10/10/2021 12&54 Qui a tué Berta Cáceres ?, par Cécile Raimbeau (Le Monde diplo

10/10/2021 12&54 Qui a tué Berta Cáceres ?, par Cécile Raimbeau (Le Monde diplomatique, octobre 2016) Page 1 sur 6 https://www.monde-diplomatique.fr/2016/10/RAIMBEAU/56454 RUÉE VERS LA « HOUILLE BLANCHE » EN AMÉRIQUE CENTRALE Qui a tué Berta Cáceres ? L’assassinat de Berta Cáceres le 3 mars dernier au Honduras a suscité une vague d’indignation. Ce meurtre s’ajoute à celui de nombreux militants amérindiens et écologistes opposés aux barrages hydroélectriques qui prolifèrent en Amérique centrale. Sous prétexte d’accompagner la « transition énergétique », les bailleurs internationaux sont peu regardants sur la nature des projets et les intérêts en jeu. UN REPORTAGE DE CÉCILE RAIMBEAU 4 traductions «O N veut du travail et du développement ! » En ce jour d’avril 2016, une vingtaine de paysans brandissent leurs machettes autour d’un meneur, le pistolet à la ceinture. Face à eux, des Amérindiens Lencas, accompagnés d’écologistes de diverses nationalités, tentent de se rendre sur le site du barrage Agua Zarca. Ils veulent poursuivre le combat de Berta Cáceres, honorée par le prix Goldman pour l’environnement en 2015 et assassinée un an plus tard, ou celui de Nelson García, tué quinze jours après elle. Bientôt, la délégation internationale doit reculer pour échapper aux lames menaçantes et aux jets de pierres. Les policiers demeurent immobiles. La scène se déroule à San Francisco de Ojuera, dans l’ouest du Honduras. Elle offre une nouvelle illustration de la collusion ordinaire entre les forces de l’ordre et les soutiens de l’entreprise hydroélectrique Desarrollos Energéticos SA (DESA). Depuis que le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (Copinh) — créé en partie sous l’impulsion de Berta Cáceres — proteste contre ce projet de barrage, on observe une militarisation de la zone et un harcèlement policier. Les arrestations arbitraires deviennent monnaie courante. En 2009, moins de deux mois après le coup d’État militaire (soutenu par la droite) ayant renversé le président Manuel Zelaya (1), le Honduras a adopté la loi générale des eaux, qui autorise l’octroi de concessions sur un tiers des ressources en eau du pays. Moins d’un an plus tard, quarante étaient déjà accordées... et les assassinats ciblés de protestataires se multipliaient. En six ans, cent neuf Honduriens ont été tués pour avoir pris position contre des projets de barrage hydroélectrique, d’exploitation minière, forestière ou agro-industrielle (2). Ce bilan n’est pas propre au pays : au moins quarante défenseurs de rivières ont été assassinés en dix ans dans toute l’Amérique centrale, selon le Mouvement mexicain des personnes affectées par les barrages et de défense des rivières (Mapder) (3). En octobre 2014, Atilano Román Tirado, le dirigeant d’un mouvement d’agriculteurs mexicains déplacés par le barrage Picachos, était abattu. Il présentait son émission de radio, et ses auditeurs ont pu entendre les coups de feu en direct. Au Guatemala, où le gouvernement du président Otto Pérez Molina a été contraint à la démission en septembre 2015 à la suite d’un vaste scandale de corruption, on compte au moins treize morts, dont > Octobre 2016 > , page 13 10/10/2021 12&54 Qui a tué Berta Cáceres ?, par Cécile Raimbeau (Le Monde diplomatique, octobre 2016) Page 2 sur 6 https://www.monde-diplomatique.fr/2016/10/RAIMBEAU/56454 deux enfants de l’ethnie maya q’eqchi’ originaires du village de Monte Olivo. Ici comme ailleurs dans la région, l’oligarchie est la principale bénéficiaire de cet emballement pour la « houille blanche » (l’énergie hydroélectrique), encouragé par les prêts de banques internationales — Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement (BID) et Banque centre-américaine d’intégration économique (BCIE) — et les filiales des agences de coopération européennes qui se consacrent au soutien du secteur privé des pays du Sud : la française Proparco (filiale de l’Agence française de développement), l’allemande DEG, la néerlandaise FMO… Ces organismes d’économie mixte n’hésitent pas à s’allier plus ou moins discrètement avec des fonds de pension et des multinationales, à travers des montages complexes. Barrages controversés en Amérique centrale CÉCILE MARIN APERÇU Facilitées par des pratiques clientélistes et spéculatives, les concessions se multiplient, si bien que les projets hydroélectriques pullulent dans toute l’Amérique centrale : cent onze au Panamá, une soixantaine au Costa Rica, plus d’une trentaine au Nicaragua, au moins quarante au Honduras, une vingtaine au Salvador, plus d’une cinquantaine au Guatemala et au Mexique... Prévus ou en cours de construction, tous ces barrages font partie d’un vaste programme d’intégration régionale : le projet Mesoamérica (PM), version plus présentable du controversé plan Puebla-Panamá (4), qui prétendait combattre les inégalités en renforçant la libéralisation des échanges grâce au développement massif des infrastructures régionales. Ce nouveau programme promeut l’énergie dite « renouvelable » au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Il s’agit de connecter cette multitude de centrales 10/10/2021 12&54 Qui a tué Berta Cáceres ?, par Cécile Raimbeau (Le Monde diplomatique, octobre 2016) Page 3 sur 6 https://www.monde-diplomatique.fr/2016/10/RAIMBEAU/56454 hydroélectriques à la nouvelle ligne à haute tension de 1 800 kilomètres qui traverse six pays, du Panamá au Guatemala. Ce Système d’interconnexion électrique des pays d’Amérique centrale (Siepac) compte la transnationale italo-espagnole Endesa-ENEL parmi ses actionnaires. À ses côtés, les compagnies nationales d’électricité des pays concernés, toutes en voie de privatisation... « L’objectif est de promouvoir un marché électrique régional, compétitif, ouvert aux entreprises du secteur électrique de chaque pays, qu’elles soient productrices ou distributrices d’énergie », nous explique M. Giovanni Hernandez, le secrétaire exécutif de la Commission régionale d’interconnexion électrique (CRIE), l’organisme régulateur de ce marché, basé dans la ville de Guatemala. En autorisant l’importation et l’exportation de l’énergie d’un pays à l’autre, ce grand marché de l’électricité doit « servir la croissance économique dans un schéma “gagnant-gagnant” ». La logique de cet équilibre serait évidente : la compétition entre acteurs privés garantirait de meilleurs services à des tarifs plus avantageux pour les usagers. Des barrages au cœur des terres indigènes Ne voyant pas ces promesses s’accomplir, les opposants aux barrages des pays traversés par le Siepac s’inquiètent des abandons de souveraineté qu’engendrent ces concessions : si l’on met à part le Costa Rica, où les mouvements sociaux se battent depuis une vingtaine d’années pour préserver le secteur public, environ 80 % de la production d’électricité d’Amérique centrale est déjà privatisée. Des sociétés transnationales (AES, ENEL, Gas Natural Fenosa, TSK-Melfosur, Engie, etc.) et régionales (Grupo Terra, Lufussa) ont conquis les plus importantes parts de marché aussi bien dans la distribution que dans la production d’électricité (5). Au Guatemala, où la privatisation du secteur de l’énergie a été subordonnée à la reconstruction après la fin de la guerre civile en 1996, de nombreux paysans ne peuvent plus payer leurs factures d’électricité, bien qu’ils n’utilisent que deux ou trois ampoules par foyer. « Leur note s’élève à plus de 20 % de leur salaire, observe Mme Thelma Cabrera, la présidente du Comité de développement paysan (Codeca). En vingt ans, le prix du kilowattheure a augmenté au point de devenir le plus cher de toute l’Amérique centrale et de beaucoup de pays d’Amérique latine. » En 2015, l’entreprise Energuate (du groupe britannique Actis) facturait le kilowatt-heure à environ 25 centimes de dollar, soit 2,5 fois plus que le prix moyen pour les particuliers dans les autres pays d’Amérique centrale. Pour protester contre cette situation et exiger la renationalisation des services électriques, les membres du Codeca refusent de payer, tout en se connectant clandestinement au réseau. Les trois principaux mouvements guatémaltèques de résistance à ces hausses tarifaires s’exposent ainsi à la répression. Entre 2012 et 2014, 97 personnes ont été incarcérées, 220 blessées, 17 tuées. La plupart lors de manifestations (6). Si les privatisations n’ont pas encore généré les baisses tarifaires escomptées, la multiplication des barrages « devrait y contribuer », assure à son tour M. Luis Manuel Buján Loaiza, le directeur financier de l’entreprise propriétaire du réseau Siepac (EPR), installée à San José, capitale du Costa Rica. « L’hydroélectricité est pour l’heure l’énergie la moins chère à produire, ce qui devrait à terme se répercuter sur les factures des usagers. » Néanmoins, le cas du Costa Rica fournit un nouveau contre- exemple : dans ce pays où 67 % de l’électricité produite était déjà d’origine hydraulique en 2014, les tarifs ont grimpé jusqu’en 2013, puis sont restés parmi les plus élevés de la région, spécialement pour les particuliers (7). Dans la foulée du Guatemala, premier exportateur d’électricité d’Amérique centrale, le Costa Rica 10/10/2021 12&54 Qui a tué Berta Cáceres ?, par Cécile Raimbeau (Le Monde diplomatique, octobre 2016) Page 4 sur 6 https://www.monde-diplomatique.fr/2016/10/RAIMBEAU/56454 s’engage sur cette voie au mépris des populations locales, qui n’en tirent aucun bénéfice, doivent être déplacées ou voient leur environnement bouleversé. Déjà autosuffisant avec 97 % de son électricité fournie grâce aux énergies renouvelables, ce pays entend construire le plus grand barrage de la région, pourvu d’un réservoir couvrant plus de 6 800 hectares, sur le territoire des Amérindiens Térraba. « De par sa taille, ce projet baptisé El Diquís émettra une telle quantité de méthane — un gaz à effet de serre émanant de la décomposition de la végétation tropicale inondée — qu’il est difficile de le considérer comme plus écologique qu’une centrale thermique », souligne uploads/Geographie/ qui-a-tue-berta-caceres-par-cecile-raimbeau-le-monde-diplomatique-octobre-2016.pdf

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