HISTORIENS ET GEOGRAPHES N°267 –Février 1978 APRÈS LES ÉTATS GÉNÉRAUX Par Jean

HISTORIENS ET GEOGRAPHES N°267 –Février 1978 APRÈS LES ÉTATS GÉNÉRAUX Par Jean Peyrot* *Président de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie Dans l'histoire de l'Association, les Etats Généraux sont sans précédent. Ils ne seront pas sans lendemain. Dans diverses Régionales, des comptes rendus ont été faits. La presse, de son côté, en a diversement parlé. Cette diversité d'ailleurs, ne saurait surprendre ni les historiens, ni ceux qui ont quelque pratique de la presse. Un numéro spécial de la Revue sera consacré à ces Etats Généraux. En attendant cette parution, j'indiquerai, dès maintenant, quelques appréciations. Les Etats Généraux sont nés de la volonté, pour nous défendre et promouvoir un enseignement adapté à notre temps, d'interpeller l'opinion dans le procès tendancieux qui nous est fait depuis plusieurs années et qui, je le crains, ne cessera pas dès demain. Il était nécessaire de confronter nos réflexions avec d'autres partenaires. Il n'y a pas eu de révélations fracassantes, de plan miracle. Les amateurs de sensationnel ou d'excentricités, qui seules accrochent l'attention, n'y ont pas trouvé pâture. Rien de ce qui a été dit, qui n'ait déjà été entendu dans notre Association, au moins pour des oreilles attentives. Le Conseil de Gestion a tiré et tirera encore les leçons de l'expérience, en tenant compte des buts fixés, du temps et des moyens dont nous disposions. Le bilan est largement positif. Rassembler autour de l'Histoire- Géographie, plus de deux cents personnes dont près de la moitié n'était pas des professeurs d'histoire- géographie, n'est pas un mince résultat. Dans les commissions, les débats ont été animés, allant dans certains cas jusqu'à l'affrontement : ce qui est signe de vitalité. Que dirait-on d'une association monolithique? Le festival de films pouvant servir à l'histoire -géographie projetés en continu du samedi au dimanche soir (je souhaiterai qu'ils puissent être présentés dans les Régionales) n'avait rien du statu quo. L'exposition, qui emplissait l'atrium des amphithéâtres de la Sorbonne, toute disparate et incomplète qu'elle fût, témoignait aussi de la fécondité de nos disciplines. Quant aux propos qui ont été tenus, vous jugerez sur pièces dans le numéro spécial de la Revue. Si nous demandons un enseignement d'histoire et géographie pour tous avec des horaires appropriés, ce n'est pas pour y faire de l'ancien, de l'encyclopédisme, du cours dicté... car nous savons bien que nous affrontons une triple évolution, celle des matières, celle des méthodes, celle des élèves. Nous voulons des matières renouvelées par l'apport scientifique et cette ouverture à d'autres disciplines, économie, sociologie, aménagement du territoire... qui caractérisent l'histoire et la géographie dans ce qu'elles ont de plus créateur. Pour répondre à la diversité des classes, des formations des enseignants et des centres d'intérêts locaux et régionaux, nous demandons que soit laissée à chaque professeur ou au mieux à chaque équipe d'établissement la liberté de trier dans les programmes, des points forts, la contrepartie de cette liberté de choix raisonné consistant à déterminer année par année les concepts fondamentaux à assimiler, les techniques à posséder, bref une sorte de corpus national, un noyau nécessairement rudimentaire. En même temps doit être reconnue la liberté des méthodes pédagogiques adaptées aux classes et aux objectifs (exposé magistral, travail indépendant, audio-visuel) tout en sachant bien que chaque méthode implique une relation péda- gogique différente et modifie les objectifs. Nous demandons que dans l'école élémentaire, qui devrait être mieux articulée avec le Premier Cycle, soit programmée une découverte du temps qui coule et de l'espace qui soit autre chose qu'un vague éveil répété année après année sur le seul environnement immédiat. Nous demandons que dans les sections techniques ou professionnelles, où l'accumulation des savoirs accable les corps et les esprits, l'histoire et la géographie soient une pause culturelle, un havre d'apprentissage de la réflexion sur le monde contemporain et d'acquisition du langage permettant de comprendre ce monde. Elles ne doivent plus être considérées comme une fantaisie récréative, une charge inutile, ainsi qu'elles le sont trop souvent par l'Administration, le corps enseignant, les pa- rents, les élèves. Ces propositions n'ont rien de sensationnel, j'en conviens. Nous ne visons ni une autre planète, ni un horizon lointain. Elles sont réalisables puisqu'elles sont déjà parfois, mais trop isolément, réalisées. Il suffirait de les généraliser et de prévoir en conséquence les formations initiales et continuées. Mais sur ces deux points-clé des formations, tout est présentement bloqué, dans la confusion et le marasme. Et ce qui se passe en 6e et ce qui se prépare en 5° montre que, dans la réalité, on tourne le dos à ces objectifs. Qui enseigne quoi, à qui, comment et pour quoi faire? Voilà la question-complexe à laquelle il faut toujours revenir. Jusqu'ici on s'est surtout préoccupé du « quoi », du « comment » et éventuellement du « pour quoi ». La mise en place des 6e et 5e vient de rappeler que les deux principaux interrogatifs sont « qui » et « à qui ». Les programmes sont fignolés. Mais qui va les mettre en œuvre et à qui s'adressent-ils? La plus belle partition ne sert à rien s'il n'y a pas les interprètes et les instruments pour la jouer. Le prochain Comité de mai étudiera cette question des 6e. Nous disposerons alors de bilans assez complets sur l'expérience. Mais d'ores et déjà on peut dégager quelques points qui ne seront pas infirmés d'ici la fin de l'année. Toutes les disciplines sont concernées, mais les nôtres tout particulièrement. Apparemment c'est satisfaisant : une moyenne d'élèves par classe abaissée, la gratuité du manuel, le regroupement dans les mêmes classes de tous les enfants. Mais en réalité, les constatations sont tout autres. Notre enseignement est prévu pour s'adresser collectivement à un groupe homogène. Les 6e de 1978 sont hétérogènes. Il est à parier que le mot « hétérogénéité » aura une belle destinée dans l'Hexa gone. Mieux vaudrait utiliser le mot chaos. On peut discuter le pour et le contre de ce type de classe. Mais, dès lors qu'il était décidé, il fallait en tirer les conséquences quant aux programmes et aux méthodes. C'est le même chaos en ce qui concerne le « qui » enseigne. Les institutions les plus complexes d'Ancien Régime, dont on se gaussait jadis, sont des modèles de clarté par comparaison avec ce que nous voyons. Je ne reviendrai pas sur les chiffres des enquêtes déjà publiées. En 6e, 60 à 66 % des professeurs d'histoire-géographie relèvent de l'enseignement élémentaire et de son corps d'inspection dont on aimerait savoir combien ont un bagage suffisant pour contrôler et conseiller dans nos disciplines. Pour trier l'essentiel de l'accessoire, il faut un minimum de formation scientifique. Faute de quoi, le professeur en sera réduit à suivre pas à pas le manuel, et quel manuel! Tant qu'il s'agissait de débiter par simple lecture un livre, il suffisait de posséder un savoir-faire pédagogique. Mais voilà, l'histoire et la géographie, ce n'est plus cela et nous entendons bien qu'elles ne le soient plus. Pour discerner ce qui convient d'être retenu par des élèves aussi divers, il importe que le savoir soit dominé. Pour préparer nos collègues au nouveau programme, qu'y a-t-il eu? Il y a eu les fiches, c'est vrai, et savamment faites. Quelques-unes se sont égarées et n'ont pas atteint leurs destinataires. Ce n'est pas grave. Une fiche c'est mieux que rien, mais elle n'est vraiment efficace que pour quelqu'un qui sait déjà. Il en va de ces fiches comme des fiches techniques de montage d'appareils. Seuls les techniciens au courant peuvent s'en servir. Il y a eu aussi les stages. Laissons de côté leur durée : une misère. Mais qui en a bénéficié? Un collègue par établissement et encore pas toujours. Au total un enseignant sur cinq chargés de 6e. Et la mission de ces heureux, bénéficiaires était de « faire passer » à leurs collègues. Comme si, alors qu'il s'agissait d'exécution et non de simple information, la transmission par un seul pouvait remplacer la participation à un stage. Au Ministère, qui donne si bien l'exemple de la transmission, on doit croire au miracle de la démultiplication. Pourquoi si peu de collègues touchés? Pour des questions de crédits (des économies de bouts de chandelles comparées à certaines autres dépenses du Ministère), et pour des questions de principe : pas d'absences supplémentaires puisqu'il y a déjà trop d'absentéisme. Mais quand donc les calculateurs des coûts et de la R.C.B. cesseront-ils de se méprendre sur ce qui est mesurable et ce qui ne l'est pas? Que perdra-t-on si pour vingt heures de cours pas assurées parce que le professeur est en stage, l'efficacité intellectuelle de centaines d'heures de cours ultérieures se trouve améliorée? Pour ces calculateurs bornés les jours d'absence se mesurent, l'efficacité intellectuelle ne se mesure pas, donc elle ne peut balancer les premiers qui seuls apparaissent en débit. Le phénomène va se reproduire cette année pour les 5e, et en pire, puisque le nombre de jours de stage est réduit de quatre à deux. Une dérision. Aucune administration ne traite ainsi ses personnels : quand les tâches ou des machines nouvelles sont mises en route, uploads/Geographie/ revue-historiens-et-geographes-editos-jean-peyrot.pdf

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