Alchimie et philosophie mécaniste. Expérimentateurs et faussaires à l’âge class
Alchimie et philosophie mécaniste. Expérimentateurs et faussaires à l’âge classique, Paris : SÉHA – Milan : Archè, 2015 (« Textes et Travaux de Chrysopœia », 16). Samuel Sorbière et l’alchimie par Sylvain Matton Dans notre étude « Cartésianisme et alchimie », nous avons eu l’occasion de citer le témoignage suivant de Samuel Sorbière (1615-1670) 1 sur les travaux “chymiques” de l’ami de Descartes, Cornelis van Hogelande 2 : « Quant au Cornelius ab Hoghelande, duquel vous auéz cogitationes de Oeconomia Animalis, c’est vn gentil-homme Catholique, grand amy de Monsieur Descartes. Lors que ie demeurois à Leyden, il exerçoit une Medecine charitable, & ne demandoit des pauures gens qu’il traittoit qu’vn fidelle rapport du succés de ses remedes ; Et comme il estoit raui d’entendre que les affaires succedoient bien, qu’on se portoit vn peu mieux, ou qu’on estoit entierement gueri : il ne se rebutoit point aussi de sa pratique, lors qu’on luy disoit que la maladie estoit empirée, qu’vn tel symptome estoit survenu, & qu’à la quarantiéme selle, le pauure patient estoit expiré : Car il estoit fort homme de bien : il louoit Dieu de toutes choses : & voyant, par le moyen de ses trois Elemens, des raisons de tous les Phœnomenes, desquelles il se satisfaisoit, il ne desesperoit jamais de remedier vne autre fois aux plus fascheux inconuenients de sa Pharmacie. I’ay esté souuent dans son Labora- toire : & ie l’ay veu plusieurs fois au vestibule de son logis en pantoufles & en bonnet de nuict, distribuant de huict à neuf heures du matin, & de vne à deux heures apres midy, des drogues qu’il tiroit d’vn cabinet, qui en estoit bien pourueu. Son pere auoit trauaillé au grand Oeuvre, & de mesme il en a escrit, si ie ne me trompe. Mais le fils ne se seruoit de la Chymie que pour la Medecine, & il n’employait les remedes de cét Art, qu’au défaut des communs & des Galeniques qu’il mettoit premierement en vsage. » 3 1 Sur Sorbière, voir F. Lessay, « Sorbière, Samuel », dans L. Foisneau (éd.), Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, Paris, 2015, pp. 1650-1654. 2 Voir « Cartésianisme et alchimie : à propos d’un témoignage ignoré sur les travaux alchi- miques de Descartes. Avec une note sur Descartes et Gómez Pereira », dans : F. Greiner (éd.), Aspects de la tradition alchimique au XVIIe siècle, Actes du colloque international de l’Univer- sité de Reims (28 et 29 novembre 1996), Textes et Travaux de Chrysopœia, 4, Paris – Milan, 1998, pp. 111-184, ici p. 115. 3 Lettres et discours de M. de Sorbiere sur diverses matieres curieuses, Paris : François Clousier, 1660, pp. 444-445. 184 Sylvain Matton Ce texte est tiré d’une lettre non datée, peut-être de 1657 4, envoyée depuis Orange à Guy Patin (1601-1672), grand pourfendeur de la médecine chymique. Mais l’amitié de Descartes pour Hogelande avait depuis longtemps frappé Sorbière, car dès le 25 août 1642, il expli- quait à Mersenne : « Descartes, second Democrite, habite dans une agréable retraite près de Leyde et s’applique à ses spéculations, ne communiquant ses cogitations et ses expériences à à peu près aucun mortel, excepté Picot et Hog‹e›lande, chimiste de Leyde. » 5 Et le 13 juillet 1660, écrivant de Paris à Guillaume Bautru (1588-1665) 6 pour lui décrire « l’estat des sciences en Hollande », Sorbière dira encore : « Mais reuenons aux illustres habitans du Parnasse de Hollande ; parmy lesquels ie ne dois pas oublier de mettre le charitable Monsieur Hoghelande, qui distribuoit de mon temps de si bons remedes aux pauures gens. » 7 L’accointance de Descartes avec Hogelande confirmait sans doute le soupçon chez nombre de ses contemporains que l’auteur des Principia philosophiæ était loin d’ignorer la littéra- ture chymique, comme Sorbière l’explique de son côté à Pierre Petit (1598-1667) 8, dans une lettre en date du 20 février 1657 : « En effet, il [Descartes] ne suit pas tellement sa pointe, qu’il n’emprunte iamais rien de l’histoire naturelle, de la Chymie, & des bons Liures, desquels il a plus de lecture qu’il ne nous a voulu faire entendre qu’il en auoit, lors qu’il a voulu faire croire qu’il puisoit tout ce qu’il escriuoit dans le seul fonds de son esprit, & par la force de sa meditation. » 9 Cependant, Sorbière ne s’est pas limité à évoquer l’amitié unissant Descartes au « chymiste » Hogelande, et bien d’autres témoignages sur l’alchimie et les alchimistes du temps sont à glaner dans les écrits du préfacier des Opera omnia de Gassendi. 4 C’est la date que lui donne dubitativement Loïc Capron dans son édition électronique de la Correspondance française de Guy Patin (http ://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/). 5 Copie de la correspondance de Samuel Sorbière, Paris, BnF Lat. 10352, f. 46v (Correspondance du P. Marin Mersenne, XI, p. 241) : « Cartesius in amœno secessu juxta Leydam, Democritus alter habitat, & speculationibus suis incumbit, nulli fortasse mortalium, praeterquam Picoto & Hoglandio Leydensis Chymico, cogitationes & experimenta sua communicans ». 6 Sur G. Bautru, voir R. Kerviler, Guillaume Bautru, comte de Serrant, l’un des quarante fondateurs de l’Académie française, Paris, 1876. 7 Relations, lettres et discours de Mr de Sorbiere, sur diverses matieres curieuses, Paris : Robert de Ninville, 1660, Lettre IV, « A Monsieur de Bautru […], De l’estat des sciences en Hollande », p. 138. 8 Sur P. Petit, voir la notice de S. Taussig dans L. Foisneau (éd.), Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, pp. 1373-1377. 9 Lettres et discours…, lettre LXXXVIII, à Petit, sur Descartes, de Paris, le 20 février 1657, p. 689. Samuel Sorbière et l’alchimie 185 Une critique de l’alchimie Commençons par observer que Sorbière ne croit pas à la réalité des transmutations métalliques et tient les alchimistes en piètre estime. Ainsi, dans une lettre écrite à Montpellier le 25 janvier 1653 et adressée au poète néolatin Jean Maury (1625-1697) 10, il note à propos du style de l’orateur : « Vn de nos amis le comparoit à ces medailles contrefaites en bas alloy, & à ces pieces d’Alchymie, dont la façon vaut cent fois plus que la matiere, & desquelles les curieux ornent leurs cabinets ou leurs galeries. On n’en retire que la satisfaction presente des yeux, & on n’est guere plus riche en les possedant ; comme par la lecture de ces pieces d’Eloquence dont nous parlons on ne deuient guere meilleur, ny guere plus sçauant […]. » 11 Et plus loin, à propos de la physique : « D’ailleurs quelques Pseudophysiciens, s’il m’est permis de nommer ainsi quelques impertinens amateurs de la Physique, ont donné beaucoup de prise à l’ironie des gens d’esprits, & au mespris que mesme quelques ignorants osent faire de cette science. Les Astrologues, les Alchymistes, les Charlatans & les Sophistes l’ont fort maltraitée en luy voulant faire la cour. Mais elle est fort innocente de leurs sotises, & elle n’en merite point de blasme ; comme vne belle & sage personne ne doit pas estre blasmée à cause de l’extrauagance de ceux qui en deuiennent amoureux. » 12 Sorbière critique entre autres le langage obscur et les néologismes inutiles des alchimistes, par exemple dans son discours Du froid des fiebures intermittantes prononcé le 11 février 1659 chez Habert de Montmor 13, où il épingle « les Modernes auec leur Archée, & les autres nouueaux termes auec lesquels ils ont fait semblant de dire quelque chose de plus que les anciens » 14. Comme la plupart des adversaires de l’alchimie — d’un Leon Batista Alberti jusqu’à un Fontenelle — Sorbière crédite cependant les adeptes d’avoir fait d’intéressantes 10 Sur J. Maury, voir Dr Hoefer (éd.), Nouvelle Biographie universelle, t. XXXIV, Paris, 1861, col. 432-433. 11 Id., lettre XLV : « A Monsieur Maury, docteur en theologie. Du Discours, de l’Eloquence, & de quelques cognoissances qui seruent à bien raisonner », p. 340. 12 Id., p. 347. 13 Sur Habert de Montmor, voir D. Todériciu et P. Costabel, « Notes sur trois hommes de science du XVIIe siècle : Samuel Duclos, Henri-Louis Habert de Montmor et Florimond de Beaune », Revue d’histoire des sciences, XXVII (1974), pp. 63-75, ici pp. 68-72. Sur son rapport avec Sorbière, voir G. M. Atkins, The Idea of the Sciences in the French Enlightenment : A Rein- terpretation, Newark, 2014, chap. I (« The Montmor Discourse : Samuel Sorbière and the Foun- dation of the Royal Academy of Sciences »). 14 Lettres et discours…, « Discours prononcé en l’assemblée Physique chez Monsieur de Monmor le XI. Feurier 1659. Du Froid des Fiebures Intermittantes », p. 63. 186 Sylvain Matton découvertes, mais qu’ils n’ont pas su exploiter. Dans une lettre à l’abbé Pierre Costar (1603-1660) 15, datée Paris, 17 avril 1657, il remarque : « Mais si apres tout ce trauail nous ne venons pas à bout de la verité que nous cherchons, tant y a qu’en chemin faisant nous rencontrons des choses qui nous recompensent de nostre labeur ; & il nous arriue peut-estre comme aux Alchimistes, qui en cherchant uploads/Geographie/ samuel-sorbiere-et-l-alchimie-2015.pdf
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- Publié le Fev 21, 2021
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