SOUS TERRE : BACTÉRIES ET CHAMPIGNONS EN ACTION Entretien avec le biologiste Ma

SOUS TERRE : BACTÉRIES ET CHAMPIGNONS EN ACTION Entretien avec le biologiste Marc-André Selosse, réalisé par Bernard Paillart et Monique Peyrière Le Seuil | « Communications » 2019/2 n° 105 | pages 207 à 219 ISSN 0588-8018 ISBN 9782021410532 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-communications-2019-2-page-207.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil Entretien avec le biologiste Marc-André Selosse1 réalisé par Bernard Paillard et Monique Peyrière Sous terre : bactéries et champignons en action Bernard Paillard et Monique Peyrière. Lors d’une récente conférence, vous avez souligné que, pendant longtemps, les sciences ont négligé d’étudier les organismes vivant dans le sol, notamment les microbes. Pourquoi un tel ­ désintérêt ? Marc-André Selosse. Il a fallu du temps pour lever certains obstacles à la compréhension de ce qui se passe dans le sol. D’abord parce que, celui-ci n’étant pas translucide, on ne voit pas ce qu’il y a dedans. Ensuite, si on prend de la terre dans la main, on ne voit pas les populations qui l’habitent, car le sol est surtout peuplé de microbes. Par ailleurs des raisons plus culturelles font qu’on s’en détourne, parce qu’il nous paraît sale, et peut-être aussi parce que c’est là qu’on enterre les morts, d’où une espèce de répulsion culturelle par rapport au sol. Ces trois obstacles épistémologiques nous empêchent de voir un point majeur : le sol est l’essentiel de l’écosystème terrestre qui nous entoure. Il y a dans le sol plus d’espèces, parfois plus de biomasse et toujours plus de métabolismes2, qu’il n’y en a en surface, où nos yeux voient animaux et végétaux. Ce qu’on oublie trop facilement. Un exemple de cette ignorance, c’est l’arbre tel qu’il est communément représenté dans des dessins : d’abord une espèce de base avec des amorces de racines, puis un tronc, enfin des branches et des feuilles. Ce dessin un peu enfantin nie le fait qu’un tiers de sa biomasse, comme celle des plantes d’ailleurs, est souterrain. La raison de cette occultation est simple : lorsqu’on arrache une plante ou lorsque le vent abat un arbre, seules les grosses racines viennent, en partie cassées. Les autres, les racines fines, qui forment l’essentiel de la biomasse souterraine, restent en place. Finalement le sol est épistémologiquement maudit, son étude et celle des microbes qu’il contient commencent donc très mal. Pour la science un très long chemin fut nécessaire pour arriver à comprendre ce qu’est vraiment le sol, un programme en plein développement. 207 Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil Bernard Paillard et Monique Peyrière. Pourtant la présence de micro- organismes dans le sol fut mise en évidence dès le xixe siècle, tandis que la microbiologie du sol se développait dès le tournant du siècle. Marc-André Selosse. En effet, les travaux de Louis Pasteur sur la mala- die du charbon ont mis en évidence l’existence de microbes dans la terre. Présents dans les cadavres enterrés d’animaux atteints par cette pathologie, ces germes, remontés vers la surface par les vers de terre, contaminaient de nouveaux bestiaux. Cependant, il ne suffit pas d’avoir repéré quelque chose pour que cela devienne un paradigme dominant. Un problème similaire s’est posé lorsque Lorenz Hiltner3 a introduit en 1904 le terme de « rhizosphère4 », avec l’idée qu’il y avait des microbes particuliers et singulièrement abondants autour de la racine des plantes. Cette vision, bien que connue, n’est alors prise en réelle considération que par quelques initiés. De même, l’idée que deux organismes vivent ensemble en une association réciproquement bénéfique, en symbiose5 donc, émerge dans les années 1880. Mais, là encore, malgré des travaux continus dans les décennies suivantes, ce n’est qu’un siècle plus tard que ces associations deviennent un fait majeur. On est confronté à un problème épistémologique similaire à celui qui conduit à négliger le sol et ses microbes, car tout autant que la symbiose, ce sont des facteurs du fonctionne- ment ordinaire auquel tout le monde est habitué. Et cela se remarque moins que le parasitisme, la compétition ou la prédation, dont on voit immédiatement les effets. Les premiers travaux démontrant que des microbes vivent dans le sol, qu’ils façonnent le fonctionne­ ment de la racine comme les communautés microbiennes elles-mêmes, sont sans doute arrivés trop en avance pour les mentalités de l’époque. Quoi qu’il en soit, c’est devenu, aujourd’hui, une idée structurante, une idée paradigmatique : les végétaux6 entretiennent avec les microbes, notamment du sol, des relations autres que pathologiques, et c’est là l’important, la nouveauté. Bernard Paillard et Monique Peyrière. L’exploration de ces domaines ne procède-t-elle pas de découvertes scientifiques plus générales qui ont, en retour, transformé l’approche du sol par les biologistes ? Marc-André Selosse. Cela est juste dans le domaine de la symbiose, comme dans celui de la microbiologie du sol, car les chercheurs ont bénéficié de la mise au point et de l’essor des méthodes moléculaires, dont celles relatives à l’ADN. Un renouvellement majeur qui, par exemple, permet de détecter les micro-organismes par leur ADN. On s’est aperçu que la méthode tradi- tionnelle de mise en culture n’avait décelé qu’au grand maximum 5 % des microbes du sol, et en particulier ceux entrant en relation symbiotique avec Entretien avec le biologiste Marc-André Selosse 208 Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - ESCP BUSINESS SCHOOL - - 195.85.247.208 - 15/04/2020 19:02 - © Le Seuil les plantes. Les sols ont révélé une diversité de microbes à laquelle on ne s’attendait pas. Comme on arrive désormais à identifier certains de leurs gènes, on peut aussi, indirectement, deviner leur métabolisme, la façon dont ils vivent. Donc, si, au départ, il y a eu un certain « retard à l’allumage », l’arrivée de ces nouvelles méthodes nous autorise, aujourd’hui, à revisiter des anciens concepts, en leur donnant des bases plus convaincantes et en comprenant mieux le rôle des microbes dans le fonctionnement des sols et des plantes. Bernard Paillard et Monique Peyrière. Qu’en est-il alors de cet univers microbien souterrain ? Marc-André Selosse. Nous avons à penser un sol envahi par des microbes. Et, ce qui s’y passe dépasse l’entendement car, de fait, les microbes dépassent l’entendement. Très petits, c’est par milliards, si ce n’est par dizaines de mil- liards de cellules que se chiffre leur présence dans un simple gramme de sol standard. Une démesure en quantité d’individus donc, mais pas uniquement : cela concerne également le nombre des espèces (26 % des espèces vivantes connues se trouvent dans le sol, contre 13 % dans l’océan par exemple !). Mais c’est surtout la multitude de modes de vie différents qui frappe. C’est pourquoi on peut dire que l’écosystème terrestre qui nous entoure, c’est avant tout le sol : il y a dans ces fonctionnements microbiens souterrains beaucoup plus de diversité que dans ceux que nous observons à la surface. Au-dessus du sol, que voyons-nous ? Des organismes qui respirent ou qui font de la photosynthèse. Mais on ne fait pas tourner les cycles de la matière avec ça ! S’ils tournent, c’est grâce à la diversité des microbes du sol et à leurs façons d’utiliser diverses réactions chimiques pour obtenir leur énergie. Champignons et bactéries jouent sans doute un rôle prépondé- rant en raison de la grande diversité de leurs métabolismes. Ainsi certaines oxydent le soufre (recyclant les formes utilisables par les plantes), d’autres, au contraire, le réduisent. Certaines oxydent l’azote, d’autres, au contraire, le réduisent ; la transformation de l’azote atmosphérique en azote minéral soluble est une affaire de bactéries qui, à partir de l’atmosphère, mettent en place un réservoir d’azote soluble utilisable par les plantes. Certaines jouent avec le fer, l’utilisent pour respirer et, du coup, l’oxydent. D’autres, au contraire, l’utilisent comme accepteur d’électrons, et le réduisent, ce qui le rend accessible aux plantes. Bref, une telle démesure dans les modes de fonctionnement est étonnante et implique des métabolismes dont vous et moi n’avons pas idée, nous qui restons à la surface. La vraie diversité métabolique est donc souterraine : ce uploads/Geographie/ sous-terre-bacte-ries-et-champignons-en-action.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager