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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/346414417 Réminiscences nostalgiques : la lumière et le Rien dans les marines de Claude Lorrain Article · October 2020 DOI: 10.14712/23366729.2020.3.1 CITATIONS 0 READS 4 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Vers une poétique de l'imaginaire: Diderot et Watteau View project La figure du singe View project Katalin Kovacs University of Szeged 40 PUBLICATIONS 2 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Katalin Kovacs on 13 January 2021. The user has requested enhancement of the downloaded file. Réminiscences nostalgiques : la lumière et le Rien dans les marines de Claude Lorrain Katalin Bartha-Kovács Université de Szeged NOSTALGIC REMINISCENCES: LIGHT AND NOTHING IN MARINE PAINTINGS BY CLAUDE LORRAIN The article focuses on the analysis of notions of reminiscence and nostalgia through the example of Claude Lorrain’s marine paintings. Unlike the Arcadian landscapes of his contemporary Nico­ las Poussin, these often do not evoke concrete myths, but inspire less obvious reminiscences in the viewer. Lorrain’s paintings can be conceived therefore as allegories of nostalgia, a category that the article approaches with the help of that of Nothing. It aims to show that it is through the particular light effects that Lorrain’s landscapes and marine paintings suggest a sense of timeless and nostal­ gic reminiscences to the viewer. KEYWORDS: Claude Lorrain; marine painting; light; reminiscence; Nothing MOTS-CLÉS : Claude Lorrain ; marine ; lumière ; réminiscence ; Rien DOI https://doi.org/10.14712/23366729.2020.3.1 « Je n’avais jamais passé un tel automne, je n’aurais jamais cru non plus que pareille chose fût possible sur la terre : un Claude Lorrain à l’infini, chaque jour de la même perfection effrénée. » (F. Nietzsche1) En quoi consiste le pouvoir de séduction si fort des paysages lumineux de Claude Lorrain (1600–1682), en particulier de ses scènes de port éclairées par le soleil levant ou couchant auquel, parmi d’autres peintres et écrivains de toutes époques, le phi­ losophe Friedrich Nietzsche était si sensible ? L’expression « perfection effrénée », qui figure à la fin de la citation mise en exergue de cet article, rend compte de l’état 1 Nietzsche, F. (1997 [1908]) : Ecce Homo. Trad. A. Vialatte. Paris : Union Générale d’Édi­ tions, p. 31. OPEN ACCESS 16 SVĚT LITERATURY / LE MONDE DE LA LITTÉRATURE de ravissement du philosophe allemand qui, en septembre 1888, venait de terminer la préface de son Crépuscule des Idoles. La légende selon laquelle Nietzsche, qui n’ai­ mait d’ailleurs guère la peinture, aurait fondu en larmes devant un tableau (non pré­ cisé) de Claude Lorrain est également révélatrice, même si les toiles de l’artiste l’ont incité à pleurer parce que celles-ci parvenaient à évoquer « tout l’art bucolique des Anciens2 ». Bien qu’il s’agisse là de légendes qui se basent sur des témoignages peu fiables, elles ne sont probablement pas nées par hasard. Effectivement, les tableaux à tona­ lité lyrique de Claude Lorrain — de son véritable nom Claude Gellée, originaire de la région lorraine — sont tous des paysages idéalisés. C’est également ce sentiment qu’expriment les propos de Goethe, rapportés par son disciple et secrétaire person­ nel Johann Peter Eckermann. Celui-ci se dit saisi de « ravissement » à la vue des paysages de Claude Lorrain que le poète lui a montrés et qu’il a qualifiés comme étant « de la vérité la plus haute, mais sans la moindre trace de la réalité », de ma­ nière à ce que « la vérité qui paraît donne l’illusion de la réalité3 ». On pourrait citer de nombreux autres exemples, anglais ou français, de collectionneurs et d’artistes (dont William Turner ou John Constable) qui s’enthousiasmaient, à partir de la fin du XVIIe siècle, pour l’art de Claude Lorrain : le fait que dans la littérature critique anglophone, le peintre est en général mentionné par son seul prénom est un signe évident de sa popularité. Comme en témoigne sa réception contemporaine aussi bien que sa fortune cri­ tique, Claude Lorrain est considéré à juste titre comme le maître français de la pein­ ture de paysage au XVIIe siècle4. Dans les écrits sur l’art des siècles classiques, il se voit souvent comparé à son contemporain Nicolas Poussin, mais les auteurs de ces textes insistent tout aussi bien sur les différences de leurs conceptions artistiques. Si l’art de ces deux peintres s’est développé non pas en France mais dans leur pays d’élection, en Italie, contrairement aux paysages explicitement arcadiens de Poussin, les ma­ rines de Claude Lorrain inspirent au spectateur des réminiscences moins évidentes. Il est certainement possible de les rapprocher de l’univers bucolique d’Arcadie, mais il nous semble que ses toiles, semblables à des visions poétiques, peuvent être conçues davantage comme des allégories de la nostalgie. Dans ce qui suit, nous aborderons la notion de nostalgie, étroitement rattachée à celle de réminiscence, à l’aide de la catégo­ rie de Rien pour montrer que c’est grâce à leurs effets de lumière particuliers que les paysages et marines de Claude Lorrain suggèrent au spectateur des réminiscences nostalgiques. 2 Cette anecdote est rapportée par Jimenez, M. (1997) : Qu’est-ce que l’esthétique ? Paris : Gal­ limard, p. 281. 3 Goethe, J. W. (1862) : Entretiens de Goethe et d’Eckermann. Pensées sur la littérature, les mœurs et les arts. Trad. J. Chuzeville. Paris : Claye, pp. 233–234. 4 Parmi les écrivains romantiques français, Chateaubriand évoque, en rapport avec l’art des maîtres du paysage, le nom de Claude Lorrain dans son Voyage d’Italie. Voir Cseppentő, I. (2015) : « Les Lettres d’Italie de Chateaubriand : portrait de l’écrivain en paysagiste », Épis­ tolaire : Revue de l’A.I.R.E, 41, pp. 59–68. OPEN ACCESS katalin bartha-kovács 17 NOSTALGIE ET RÉMINISCENCE : AUTOUR DU MYTHE ARCADIEN Avant d’analyser ces notions dans le contexte pictural, une remarque lexicographique succincte, sur la base des dictionnaires (généraux et spécialisés) de l’époque clas­ sique, s’avère bien utile : elle sera suivie de l’examen de la présence de l’artiste dans quelques écrits biographiques. Il convient de noter que le mot « nostalgie » a été forgé du vivant du peintre (à partir des éléments grecs nóstos, signifiant « retour », et álgos, au sens de « mal, dou­ leur »), en 1678 par le médecin suisse Jean-Jacques Harder, pour désigner le « mal du pays » (le Heimweh) dont souffraient les mercenaires suisses de l’armée de Louis XIV5. Il s’agissait donc originairement du nom d’une maladie causée par l’éloignement spa­ tial du pays natal, mais le champ sémantique du terme s’est élargi ensuite, et celui-ci a fini par désigner un état de tristesse provoquée par la distance temporelle, une sorte de regret des temps anciens, un désir de retour dans le passé. Quant à la lexicalisa­ tion du terme « nostalgie », il n’entre qu’en 1777 dans le supplément à l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert, mais le tome huit de ce même ouvrage (publié en 1765) contient un article « Hemvé » (sic !), de la plume du chevalier de Jaucourt, qui précise que le mot désigne « par périphrase la maladie du pays6 ». Le terme « réminiscence » se voit défini dans le Dictionnaire Universel d’Antoine Furetière en tant que « [m]émoire qui revient des choses passées et oubliées7 ». Cette définition condense les éléments susceptibles d’entrer dans le champ notionnel de la réminiscence, sans pour autant développer leur rapport. L’Encyclopédie est bien plus précise là-dessus lorsqu’elle définit la réminiscence comme une perception « ayant déjà affecté l’âme8 ». Ce terme se retrouve aussi dans un autre article, consa­ cré à quatre mots considérés comme synonymes : « mémoire, souvenir, ressouvenir, réminiscence » qui expriment « l’attention renouvelée de l’esprit à des idées qu’il a déjà aperçues9 ». Cependant, alors que la mémoire et le souvenir sont des actions de l’âme résul­ tant de « l’attention libre de l’esprit à des idées qu’il n’a point oubliées », dans le cas du ressouvenir et de la réminiscence — qui révèlent une « attention fortuite à des idées que l’esprit avoit entierement oubliées & perdues de vûe » —, l’âme reste passive10. Lors de la perception des phénomènes tant naturels qu’artificiels, 5 Cassin, B. (2015) : La Nostalgie. Paris : Fayard/Pluriel, p. 17 et Bene, K. (2017) : « Simulation et dissimulation dans les récits autobiographiques des membres hongrois de la Résistance française », Écho des études romanes, XIII, 2, pp. 161–168. 6 Jaucourt, L. de : Article « Hemvé » (1765). In Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1966–1995 [1751–1780]). Éd. D. Diderot — J. le Rond d’Alembert. Stuttgart/Bad Cannstatt : Friedrich Frommann, t. 8, p. 129. (Désormais : Encyclopédie.) 7 Furetière, A. (1702 [1690]) : Dictionnaire Universel. La Haye/Rotterdam : Arnoud & Leers, t. 3, s. p. 8 Jaucourt, L. de : Article « Réminiscence » (Métaphysique) (1765). In Encyclopédie, t. 14, p. 94. 9 Beauzée, N : Article « Mémoire, souvenir, ressouvenir, réminiscence » (1765). In Encyclo­ pédie, t. 10, p. 326. 10 Ibidem. Il est frappant de uploads/Geographie/ reminiscences-nostalgiques-la-lumiere-et-le-rien-d.pdf

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