ANNUAIRE du COLLÈGE DE FRANCE 2016 - 2017 Résumé des cours et travaux 117e anné
ANNUAIRE du COLLÈGE DE FRANCE 2016 - 2017 Résumé des cours et travaux 117e année HISTOIRE GLOBALE DE LA PREMIÈRE MODERNITÉ Sanjay SUBRAHMANYAM Professeur à l’université de Californie à Los Angeles, professeur invité au Collège de France Mots-clés: histoire globale, modernité, villes, urbanisme, religion, empires La série de cours «Histoire globale de la première modernité» est disponible, en audio et/ou en vidéo, sur le site internet du Collège de France (https://www.college- de-france.fr/site/sanjay-subrahmanyam/course-2016-2017.htm) ainsi que le colloque «Le “tournant visuel” et l’histoire globale à l’époque moderne» (https://www.college- de-france.fr/site/sanjay-subrahmanyam/symposium-2016-2017.htm). ENSEIGNEMENT COURS – LES PLAQUES TOURNANTES DE L’HISTOIRE GLOBALE, XVIe-XVIIIe SIÈCLES: CARREFOURS ET LIEUX DE RENCONTRE La série de cours de l’année 2016-2017 était consacrée à la question de la place des villes dans l’histoire globale de la première modernité. Nous avons choisi de centrer notre attention sur les villes qui jouaient un rôle de «plaque tournante», dans le cadre d’un système étendu et dispersé. Il était nécessaire, par conséquent, de commencer par un certain nombre de repères théoriques, venant soit de la sociologie soit de l’économie (et la théorie de la localisation). Parmi les travaux les plus importants, nous avons cité les textes universalistes de l’économiste allemand August Lösch (1906-1945), auteur du livre fondamental Die räumliche Ordnung der Wirtschaft. Mais notre attention a surtout été portée sur les écrits culturalistes de Max Weber, notamment sur la distinction entre l’évolution historique de la ville en Occident et ailleurs. Cependant, nous avons souligné que la conception historique de Weber a fait l’objet de nombreuses critiques, venant par exemple des historiens spécialistes du monde musulman. André Raymond, dans ses écrits, a démontré la curieuse complicité entre une partie de la tradition wébérienne et la tradition «orientaliste» sur la question de l’urbanisme, représentée par des chercheurs 536 SANJAY SUBRAHMANYAM comme Jean Sauvaget (1901-1950), professeur au Collège de France. De ce point de vue, «La ville “musulmane” n’a pas davantage su se doter des institutions communales qui ont assuré le développement de la ville médiévale. Elle n’est pas administrée. Comment s’en étonner? “Le statut des villes”, note Jean Sauvaget, dans un article fameux sur Damas, “ne fait l’objet d’aucune disposition particulière de la Loi islamique. Il n’est plus d’institutions municipales… La ville n’est plus considérée comme une entité, comme un être en soi, complexe et vivant: elle n’est plus qu’une réunion d’individus aux intérêts contradictoires, qui, chacun dans sa sphère, agissent pour leur propre compte”». La conclusion de cette discussion semble presque inévitable, comme l’ironise Raymond: «La ville n’est qu’une non-ville, l’urbanisme musulman [n’est] qu’un non-urbanisme.» On peut facilement trouver des écrits semblables portant sur la ville en Chine, en Inde, ou en Amérique précolombienne, d’où la nécessité de confronter ces généralisations venues de l’historiographie classique avec les travaux récents dans le cadre de l’histoire globale. En 1500, les plus grandes villes du monde se trouvaient hors de l’Europe: Beijing, Vijayanagara (en Inde du Sud), Le Caire… Paris, la plus grande ville européenne figurait seulement en huitième place. Mais il s’agissait dans chacun de ces cas de villes «politiques», toujours au centre de grands systèmes étatiques ou impériaux. Dans un premier cours, nous avons préféré développer un contre-exemple, celui d’une ville assez atypique par rapport à ces mégalopoles de l’époque moderne. L’exemple était celui de La Mecque, surnommée Umm al-Qurá, ou «La mère des villes» dans la tradition musulmane. L’importance de La Mecque en tant que centre de commerce aux VIe-VIIe siècles a fait l’objet de quelques débats dans les dernières décennies. Mais il y a relativement peu de doute sur cette question pour l’époque moderne, malgré les tentatives de l’historien néo-zélandais Michael Pearson de proposer une histoire révisionniste pour minimiser l’importance du Hajj, c’est-à-dire le pèlerinage des musulmans à La Mecque. Les travaux solides de Richard Mortel, John Meloy et Éric Vallet nous permettent de construire une vision convaincante et nuancée de la vie mercantile de la ville à l’époque mamlouk. Après la conquête ottomane, survenue en 1517, la ville continue à jouer un rôle important, non seulement par rapport au commerce, mais aussi en tant que foyer intellectuel, hébergeant des penseurs et écrivains venus de divers pays du monde musulman. Nous avons développé cet aspect, du rapport entre vie urbaine et vie intellectuelle, par rapport à deux grands intellectuels mecquois du XVIe siècle: Jarullah ibn Fahd et Qutb al-Din Muhammad Nahrawali. Ni l’un ni l’autre n’étaient particulièrement connus pour leur contribution à la pensée religieuse ou mystique. Ils ont surtout contribué à une tradition mondaine de savoir géographique, politique, et historique. Par la suite, nous avons proposé une série de trois cours portant sur les villes impériales de l’époque. De nombreux exemples se présentaient à nous. Pour des raisons à la fois de compétences et d’intérêt, nous avons choisi trois cas contrastés: Lisbonne, Istanbul et Delhi. Lisbonne, ville musulmane conquise par les Chrétiens en 1147, est par la suite devenue la ville capitale du royaume de Portugal, et de l’empire crée par les Lusitaniens aux XVe et XVIe siècles. Nous avons étudié les transformations successives de cette ville, et surtout analysé de près son visage au XVIe siècle, moment particulièrement riche en termes de documents d’archive et d’iconographie. Il nous a aussi semblé pertinent de montrer le rapport entre la morphologie de Lisbonne, et celle de la ville de Goa, autre ville musulmane conquise par les Chrétiens (cette fois-ci en 1510). On a souvent qualifié ces deux villes de «cosmopolites», mais peut-on vraiment justifier l’étiquette, gardant en vue les HISTOIRE GLOBALE DE LA PREMIÈRE MODERNITÉ 537 projets d’homogénéisation religieuse menés par l’État portugais dans les deux cas? Poursuivant notre réflexion sur la question, nous avons examiné le cas de Constantinople (ou Istanbul), ville chrétienne conquise par les Musulmans en 1453. Comme Lisbonne, Istanbul a subi des changements importants à la suite de la conquête, et la ville a été transformée entre 1453 et 1500, avec la construction du palais de Topkapi et d’autres bâtiments publics. Ces changements ont continué au XVIe siècle, grâce notamment aux chantiers du grand architecte Sinan, qui a donné un autre visage à la ville. Cependant, Istanbul reste une ville marquée par la présence de minorités religieuses: juifs, chrétiens orthodoxes, huguenots, etc. Comme Lisbonne, Istanbul est à la fois une ville politique et portuaire, ouverte au grand commerce intercontinental. Le pouvoir de l’État ottoman joue un rôle important dans son destin, mais d’autres forces sont également à prendre en considération. Cet équilibre entre forces étatique et non étatiques se remarque aussi dans le cas de Shahjahanabad-Delhi, dernier de notre trio de villes impériales. Fondée par acte impérial dans les années 1630 et 1640, cette ville devient célèbre à l’échelle globale dès les années 1650. Les voyageurs François Bernier et Jean-Baptiste Tavernier ont consacré de belles pages à cette ville, d’une «prodigieuse grandeur» selon Bernier. Dans notre analyse, nous avons développé des aspects moins connus de Delhi: le rapport entre vie de cour, vie religieuse et vie intellectuelle, en prenant une série de cas biographiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Il a fallu relativiser l’idée de cette ville comme entité fragile, secouée sans cesse par les changements politiques d’un système «despotique» et arbitraire. Dans les deux derniers cours, nous sommes revenus vers l’Occident, c’est-à-dire l’Europe et le monde de l’Atlantique. Dans un premier temps, notre regard s’est tourné vers les villes «bourgeoises» du Nord: Bruges, Anvers, Amsterdam, et Hambourg. Le but de notre analyse était de démontrer les continuités et les contrastes entre les expériences historiques de ces villes. Soulignant le rapport entre la vie des minorités religieuses et la vie intellectuelle, nous avons aussi montré la difficulté d’exporter le modèle «nordique» plus loin, en analysant le «cas hybride» de Saint- Pétersbourg. Le dernier, et sixième cours, portait enfin sur quelques grandes villes de l’Atlantique liées avec le commerce des esclaves africains, notamment Luanda et Rio de Janeiro (ou São Sebastião). L’urbanisme de ces villes côtières était à contraster avec le cas des villes méso-américaines, réfléchissant une toute autre morphologie. Mais il faut également constater que l’histoire de ces villes – produites cependant par le capitalisme de l’Atlantique – ne conforte pas la formule facile selon laquelle «la ville est le berceau de la liberté». COLLOQUE – LE «TOURNANT VISUEL» ET L’HISTOIRE GLOBALE À L’ÉPOQUE MODERNE Depuis un quart de siècle, on assiste à un changement important entre les pratiques de l’histoire culturelle et sociale, et l’histoire de l’art et de la représentation visuelle. On a parfois voulu appeler ce changement «tournant visuel». Lors de cette journée, nous avons convoqué des spécialistes de différents aspects de la question, et d’aires géographiques assez variées, pour faire un bilan de ce tournant. • Sanjay Subrahmanyam: «Imaginer et représenter le monde à l’époque moderne» 538 SANJAY SUBRAHMANYAM • Giuseppe Marcocci (Università degli Studi della Tuscia): «The world behind the wall: Global backgrounds of maps and ambitions in sixteenth-century Italy» • Bronwen Wilson (UCLA): «Flow, the mobile artist, and the early modern Mediterranean urban prospect» • Amina Okada (Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris): «Symboles de souveraineté et modèles européens: de l’usage du globe uploads/Geographie/ subrahmanyam-annuaire117.pdf
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- Publié le Jul 12, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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