1 La mixité sociale et économique Harris Selod Chargé de recherches INRA et che

1 La mixité sociale et économique Harris Selod Chargé de recherches INRA et chercheur au CREST La mixité sociale peut être définie comme la coexistence sur un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques diverses. Elle s’impose aujourd’hui comme un objectif politique que divers outils législatifs récents sont destinés à favoriser. L’objectif de mixité sociale suscite néanmoins un certain nombre de questions légitimes : Pourquoi et dans quelle mesure la mixité sociale est-elle souhaitable ? Dans quelle mesure est-elle réalisable ? Quels sont les meilleurs outils pour y parvenir ? Le but de cet article est de fournir des éléments objectifs au débat en s’appuyant sur la théorie économique. Au regard de notre analyse, quatre points méritent d’être soulignés : (i) les politiques de mixité sociale sont pleinement justifiées car les coûts sociaux de la ségrégation peuvent être très élevés ; (ii) les politiques de mixité sociale luttent contre des forces ségrégatives très fortes et peuvent donc nécessiter la mobilisation de moyens importants ; (iii) l’élaboration d’une politique de mixité sociale ainsi que son évaluation peuvent parfois plaider en faveur d’une connaissance statistique des appartenances ethniques ; (iv) les politiques de mixité sociale doivent s’inscrire à une échelle locale pertinente qui rend nécessaire de repenser l’organisation du territoire autour des agglomérations. « On ne mélange pas les torchons et les serviettes » ironise Yvelyse, une habitante d’un quartier HLM de Douai interrogée par un journaliste de Libération au sujet d’une grille de 2,20 mètres de hauteur et de 7 mètres de large érigée pendant l’été 2002 au bout de sa rue, à la frontière que Douai partage avec la commune aisée de Cuincy.1 La mairie de Cuincy, à l’origine de cette grille installée sur un terrain communal privé, avait alors justifié cette construction en arguant qu’elle protègerait ses habitants des incivilités attribuées aux habitants de la cité voisine. Cette anecdote à l’origine d’une vive polémique est néanmoins riche d’enseignements : elle illustre à la fois la difficile coexistence de populations hétérogènes sur un même territoire et la difficulté politique de mettre en œuvre la mixité sociale. Dans la plupart des pays, la mixité sociale s’affiche pourtant comme un objectif politique de premier plan guidant l’action de l’Etat dans sa tentative d’enrayer les divers processus de ségrégation à l’œuvre dans les agglomérations. En France, s’ajoutant aux mesures correctrices destinées à compenser les insuffisances dont souffrent les quartiers en difficulté, le principe de mixité sociale vise une véritable transformation des territoires à l’aide d’un arsenal d’outils législatifs récents.2 Ainsi, la « loi Besson » du 31 mai 1990 qui vise la mise en œuvre du « droit au logement » en proposant des incitations fiscales à l’investissement privé dans le logement social évoque « la nécessaire diversité de la composition sociale de chaque quartier, de chaque commune et de chaque département ». La Loi d’Orientation sur la Ville du 13 juillet 1991 (LOV) qui entend combattre les ségrégations urbaines à l’échelle des agglomérations impose aux communes un objectif de « participation à la diversité de l’habitat ». Dans le même ordre d’idées, la loi du 29 juillet 1998, dite loi de « lutte contre les exclusions », stipule que les organismes HLM sont désormais tenus de traiter les dossiers de candidature à l’aune de l’objectif de « mixité sociale ». Enfin, et surtout, la loi 1 « Une HLM de Douai derrière les barreaux », Libération, édition du 21 août 2002. 2 Bien que la mixité sociale était déjà évoquée dans la circulaire Guichard de 1973, ce n’est que dans les années quatre-vingt et surtout quatre-vingt-dix qu’elle est devenue un des principes directeurs de la politique de la ville. 2 Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000 propose pour la première fois une véritable mise en œuvre de la mixité sociale en imposant aux agglomérations de plus de 50 000 habitants de compter une proportion de logements sociaux d’au moins 20%. Que faut-il penser de l’objectif de mixité sociale et de la façon dont il est aujourd’hui abordé en France ? Pour tenter de répondre à cette question, ce chapitre étudie les enjeux économiques et sociaux qu’elle soulève en se penchant sur l’analyse que font les économistes des questions de ségrégation et de mixité urbaine. D’où proviennent les stratifications socio- spatiales des villes ? Sous quelles conditions et dans quelle mesure la mixité peut-elle être souhaitable ? Est-il raisonnable d’essayer de la favoriser, et de quelle façon ? Nous verrons que ces questions touchent à une interrogation normative concernant le type de société dans laquelle nous voulons vivre et qu’elles méritent donc un véritable débat public. La théorie économique pourra fournir des bases scientifiques à ce débat en proposant des éléments de réponse objectifs qui permettent aujourd’hui de mieux situer les véritables enjeux de la mixité sociale et économique. 1. Ségrégation et « mixité sociale » : quelques remarques La ségrégation : un phénomène très répandu En tout temps et dans tous les pays, les villes présentent une régularité frappante : elles ont toutes une structure spatiale stratifiée, opposant des quartiers riches à des quartiers moins aisés. Aussi, la répartition uniforme des différentes catégories de populations dans la ville, en d’autres termes la « mixité sociale », n’est-elle la règle nulle part. Cette spécialisation socioéconomique de l’espace urbain peut néanmoins se faire selon des degrés divers d’intensité, en isolant de façon plus ou moins tranchée des populations aux caractéristiques plus ou moins inégales. L’exemple des villes d’Afrique du Sud est caractéristique d’une stratification spatiale très poussée où, malgré l’abandon de la politique de séparation territoriale des groupes de population, des bidonvilles périphériques extrêmement pauvres restent éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres de quartiers résidentiels très prospères. Dans une moindre mesure, les villes américaines correspondent également à une situation où la ségrégation résidentielle est très forte et les contrastes socio-économiques très élevés. A l’inverse, les villes européennes sont en général plus denses et l’inégalité y est moins importante, même si les écarts sociaux et économiques semblent s’accroître de plus en plus. Dans la plupart des villes des pays développés, on observe l’apparition et la persistance de « quartiers défavorisés» −qui correspondent parfois à des communes périphériques d’une grande agglomération− et qui concentrent fortement les difficultés sociales et économiques. Pour illustrer ce point, le Tableau 1 présente pour quelques pays de l’OCDE les caractéristiques de leurs quartiers défavorisés par contraste avec les agglomérations dans lesquelles ils se situent. Il ressort de cette vue d’ensemble qu’il existe de grandes régularités au sein des zones d’exclusion urbaine dans les pays développés. En effet, les quartiers en difficulté regroupent en moyenne des proportions plus importantes de jeunes, d’étrangers et de familles monoparentales que le reste des agglomérations. La part de logements locatifs y est aussi plus importante que dans la moyenne urbaine. Pour tous les pays, le niveau scolaire des quartiers en difficulté est inférieur à celui de leurs agglomérations et le chômage y est beaucoup plus élevé. Au Royaume-Uni par exemple, le taux de chômage est 2,8 fois plus élevé dans les quartiers défavorisés que dans la moyenne des villes de ce pays et le niveau scolaire y est inférieur de 24% à celui de la moyenne urbaine. Tout se passe donc comme s’il existait partout une même alchimie des quartiers défavorisés, un ensemble de causes et de mécanismes locaux qui aboutissent à des problèmes sociaux et économiques au moins qualitativement comparables. 3 Tableau 1. Disparités (exprimées sous forme de ratio) entre les quartiers défavorisés et la moyenne urbaine dans huit pays de l’OCDE (en 1998) Ratio des taux de chômage Population de moins de 15 ans Plus de 65 ans Familles monoparentales Population étrangère Niveau scolaire Logements locatifs Canada (1990) 1,9 0,81 0,84 1,72 1,4 0,80 1,1 Finlande (1995) 1,4 0,89 0,88 1,23 1,67 0,67 2,2 France (1990) 1,9 1,27 0,81 2,35 2,11 0,52 3,8* Irlande (1991) 2,1 1,07 1,10 1,50 0,51 2,0 Espagne (1991) 1,6 1,05 1,00 1,2 Suède (1994) 1,4 1,10 0,63 1,55 2,71 1,8 Royaume- Uni (1991) 2,8 1,25 0,79 2,75 0,76 Etats- Unis (1990) 1,6 1,13 1,14 2,44 1,57 0,44 1,3 Source : Intégrer les quartiers en difficulté, OCDE, 1998, p.37. * France : les logements locatifs comprennent uniquement les HLM En France, la ségrégation sociale se mesure également dans le contraste qui oppose les « banlieues » au centre des villes généralement plus riches. Quelles sont donc les caractéristiques propres et l’intensité de la stratification socio-spatiale qui prévaut dans les agglomérations françaises ? Pour répondre à cette question, il est possible d’essayer de décrire la ségrégation urbaine à la française à partir des quartiers dits « prioritaires » qui ont été progressivement mis en place par la politique de la ville depuis le début des années quatre- vingt.3 Ces quartiers regroupent aujourd’hui près de 4,5 millions d’habitants résidant dans des unités urbaines qui comptent au total environ 32,2 millions d’habitants.4 En se fondant sur les critères que constituent la part de jeunes de moins de 25 ans, le pourcentage de chômeurs de longue durée, la proportion de sans-diplôme uploads/Geographie/la-mixite-sociale-et-economique.pdf

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