53 Olivier Mongin Directeur d’Esprit Resumo: Para que se aprofunde a leitura da

53 Olivier Mongin Directeur d’Esprit Resumo: Para que se aprofunde a leitura das obras completas de Claude Lévi-Strauss, é preciso descobrir, por trás da sensibilidade do antropólogo, a sensibilidade de um verdadeiro escritor. Na verdade, este nunca escondeu seu desejo de escrever (incluindo uma peça inspirada por Cinna de Corneille) para tentar congelar o tempo que passa. É através do estudo das paisagens e de suas variantes (beira-mar, montanhas, floresta amazônica, cidade européia, americana ou japonesa), da pintura e da música que Claude Lévi-Strauss nos traz suas reflexões sobre as relações entre natureza e cultura, demonstrando a supremacia da primeira sobre a segunda. Ao mesmo tempo, não cessa de pesquisar o passado inserido no presente a fim de definir o curso do tempo. Palavras-chave: paisagem, natureza, cultura Abstract: In order to deepen the reading of the complete works of Claude Lévi-Strauss, it is necessary to realize, through the sensitivity of the anthropologist, the sensitivity of a true writer. Indeed, the latter has never hidden his desire of writing (including a play inspired by Cinna de Corneille). Through the study of landscapes and its variants (seaside, mountains, rainforest, European, American and Japanese cities), painting and music, Claude Lévi-Strauss provides us his thoughts about the relationships between nature and culture, showing the supremacy of the former over the latter. At the same time, he continues seeking the masked past in the present in order to identify the course of time. Keywords: landscape, nature, culture Synergies Brésil n° spécial 2 - 2010 pp. 53-65 Une pensée du sensible : les paysages de Claude Lévi-Strauss Résumé : Pour qui approfondit la lecture de l’œuvre complète de Claude Lévi- Strauss, force est de découvrir, derrière la sensibilité de l’anthropologue, la sensibilité d’un véritable écrivain. En effet, ce dernier n’a jamais caché son envie d’écrire (notamment une pièce inspirée du Cinna de Corneille) pour tenter de figer le temps qui passe. C’est à travers l’étude des paysages, et de ses variantes (bord de mer, haute montagne, forêt amazonienne, ville européenne, américaine ou japonaise), de la peinture et de la musique que Claude Lévi- Strauss nous livre ses réflexions sur les rapports entre nature et culture et dégage la suprématie de la première sur la seconde. En même temps, il ne cesse de rechercher le passé enfoui sous le présent afin de cerner le cours du temps. Mots-clés : paysage, nature, culture 54 Pourquoi aborder l’œuvre de Claude Lévi-Strauss par cette double thématique du sensible et du paysage ? D’un côté, l’œuvre de Claude Lévi-Strauss est le plus souvent lue et interprétée dans le seul prisme d’une réflexion anthropologique dont le caractère savant est manifeste. On le sait : Claude Lévi-Strauss recourait aux modèles mathématiques et la linguistique, la prise en compte des écarts différentiels, était le moteur de la grande vague structuraliste dont il fut l’un des acteurs. Mais ce mouvement de pensée a souvent, on parlait de coupure épistémologique, laissé croire à un clivage entre l’abstrait et le concret, entre la science et la phénoménologie (d’autant que Claude Lévi-Strauss voulait rompre avec les philosophies de la conscience, il le dit vigoureusement au début de Tristes Tropiques). Ce qui ne correspond pas à la pensée de Claude Lévi-Strauss qui est une « logique du sensible ». Mais aujourd’hui une nouvelle génération de lecteurs (à commencer par les éditeurs du volume de la Pléiade) marque son intérêt pour la part esthétique et sensible du travail de Claude Lévi-Strauss. D’ailleurs, La Pensée sauvage, ce livre qui s’en prend à Sartre et aux philosophies de l’histoire n’est-il pas dédié au phénoménologue Maurice Merleau-Ponty, l’auteur du Visible et de l’Invisible, avec lequel il entretenait un dialogue permanent ? Mais Claude Lévi-Strauss n’est pas seulement un écrivain (l’auteur de Tristes Tropiques qui devait être à l’origine un roman portant ce titre renvoyant aux tropiques bondées d’Asie du sud et aux tropiques vides d’Amérique du sud), un auteur qui a beaucoup écrit sur la peinture, la musique, l’opéra, un auteur dont on sait qu’il fut proche à New-York des surréalistes (Breton, Braque), quelqu’un de réceptif à la nature (« les couleurs du coucher de soleils, le savant parfum du lis, le clin d’œil serein échangé avec un chat ») et qui s’aventurait dans les galeries d’art de Manhattan alors que l’art contemporain n’était pas encore né. Et pour cause : sa pensée est avant tout portée par la question de la luxuriance du sensible. Evoquant J.J. Rousseau Claude Lévi-Strauss en appelait lui-même à la sensibilité, à un renversement de méthode destiné à valoriser le sentiment : « Dans toute son œuvre, Rousseau cherche l’union du sensible et de l’intelligible, ce que j’essaye moi-même de faire par d’autres voies et prenant les choses par l’autre bout : par le primat de l’intellect au lieu du sentiment ; mais chez lui et chez moi, le besoin d’une réconciliation est le même » (Lévi- Strauss, 1988 : 232)1. D’un autre côté, la dimension du Paysage est centrale dans son œuvre. Le paysage fait écho à de nombreux espaces et lieux chers à Claude Lévi-Strauss : le Brésil tout d’abord puisque Tristes Tropiques, un récit qui décrit des voyages successifs, est marqué entre autres par l’arrivée à Rio, la découverte de São Paulo, puis le voyage dans le Mato Grosso en plein sertão qui rappelle certains paysages de montagne de l’écrivain mexicain Juan Rulfo. Dans la séquence qui raconte l’arrivée dans la baie de Rio, Claude Lévi-Strauss distingue le monde européen, le nouveau Monde (un monde post-européen : celui des grandes découvertes qui est constitué à la fois par des sociétés dites froides sur le plan historique et par les chercheurs d’or, mais aussi l’ancien monde (l’Asie) où il découvre des villes (comme Karachi au Pakistan) en perte de tension en train de mourir. Mais le voyage, indissociable d’un échec qui tient le monde à explorer à distance, est une épreuve : il témoigne de l’impossibilité de se Synergies Brésil n° spécial 2 - 2010 pp. 53-65 Olivier Mongin 55 dépouiller de soi-même, de vivre le bon contact (celui que croyait avoir un anthropologue comme Robert Lowie par exemple). La nécessité de découvrir passe par une expérience « impossible » qui rend manifeste un « écart », la différence entre l’extérieur et l’intérieur. Claude Lévi-Strauss est toujours à la lisière, dans l’écart, entre-deux mondes. Tout cela n’est pas sans écho savant, on ne s’étonne donc pas de sa passion pour tous les écarts différentiels qui font la langue et la structure. En effet, un paysage est un ensemble, un horizon sensible, le paysagiste français Michel Corajoud ou l’architecte colombien Rogelio Salmona parlent du paysage comme de l’horizon où « le ciel touche la terre » et réciproquement. Pour qu’il y ait du paysage, il faut de la nature, un regard, un mouvement, un basculement ? Le paysage est donc un thème récurrent pour une pensée qui s’intéresse avant tout aux équilibres et déséquilibres de la nature et de la culture. Evoquer le paysage chez Lévi-Strauss, dans ses diverses dimensions, c’est bien sûr répondre à cette invitation d’assurer la prééminence du sentiment sur l’intellect (si inextricables soient-ils) et de considérer des variantes de la confrontation de la nature et de la culture. C’est aussi voir dans le paysage une structure au sens d’un langage en action (un performatif). On s’arrêtera donc ici sur diverses formes de paysage, sur la représentation picturale, sur les paysages urbains et sur la musique (indissociable du mythe). Ce parcours permettra de saisir : 1) que le regard anthropologique est toujours « hétérologique », marqué par l’autre (la philosophie est, elle, « hénologique », fascinée par l’Un), un « regard éloigné » parce qu’il n’est jamais au contact, que l’écart différentiel, la relation de l’extérieur et de l’intérieur est primordiale, 2) que cet écart est parallèlement celui qui distingue et met en relation nature et culture alors que celle-ci tend à aspirer et vampiriser la première, et 3) que le « don-quichottisme » de Claude Lévi-Strauss le conduit à vouloir opérer des chassés croisés dans le passé ou bien à arrêter le temps (comme dans le cas d’un coucher de soleil). Car l’anthropologie est bien un rappel à l’équilibre du monde, à un rééquilibrage des énergies alors que l’entropie contemporaine brise les ressorts de l’humanité entendu comme la somme des invariants qui nous font vivre ensemble. 1. Les paysages et la peinture 1.1. A la recherche d’un paysage qui ne se dérobe pas Si le thème du paysage est au centre de la réflexion de Claude Lévi-Strauss sur la peinture, il est d’abord décrit en tant que tel dans Tristes Tropiques. Et pour cause : le paysage est d’abord la résultante d’un déplacement géographique. Ainsi dans l’un des deux recueils de photographies publiés en 1996 en portugais (Saudades do Brasil), il évoque l’ascension du sommet le plus élevé du Brésil (le Mont d’Itatatiaia, 2800 m) au terme de laquelle le géographe Emmanuel de Martonne improvisa un exposé (« une admirable explication de texte ») : « Je compris qu’un paysage, regardé et analysé uploads/Geographie/ une-pensee-du-sensible-les-paysages-de-claude-levi-strauss-pdf 1 .pdf

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