individu croyant. Cette gratification est immédiate, plus sûre et tangible que la promesse de l'au-delà. » Ainsi comprend-on que le peuple juif « n'a pas persisté dans l'histoire malgré la persécution mais par la persécution » (p. 133). En bousculant les pratiques gréco-romaines en matière sexuelle et familiale, judaïsme et christianisme vont affecter les structures familiales, que celles-ci soient nucléaires, souches ou communautaires : « Le judaïsme s'était opposé à des pratiques sexuelles et familiales gréco-romaines relatives laxistes (...). La moralité juive condamne l'adultère, l'homosexualité et l'infanticide. (...) Le christianisme a repris cet héritage. Il a converti le monde gréco-romain à une morale familiale de type juif, protectrice des enfants. (...) Mais l'Église va plus loin que les rabbins, ou plutôt, ailleurs : la sexualité elle-même est définie comme mauvaise. (...) Ici, nous pouvons parler d'une religion radicalement innovatrice : la définition de l'homme et de la femme chastes comme supérieurs, en essence, aux couples mariés qui assurent la reproduction de l'espèce, est une mutation d'une très grande violence » (p. 129). Plus important encore : « la culture juive semble avoir pratiqué, comme celle de Rome et de bien d'autres populations, une exogamie de fait, qui, sans interdire les mariages entre cousins, les évitait en général » (p. 121). La prohibition de l'endogamie et du mariage entre cousins va être reprise et accentuée par l'Église. Saint Augustin lui-même définit l'exogamie « comme un indispensable agent d'extension des liens sociaux entre les hommes » (p. 127). Cette exogamie, associée à un statut élevé de la femme, va générer une rupture profonde et décisive entre l'Europe chrétienne et ses voisins, encore dominés par la patrilinéarité : on privilégie l'aîné dans les familles, au détriment des uploads/Geographie/ ou-en-sommes-nous-une-esquisse-de-l-x27-histoire-humaine-d-x27-emmanuel-todd-compte-rendu-herodote-net-4-sept-2017.pdf

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