Une maman en cadeau Chapitre : 1 234567891011 1 - 2 - 3 - 4 - 5 >> Littéralem
Une maman en cadeau Chapitre : 1 234567891011 1 - 2 - 3 - 4 - 5 >> Littéralement sauvée par le gong, la souris remporta la première manche. Sans la sonnerie inopportune de la porte d’entrée, Anita aurait pris l’avantage dans la lutte acharnée qu’elle livrait au rongeur qui s’invitait sans vergogne dans son modeste logis. Au moins aurait elle ainsi marqué un point contre l’adversité qui s’acharnait sur elle en cette journée caniculaire et totalement calamiteuse ! Le carillon égrena une nouvelle fois ses trois fausses notes. Rien de comparable avec la douce mélodie qui annonçait l’arrivée de ses visiteurs dans son appartement de Los Angeles ! Tirant un trait sur le passé, elle avait résilié son bail pour venir s’installer à Mercy, petite ville paisible de l’Indiana, où elle entendait jeter les bases d’une nouvelle existence. Pour l’heure, il fallait bien l’admettre, sa situation n’était guère reluisante. Son havre de paix se réduisait à une bicoque délabrée, hantée de surcroît par une colocataire famélique dont l’œil torve et la queue répugnante ne lui inspiraient guère de sympathie. Ainsi présentée, sa vie ressemblait à un mauvais mélodrame. Peu encline à s’apitoyer sur son sort, Anita secoua la tête et se dirigea vers la porte. La poignée pivota, mais, une fois de plus, le lourd battant refusa de s’ouvrir. Les pluies torrentielles de la fin de l’été avaient fait gonfler le bois, imbriquant hermétiquement le panneau dans son cadre. En fin de matinée, au prix d’efforts insensés, elle était parvenue à entrebâiller la porte récalcitrante. Mais cette fois, elle doutait de parvenir à ses fins. Troisième sonnerie. — Un instant ! cria-t elle, hors d’haleine. Elle agrippa la poignée des deux mains, banda les muscles de ses avant-bras et tira de toutes ses forces. Pas question de laisser repartir son visiteur ! Du plombier, de l’électricien ou de l’employé des télécommunications, elle n’aurait su dire lequel elle attendait avec le plus d’impatience. Un flot jaunâtre jaillissait du robinet de la cuisine, l’éclairage variait d’intensité de la façon la plus fantaisiste et, sans téléphone, elle était coupée du reste du monde. Le battant bougea d’un millimètre. Récompensée de ses efforts, elle fit une nouvelle tentative. Soudain, la poignée lui resta dans la main. Elle recula d’un pas et considéra d’un air ahuri le malheureux bouton de porcelaine. — Bonjour ! risqua de l’autre côté une voix fluette. — Un instant, répéta Anita. Je… j’ai un petit problème avec la porte. Elle replaça la tige de la poignée dans son logement, mais le mécanisme tourna dans le vide. Résignée, elle se pencha, colla un œil au trou de la serrure et vit se balancer de l’autre côté du battant un bocal de conserve rose bonbon. — Bonjour ! répondit elle en direction de l’objet singulier. Le bocal disparut de son champ de vision, aussitôt remplacé par une pupille bleu clair. — Bonjour, très chère. Et bienvenue à Mercy ! L’inconnue se redressa et une étiquette s’imposa cette fois à la vue d’Anita. Jambon cuit à la vapeur. Fumé à l’érable. Conservation à température ambiante. — Je fais partie du comité d’accueil de Mercy. — Auriez-vous un tournevis ? Ou mieux, une massette ? La question provoqua d’abord un silence interloqué. — Une massette, avez-vous dit, très chère ? Anita renonça. — C’est inutile. Je vais passer par la fenêtre. La porte du jardin, Anita le savait déjà, était tout aussi récalcitrante que celle de l’entrée principale. Ravalant sa colère, elle souleva la vitre de la fenêtre à guillotine, grimpa sur le rebord, et se coula non sans mal à l’extérieur. La vieille dame qui l’attendait près du petit portail de bois blanc ne parut pas s’émouvoir de cet accueil bien peu conventionnel. Agée de quatre-vingts ans environ, elle portait une robe sans manches, imprimée de gros motifs multicolores, dont la coupe en forme de cloche n’avait certes pas germé dans l’esprit d’un grand couturier. — Et voilà notre nouvelle voisine ! s’exclama-t elle en propulsant son panier dans les bras d’Anita. Je suis Alice Marchand. Anita vacilla légèrement sous le poids de la corbeille en osier qui regorgeait d’un assortiment invraisemblable d’objets hétéroclites et de spécialités locales. Torchons brodés, boîtes à clous, tire-bouchon et dénoyauteur se mêlaient aux liqueurs de fruits, petits-fours et pots de confitures recouverts du traditionnel tissu à carreaux rouge et blanc. Tous les talents de la petite ville semblaient rassemblés dans ce cadeau de bienvenue. Même les pompes funèbres avaient participé à cet élan de générosité : Dix petites choses à savoir pour bien préparer l’au-delà, pouvait- on lire sur un éventail largement ouvert et planté entre deux bocaux de cerises. Anita resta sans voix. — Je… eh bien merci, madame Marchand. — Oh ! pas de « madame » avec moi ! Jamais je n’ai été fichue de supporter un homme ! Elle s’approcha un peu plus. — Trop romantique…, murmura-t elle sur le ton de la confidence. Bien trop romantique pour le train-train de la vie à deux. Anita improvisa un petit rire de circonstance. — Ce panier est somptueux. Merci encore. — Ce n’est rien. Juste un échantillon de notre hospitalité. La marmelade d’oranges est l’œuvre de Colleen, ma voisine. Les dames de la paroisse fabriquent le pain aux céréales. J’oubliais ! Vous trouverez aussi un bon pour le salon de coiffure. Entre nous, la boutique a beaucoup perdu depuis le départ de Claire. C’est elle qui habitait cette maison avant vous. Sa remplaçante, Dorene, ne ménage pas ses efforts, mais, Dieu me pardonne, elle ne lui arrive pas à la cheville. La charmante commère porta une main à ses lèvres et forma un cornet autour de sa bouche. — Son coup de ciseaux n’est pas très sûr, et elle est un peu trop généreuse avec sa bombe de laque. Méfiez-vous, conseil d’amie ! — Je… euh… je n’oublierai pas… Par respect des convenances, Anita aurait aimé l’inviter à entrer, mais comment proposer une partie d’escalade à une personne de son âge ? — Je peux aller chercher à boire, si vous voulez… La vieille dame secoua énergiquement la tête. — Très chère, vous avez suffisamment à faire ! Puis, pointant un doigt en direction du ventre arrondi d’Anita : — Sans parler de ce qui vous attend dans quelques mois, ajouta-t elle sans vergogne. Anita portait un bermuda, en partie recouvert d’un T-shirt trop grand. Elle était enceinte de sept mois, mais son état passait généralement inaperçu. — Comment savez-vous que j’attends un enfant ? — L’intuition d’une vieille femme, sans doute. Et puis, vous avez laissé quelques indices. Suivant la direction de son regard, Anita aperçut le magazine féminin et les petits chaussons qu’elle avait négligemment laissés sur les marches du perron. — Oh ! les chaussons ! Mais ce ne… Alice Marchand agita vigoureusement les deux mains pour l’empêcher de poursuivre. — Je ne vous demande pas d’explications, très chère ! Vous, au moins, vous savez faire quelque chose de vos dix doigts ! C’est si rare, chez les jeunes femmes d’aujourd’hui ! Sur ce verdict élogieux, elle décida de prendre congé. — Je vous souhaite une bonne journée. Oh ! et si vous avez besoin d’aide pour votre installation, n’hésitez pas à appeler John Dole ! J’ai glissé dans le panier une liste de numéros de téléphone. Vous y trouverez le sien. Depuis qu’il est à la retraite, il offre généreusement ses services à ses concitoyens. Il est très habile de ses mains. C’est le plus charmant des hommes, et le plus heureux des papas. J’ai eu ses garçons en classe de biologie. D’excellents éléments ! D’ailleurs, Claire a épousé l’un d’eux. La vieille dame sourit. — Elle a toujours été très intelligente. — Vous avez dit John Dole ? demanda Anita d’un air soudain préoccupé. S’agirait il par hasard du père de Luke Dole ? — Exactement ! Et il y a aussi Mark, Matt et Katie. Une famille très bien. Si vous avez la chance de rencontrer l’un d’eux, vous tomberez tout de suite sous le charme. — C’est déjà fait. La voix d’Anita avait perdu toute légèreté, tandis que le souvenir obsédant de son dernier tête-à-tête avec Luke resurgissait dans son esprit. La folle étreinte qui les avait unis ce jour-là les avait tous deux terrifiés et à jamais éloignés l’un de l’autre. — Vit il à Mercy, maintenant ? Alice Marchand sourit et ses yeux bleus scintillèrent d’un soudain intérêt. — Oui, très chère. Nous avons eu le bonheur de le voir revenir dans notre petite communauté. Il a quitté l’usine où il travaillait à Los Angeles pour s’installer à son compte. Il travaille à domicile. A deux cents mètres d’ici. La petite maison blanche, au coin de Cherry Street. Vous devriez passer lui dire bonjour, puisque vous semblez être de vieux amis… Le ton de sa dernière remarque appelait très clairement une réponse de la part d’Anita. — En fait, si je suis ici, c’est un peu à cause de lui. — Oh ? uploads/Geographie/ une-maman-en-cadeau.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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